Cécile Locatelli est entraîneure du pôle Espoir féminin de Vaux-en-Velin, également consultante à Eurosport. Elle évoque l’évolution qu’elle constate dans le rapport foot masculin, foot féminin. Ses initiatives la rendent optimiste, en terme d’égalité, pour l’avenir.
Quels sont tes satisfactions et tes problèmes dans l’exercice de tes fonctions?
Je ne vois pas de problèmes ; c’est un challenge formidable, je me sens bien dans mon rôle, je n’aurais pas aimé un parcours plus facile. Mais mon cas personnel n’est pas intéressant. Il faut généraliser. Si on a la compétence, on a la crédibilité. C’est vrai que c’est difficile de se faire accepter dans le foot masculin, mais je n’ai pas de problème de femme : il ya des femmes qui préfèrent s’entraîner uniquement avec des femmes, moi je préfère être la seule fille avec des garçons si l’entraînement est bon.
Tu parles du monde du foot masculin… Y a-t-il vraiment deux mondes au foot, un masculin, un féminin ?
Oui, il y a vraiment deux mondes. L’OL est un club phare du monde féminin depuis longtemps, et il y a encore des gens dans la section masculine, malgré les 3 fois championne d’Europe, les 7 fois championnes de France, qui vont raisonner en disant : elles prennent des terrains, elles prennent de l’argent aux garçons ! Rien n’est jamais acquis ! Notre Président, lui, nous soutient. Il a compris très tôt qu’en mettant un peu d’argent dans l’équipe de filles, il serait plus vite champion d’Europe… c’est le monde des affaires… Au plan médiatique, juste après la Coupe du Monde, lorsque l’équipe de France s’est mal comportée, nous avons eu une embellie : par rapport aux garçons, on présentait bien, on rendait bien à la TV ! Mais je sais que le jour où les garçons iront mal, les premières à qui on amputera le budget pour les soutenir, ce sera les filles ! Attention, je ne suis pas en train d’opposer les garçons aux filles, ça je ne veux pas. Ils ont leurs problèmes, mais dès qu’il y a de l’argent, il faut bien constater qu’on parle d’égalité et s’il n’y a pas d’argent, les filles reprennent leur statut initial et on les laisse de côté.
« Mais je sais que le jour où les garçons iront mal, les premières à qui on amputera le budget pour les soutenir, ce sera les filles ! »
Par exemple, on constate qu’il y a de plus en plus d’argent dans le foot féminin et de moins en moins d’entraîneur femme. Il n’en reste qu’une ! Je suis dans une phase d’observation, je ne veux pas tirer des conclusions hâtives, mais difficile de ne pas penser que l’argent du foot féminin attire les hommes ! Sur ce plan, je tire des signaux d’alarme, plus l’argent entre dans le foot féminin, plus les dangers que vivent les garçons nous guettent (recrutement précoce, arrêt des études…), comme si sur les aspects négatifs, on gagnait l’égalité rapidement ! Certes du point de vue des salaires, on est encore loin de l’égalité (10 000 euros pour un homme, 2 à 3000 euros pour une femme), mais on voit des signes nouveaux. Les joueuses qui avaient eu une vie active « normale » puis sont devenues professionnelles 4 ou 5 ans, qui arrêtent leur carrière et reprennent leur vie active normale ont déjà du mal à reprendre pied dans la réalité. Je me demande ce que cela sera lorsque les filles auront été d’emblée professionnelles en sortant de l’école de foot. Est-ce qu’on ne va pas vivre rapidement dans le même rythme et la même exagération que les garçons ? On est à un moment charnière où il faut qu’on se pose les bonnes questions. Mais celles-ci se débattent dans les hautes sphères… sans nous ! Et c’est pareil pour les garçons. Par exemple, est-on prêtes à passer tous les matchs à la TV ? Je n’étais pas pour, nous n’avons besoin d’être vues que dans les matchs où la qualité du spectacle est assurée, sinon, cela nous dessert.
Même chose sur la parité. J’ai eu l’occasion de rencontrer la ministre Najat-Belkacem, elle voulait imposer 25% de filles dans les fédés. Elle a été surprise de mon raisonnement quand j’ai soutenu la nécessité des compétences. Par exemple, sur l’arbitrage, on a décidé qu’il devait y avoir plus d’arbitres féminines, ça n’a pas marché parce qu’elles n’étaient pas bonnes. On a dit : on met des filles et en même temps, on les forme. Moi je dis : formez les d’abord, ensuite elles arbitrent en D1 puis progressivement à des niveaux de compétitions plus élevés. Sinon, on ne favorise pas l’arbitrage. On ne veut pas des femmes pour des femmes, on veut des femmes compétentes. Ça évoluera ensuite. C’est déjà le cas dans d’autres pays. Notre joueuse suédoise a été très surprise en arrivant en France. On a fait les championnats d’Europe en Suède, là bas, la parité H-F est intégrée, l’égalité des salaires parait naturelle. En France, la culture latine pèse encore beaucoup. Dans les ligues, les filles sont toujours considérées comme un problème : il faut leur trouver des terrains, des vestiaires… comme si pour jouer au foot, on n’en avait pas obligatoirement besoin, qu’on soit garçons ou filles.
Il ya une évolution dans le foot parce qu’il ya de l’argent, mais il n’y a pas autant d’évolution dans les mentalités ! Cela met Farid Harroud, réalisateur du film « un vrai sport de gonzesse » très en colère. Il a tourné ce film parce qu’il est très attaché au foot, et au sport féminin en général.
Peux-tu nous parler du pôle espoir ? Le fait qu’il soit à Vaulx-en-Velin, milieu populaire, a-t-il une importance?
Oui, bien sûr. Il y a une vraie ouverture sur la cité et une mixité sociale, ce qui n’est pas le cas des autres pôles espoir qui sont des lieux « hors de la vie », comme les garçons. Au-delà de mon travail sur le haut-niveau (qui tourne avec un gros budget pour 24 filles), l’aspect environnemental est important. Ça se passe bien avec les jeunes de la cité. On a monté des sections sportives avec le collège puis avec le lycée Doisneau. On n’a jamais eu de problème. On peut se promener dans Vaulx- en-Velin, il y a une vraie reconnaissance des filles qui jouent au foot. Au départ, ça surprend un peu, des blondinettes au milieu d’une population colorée, mais les Vaudrais sont très fières de leurs footballeuses.
On mène des actions avec l’USEP et le directeur de l’école primaire m’a dit que cela avait un impact sur les relations entre garçons et filles dans la cour de récré. Ça me parait très important, les nouvelles générations ne se poseront plus la question du foot féminin ou masculin, ça paraitra naturel qu’une fille joue au foot. En UNSS, on a fait jouer les élèves ensemble, pas les garçons contre les filles, mais garçons et filles en semble, et les garçons aiment beaucoup ça ! C’est l’école de la vie, c’est ce qui m’intéresse ! Je souhaite que les filles soient des futures étudiantes, des bonnes citoyennes. Si on réussit ça, on n’aura pas perdu notre temps !
Entretien réalisé par Claire Pontais et paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football