Qu’est-ce qu’une «vraie» femme? Le travail d’Anaïs Bohuon, sociologue du sport à l’Université de Paris Sud, met en lumière une évidence, au grand dam des autorités sportives: il est vain de vouloir couper le monde en deux catégories sexuées.
Entretien mené par Claire Pontais. Article paru dans Contrepied Hors-série n°7 – Égalité ! – Septembre 2013
Quels sont l’histoire et les enjeux de ce test de féminité ?
Dans les années 1930, certaines sportives font l’objet d’une violente remise en cause lors d’épreuves d’athlétisme, en raison de morphologies jugées trop masculines. Ces athlètes, au physique et aux performances suspectes semblent réduire l’écart entre les sexes. Au lieu d’ébranler les croyances sur la différence des sexes, les instances sportives craignent l’intrusion d’hommes dans les compétitions féminines et essayent de préserver à tout prix la bi-catégorisation sexuée au sein des compétitions. C’est pourquoi, le comité de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) décide l’instauration, en 1966, d’un test de féminité ou « contrôle de genre ». Ce test évolue au fur et à mesure qu’on en découvre les limites. Il est d’abord gynécologique et morphologique. Le sexe visible mais aussi la force musculaire devaient rester en deçà des capacités – estimées – masculines. Ainsi, on instituait l’infériorité des capacités des femmes par rapport aux hommes ! En 1968, un nouveau test tente de révéler la présence d’un deuxième chromosome X. Mais sa fiabilité est remise en cause et, en 1992, le test PCR/SRY, cherchant cette fois à établir la présence ou l’absence d’un chromosome Y, est utilisé dans toutes les compétitions internationales olympiques. Ce contrôle de « féminité » des sportives est révélateur du traitement asymétrique des sexes dans notre société. Aucun équivalent n’existant pour les hommes jamais suspectés d’être femmes. De plus, il est intéressant de voir que les soupçons se fondent sur un jugement (la féminité) alors que le test contrôle le sexe dit biologique (organes, gonades, chromosomes). Nous sommes toujours dans une forme de naturalisation du social…
Quelles ont été les conséquences sur la pratique sportive des femmes depuis sa « suppression » récente et symbolique aux JO de Sydney en 2000 ?
Aux JO de Sydney en 2000, le CIO supprime « symboliquement » le test et autorise un personnel médical à intervenir en cas de doutes sur l’identité sexuée de certaines athlètes… doutes qui ne peuvent dès lors se baser que sur une appréciation esthétique du corps de l’athlète ! Selon les généticiens, tout comme les instances dirigeantes sportives, il conviendrait alors de détecter le sexe « hormonal » , celui qui commande la masse musculaire à partir du taux d’androgènes. Mais si l’apport exogène de testostérone (le plus connu des androgènes) est considéré comme dopant, pourquoi décréter que la production endogène de testostérone puisse être un problème pour les femmes ? D’autant plus que les taux moyens de testostérone varient selon les jours, la période de la vie, le statut social et l’intensité de la pratique sportive de chacun-e, au point d’être parfois plus distant entre deux hommes qu’entre un homme et une femme. A-t-on jamais envisagé qu’un homme produisant « trop » de testostérone devrait être interdit de compétition tant qu’il n’a pas suivi un traitement visant à ramener ses taux à un niveau moyen, jugé acceptable ? En revanche, pourquoi le taux hormonal naturel de certaines athlètes devrait-il, lui, être artificiellement diminué et surtout, ne pas rentrer dans la fourchette des valeurs enregistrées chez les hommes ? Ne s’agirait-il pas de conserver ainsi l’ordre sexué et la hiérarchie du masculin sur le féminin ?
Il est intéressant de voir que les soupçons se fondent sur un jugement social (morphologie, esthétique, féminité) alors que le test contrôle le sexe dit biologique (organes, gonades, chromosomes)
Tu suggères qu’une autre classification des épreuves sportives serait moins discriminante, plus égalitaire entre les sexes ?
Sous prétexte d’égalité et afin de réguler les « avantages » de certain- e-s, pourquoi ne pas exiger que les concurrent-e-s prennent, tous et toutes, le même repas, à la même heure, qu’ils soient « génétiquement identiques », qu’ils aient le/la même entraîneur-e, les mêmes moyens, la même taille, les mêmes équipements, la même masse musculaire, etc. ? Peut-on parler d’égalité des chances lorsqu’on compare, par exemple, les pieds immenses du nageur exceptionnel Mickael Phelps et de sa faible production d’acide lactique, qui lui confèrent une suprématie indéniable sur ses concurrents ? Ces considérations que l’on peut prolonger à l’infini font de la « parfaite équité » une utopie complète. Or, et c’est là tout le problème, cet objectif de départ, obstinément réaffirmé par les instances sportives, sous-tend une politique d’exclusion dont pâtissent uniquement les femmes. Il existe en effet des avantages/désavantages innés que le classement par sexe, par taille, par âge… ne suffit pas à niveler. La production de testostérone des femmes athlètes est endogène. Pourquoi ne pas laisser concourir les athlètes qui produisent naturellement parfois plus de testostérone que la moyenne dans la catégorie qui répond à leur moi le plus profond, qui s’est lui-même construit avec ces avantages innés ?
Article paru dans Contrepied Hors-série n°7 – Égalité ! – Septembre 2013