François Blaquart, directeur technique national à la fédération de football, porte un regard critique sur la situation du football tant à l’école qu’au sein de la fédération. Il avance des pistes de rénovation de formation qui devraient intéresser les éducateurs.
Quel regard portez-vous sur la situation du football dans l’enseignement obligatoire de l’EPS ?
Au sein de la DTN nous nous étonnons du fait que le football ne soit pas plus programmé en EPS. C’est un sport collectif très riche du point de vue de la motricité puisque c’est le seul sport où les joueurs et les joueuses sont contraints d’agir sur le ballon dans l’espace locomoteur. Au-delà de cette spécificité technique, c’est également le seul sport totalement interpénétré, exigeant donc un grand développement de l’intelligence tactique. C’est une authentique pratique sociale s’adressant à tous (filles-garçons-grands-petits). L’EPS semble buter en foot sur des problèmes d’hétérogénéité très marqués en classe. C’est vrai, il est rare de trouver un collège voire même une classe sans élèves « expert-(e)s » en football. Mais la représentation traditionnelle du foot à 11 doit aussi évoluer car les formes de pratiques de ce jeu sont en pleine explosion. Regardons le Futsal. Du point de vue de l’EPS, le foot a toutes les caractéristiques d’une pratique scolaire. Nous ne souhaitons pas qu’il envahisse l’Ecole, nous voulons qu’il y ait une place. C’est, nous semble-t-il, de l’intérêt des élèves, de l’EPS.
Vous menez un projet de réforme du football en France depuis 2010 avec votre équipe, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Le football s’était un peu sclérosé, endormi… il avait perdu de sa richesse sociale et collective, de son attractivité. C’est un jeu simple qu’on a compliqué. Nous sommes revenus aux sources pour mieux penser l’avenir. Retour donc sur le jeu et le plaisir, le collectif, l’altruisme, centration sur le joueur et son développement. Nous sommes convaincus de la richesse du football en termes d’intelligence de ses pratiquantes et pratiquants. Hors ce jeu était devenu individualiste, un peu triste, techniciste, trop athlétique. Nous avons souhaité donner plus de pouvoir aux joueurs dans le jeu, les rendre autonomes et responsables, capables de maîtriser leurs émotions.
« Donner plus de pouvoir aux joueurs dans le jeu, les rendre autonomes et responsables, capables de maitriser leurs émotions. »
« Le jeu, le joueur, le joueur dans le jeu », c’est de là que nous ré-envisageons toute l’organisation du football français, à commencer par celle de la formation de tous les éducateurs. Nous avons également redéfinis nos contenus de la formation de nos joueuses, joueurs des plus jeunes aux plus âgé(e)s. Et nous sommes en train de redéfinir notre offre de pratiques, la vie de nos clubs, afin de permettre à ces contenus de vivre dans la pratique.
L’organisation traditionnelle des compétitions (montée et descente) freine l’expression d’un jeu total et épanouissant. Les clubs attachent plus d’importance au « but » qu’aux moyens, qu’à la construction de véritables collectifs, qu’à l’épanouissement et à la réalisation personnelle des joueuses et joueurs. Nous n’imaginons pas le football sans compétition, mais ses contours doivent être revisités afin que l’enjeu ne tue pas le jeu. Dans cet esprit nous envisageons jusqu’à 15 ans des compétitions plus souples, et revoyons les principes de détection.
Vous évoquez une redéfinition des contenus de la formation des joueurs, du débutant à l’expert, qu’en est-il exactement ?
Les joueurs de nos sélection étaient trop des « joueurs-ballon », compétents dans la manipulation du ballon mais incapables d’en tirer profit en match. Nous avons alors décidé de partir du jeu pour qu’ils s’approprient des outils techniques, athlétiques, psychologiques, utilisables rapidement dans le jeu. Pour améliorer la conservation collective du ballon, nous travaillons toujours la passe, mais nous l’abordons en situation de contrainte. Revenus à l’essence du jeu, nous avons défini deux moments structurant du jeu : « l’équipe a le ballon » et « l’équipe n’a pas le ballon ». à partir de là nous avons défini des phases de jeu de ces situations :
• L’équipe a le ballon : conservation, progression, déséquilibre, finition.
• L’équipe n’a pas le ballon : s’opposer, récupérer, protéger son but… la notion de transition s’affinant avec le temps au gré des assimilations et des potentialités.
Des principes organisent chacune de ces phases, des moins de 6 ans jusqu’aux séniors. Nos joueuses et joueurs doivent bénéficier d’une formation au sein de laquelle les apprentissages techniques sont intégrés aux apprentissages tactiques et ce dès les débuts. Il n’y a qu’un football, la formation que nous prônons vaudra pour toutes et tous.
Un mot en particulier sur le foot et les filles ?
Le football féminin se développe. Il faut casser les codes, le football est un sport « féminin ». Les filles y sont bien et ça se voit.
Entretien réalisé par Julien Gout et Alain Becker, paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football