Nina Charlier enseigne au collège Langevin Wallon de Blainville sur Orne. Son expérience rend compte des conditions qui ont fait qu’aujourd’hui la programmation de l’escalade passe par une transformation de l’utilisation des différentes procédures d’apprentissage.
Comment l’activité a t elle démarré en collège ?
L’escalade a démarré en 92/93 dans le cadre de l’association Sportive du district d’Hérouville St Clair (Calvados). Nous disposions d’un mur de 10 couloirs équipés pour grimper en tête. Nous avons lancé un centre de formation escalade ouvert à tous les élèves des AS du district. C’était le lundi pour ne pas faire concurrence aux autres activités proposées par l’AS. C’était un projet collectif inter établissement, nous travaillions en équipe. Cinq/six enseignants non spécialistes qui avaient fait un stage de formation continue encadraient l’activité d’une soixantaine d’élèves du district. Ce travail a été d’une grande richesse car nous avons construit collectivement des compétences professionnelles en mettant au cœur de notre activité les apprentissages des élèves.
Quelles étaient vos options pédagogiques au début ?
Nous n’avions qu’une pratique limitée à l’escalade en falaise ( Clécy dans le Calvados ) ; Nous avons reproduit le contexte de ce type d’escalade, et pour éviter d’induire des comportements irresponsables. Paul Goirand à propos de la gymnastique parle de « l’effet mousse ». D’autre part, nous avons fait le pari de ne pas démarrer par la moulinette et les résultats ont été excellents. L’activité étant authentique les élèves s’investissaient à fond. La troisième richesse était la possibilité d’échange avec les élèves de tous les collèges participatifs. A une période où les relations entre les élèves étaient tendues, en particulier lors des matches de sport co, l’escalade dont il n’existait pas encore de compétition scolaire, en entretenant des valeurs d’entraide, retissait des liens basés sur les progrès et la réussite entre les jeunes. Ils et elles se côtoyaient en dehors du système traditionnel de compétition des districts.
Dans les années 2000, nous avons eu accès à une magnifique salle spécialisée, à Hérouville avec 150 voies de tout niveau. Nous avons pu bénéficier de ce nouvel outil pour notre district qui aujourd’hui encore continue de fonctionner. J’essaie encore de faire fonctionner cette idée d’échange et de soutien en invitant régulièrement des élèves d’autres établissement, y compris avec des lycéens dont le niveau peut être un bon moyen d’échanger les compétences.
Quand as-tu débuté l’escalade en Education Physique et sportive obligatoire ?
En 2003, notre collège bénéficie d’une nouvelle salle avec un mur d’escalade. Nous pouvons alors transposer nos acquis de l’association sportive à nos classes. Nous proposons un cycle en 6ème et en 5ème. Les élèves prolongent leurs acquis à l’AS organisée dans un créneau fixe toute l’année, ce qui a l’avantage de fidéliser nos adhérent-es. 70% de filles sont des pratiquantes assidues de cette AS. L’escalade bénéficie maintenant dans notre collège d’une forte identité.
Concernant l’entrée dans l’activité, il n’y a pas de différence fondamentales entre un débutant en EPS et un débutant à l’AS . Les options sont les mêmes : la sécurité ne prime pas sur les apprentissages mais est consubstantielle des apprentissages pour être rapidement autonome et suffisamment compétent pour atteindre le sommet. En A.S, on propose aux élèves confirmé-es de prendre en charge les débutant-es (« le quart d’heure solidaire ») . En un mois, la plupart des élèves peuvent se débrouiller en tête sur des voies faciles d’accès.
Trop souvent en milieu scolaire c’est la moulinette qui domine1. Comment expliques tu votre réussite avec des options didactiques aussi radicales alors que vous n’étiez pas spécialiste ?
Il est probable que le fait de ne pas être « spécialiste » ait favorisé cette entrée dans l’activité.
Comme en natation (Catteau et les non nageurs) ou en gymnastique ( Goirand) nous ne voulions pas transiger sur les contenus culturels proposés en EPS. De même qu’on n’apprend pas à nager dans 80cm d’eau, il nous a semblé qu’on n’apprenait pas à grimper suspendu au bout d’une corde…Nous utilisons la moulinette quand les acquis sont suffisants à des fins de meilleure technicité, pour travailler un mouvement ou un passage difficile..l’inverse de ce qui est donc préconisé aujourd’hui dans les textes réglementaires de l’éducation nationale
Pour éclairer les collègues, pourrais tu décrire les grandes lignes des premières séances et les évolutions significatives jusqu’à la troisième ?
Nos élèves bénéficient de 2 cycles d’environ 18h chacun. Nous avons construit des « brevets » de compétences qui intègrent des voies bien identifiées et connues pour poser des problèmes de leur niveau : améliorer le travail de poussée des jambes, construire des équilibres inédits (par ex, des voies qui utilisent des angles), une moulinette aménagée avec un capteur (voie à l’aveugle ou pieds ou mains reliés), un rappel ( simple au niveau 1 et avec manipulation de corde et relais au niveau 3)
Les élèves disposent de 5 épreuves en 3 niveaux, quinze épreuves possibles…
En 3ème, les élèves ont le choix entre Course d’orientation, VTT ou escalade. Le niveau requis en escalade dépasse largement le niveau prescrit par les textes (niveau bac plutôt que diplôme national du brevet). J’essaie de finir le stage (21h de pratique répartis sur deux journées et demi) par une épreuve en tête à vue, épreuve que je choisis pour chaque élève au-dessus du niveau de la voie la plus difficile réussie pendant le stage. Je privilégie l’émotion et l’engagement, moment extrêmement enrichissant pour un-e pratiquant-e (faire mieux que je pensais pouvoir réussir)
Concernant l’acquisition de l’assurage, peux tu préciser les procédures qui te paraissent les plus efficace au fil du temps ?
