Samuel Joshua1 est un didactitien reconnu. Il a écrit un ouvrage en 1999 qui ouvre à de nombreuses réflexions. Dans le cadre du numéro spécial « EPS et Culturalisme », nous avions choisi un extrait de ce livre qui aborde la question « technique ».
Extraits de l’ouvrage paru en 1999, éditions La Dispute p. 182, 183, 184.
(…) « Il y a un effet socialisateur de l’instauration par l’Ecole de certains rapports au savoir. Mais tout en admettant cette formule, il faut se garder d’en donner une interprétation excessive, sous peine de laisser dans l’ombre des contradictions puissantes. Si l’étude des savoirs conduite par l’Ecole peut « socialiser », c’est d’une manière spécifique, pour des fonctions particulières, sans que cette forme de socialisation puisse absorber les autres, voire seulement se les soumettre hiérarchiquement.
Cette forme spécifique a très nettement partie liée avec le recours aux pratiques écrites. L’anthropologue Jack Goudy fait de l’élaboration de la raison graphique une véritable révolution dans le type de problèmes que la pensée humaine peut désormais poser et résoudre. Cela concerne évidemment la marque écrite du langage parlé, mais aussi toutes sortes d’intermédiaires graphiques, des plus élémentaires aux plus sophistiqués (schémas fonctionnels, cartes, tableaux…). C’est que, dans tous les cas, le recours graphique, même considéré comme une « traduction », implique inévitablement une décentration : il ne va pas sans une analyse, une épuration et une reconstruction de ce qu’il s’agit de « traduire », toutes opérations qui obligent à une décontextualisation.
D’un autre côté (et c’est en fait ce qui apparaît décisif chez Goudy), il permet des opérations de pensée spécifiques qui amplifient considérablement les potentialités, entre autres le stockage et le traitement différés et systématiques des données et de relations entre données.
Bien entendu, la nature technique des intermédiaires graphiques joue un grand rôle pour caractériser la portée du recours aux moyens graphiques.
On voit alors combien il est déraisonnable de penser qu’au total les contenus étudiés comptent pour rien, et qu’en dynamique, ils pourraient être quelconque. La vraie vie n’est pas la même avec et sans recours aux pratiques écrites. Le véritable problème est qu’il y a une différence culturelle radicale, largement attestée, entre le moment de l’apprentissage d’une technique et celui où, la technique devenue routinière, seul affleure le sur-culturel, le non instrumental, « la vraie vie ». Et, de ce point de vue, la situation n’est pas différente entre l’École et toute institution imaginable où une éducation instrumentale a lieu (…).
Si bien qu’une approche trop directement culturaliste (ou ce qui revient au même ici, qui refuserait de considérer les techniques et plus largement les intermédiaires matériels, symboliques et sémiotiques comme partie centrale d’une culture donnée) sera plus ou moins conduite à banaliser et négliger l’aspect technique, au motif que l’instauration de la routine le fera paraître transparent. Cependant, la prise en compte de cet aspect de l’étude se révèle indispensable si l’on saisit non la routine constituée, mais la routine en train de se mettre en place, c’est-à-dire au moment plus ou moins fugace, de l’étude liée à l’apprentissage.
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018
- professeur de sciences de l’éducation, Université de Provence↩