C’est le moment du cycle le plus difficile…Pour faire ses premiers pas à la verticale, il faut pouvoir développer des compétences de grimpeurs-euse mais aussi d’assureur-euses Il est donc de première importance de construire ce rapport. Pour accéder en haut d’une voie, des cordées doivent être mises en place. Il s’agit dans un premier temps d’apprendre à s’encorder. Pour faciliter ce moment, j’ai coupé des cordes ( 2/3m) afin que chaque cordée puisse en disposer facilement ( ne pas devoir lover sa corde à chaque manipulation) ; Tous les jeux sont possibles : aller plus vite que son/sa partenaire, la cordée la plus rapide, s’encorder les yeux fermés…
Ensuite, je prépare mon mur en passant une corde dans chaque première dégaine (autant de voies, si possible que de cordées) l’un-e s’encorde pendant que l’autre va apprendre à manipuler l’assurage. Le/la grimpeur-euse va essayer de « se sauver » pendant que l’assureur-euse va essayer d’arrêter son déplacement. Il/elle doit alors le ramener près du mur en apprenant à avaler sa corde. Après avoir changé les rôles, l’ascension en cordée peut commencer. Le/la première de cordée grimpe afin d’atteindre la 2ème dégaine. Pas de risque au départ puisque la corde est déjà passée dans la première dégaine et que le /la second-e de cordée sait « avaler ». La cordée va ainsi progresser en alternant monter/ assurer pour aller le plus haut possible.
J’ajoute que les cordées ne sont pas laissées à l’initiative des élèves… il peut être dangereux de faire confiance à son copain ou à sa copine sans se référer à son niveau d’apprentissage des conditions de la sécurité. En EPS, apprendre ensemble suppose de pouvoir modifier à l’envi les groupes et cordées afin de faire passer les relations par les compétences. Il m’a semblé obtenir une meilleure concentration quand il s’agit de faire confiance à des personnes au-delà de mon entourage proche.
La pratique montre qu’il n’y a pas plus de danger à promouvoir une escalade en cordée autonome qu’en moulinette pour laquelle les élèves n’apprennent qu’à avaler de la corde, apprentissage qu’il faut remettre en cause dès qu’on veut les faire grimper en tête.
Pour ma part, j’ai essayé de trouver des alternatives aux questions sécuritaires qui ne génèrent pas de stress et permettent de mettre en confiance dans des « vrais apprentissages », trouver des vraies situations à des vrais problèmes. Les risques de chute sont si rares qu’il faut inventer des situations dans lesquelles les jeunes apprennent à tomber !
Quels enseignements retires-tu de cet enseignement et animation de l’escalade ?
C’est en basket dont j’étais spécialiste et en escalade où je ne l’étais pas, que j’ai eu le plus de satisfaction professionnelle. En escalade, j’ai dû chercher, expérimenter, me documenter, être en perpétuelle activité de recherche. La construction des compétences professionnelles se fait alors avec une forte prédominance de l’observation des élèves et des réponses qu’ils/elles apportent aux propositions.
Tu souhaites insister sur la pertinence de l’escalade pour les filles, pourquoi ?
Les ressources sollicitées en escalade sont très diverses : souplesse, agilité, tonicité, coordination. La force musculaire, si elle est un atout n’est pas décisive.
Ces ressources s’ajoutent à des qualités morales (l’entraide et la coopération) et des qualités psychologiques (ténacité, volonté, engagement). Quand on débute l’escalade, ce sont surtout les qualités morales qui font franchir des caps
Parce qu’elles sont souvent sollicitées à l’école sur ces registres, les filles peuvent ainsi avoir un « rendement » beaucoup moins discriminant que dans d’autres activités. Si on est attentif aux voies proposées, elles progressent vite et leurs nouvelles compétences leur permettent de trouver en escalade un terrain sportif où elles peuvent vraiment s’exprimer
Du coup c’est une activité extrêmement riche pour « apprendre ensemble ».
Des liens durables se sont crées avec les anciennes élèves qui reviennent régulièrement partager des entrainements commun en AS. J’ai eu des jeunes filles qui ont atteint un haut niveau très intéressant2, et par exemple lors des dernières compétitions UNSS régionale une de mes équipes est arrivée juste derrière les deux équipes des sections sportives. Il est notable également que mes équipes sont quasiment systématiquement paritaires, parce que les filles, très fidélisées à l’AS sont en progrès constants et peuvent faire jeu égal avec les garçons. Il y aurait d’ailleurs tout lieu de revoir les modalités compétitives de l’UNSS qui obligent la mixité, concession faite aux filles, mais qui devrait maintenant obliger à la parité, puisque le potentiel existe largement. Ce serait une reconnaissance de la forte proportion des filles dans nos AS et dans leurs compétences.
Cet entretien réalisé par Sébastien Molénat est tiré du Contrepied Escalade (Hors-Série n°11 – Janv 2015).