L’évolution des connaissances scientifiques sur le football en France

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Alain Lemoine, Professeur Agrégé EPS, Docteur en Staps, membre de l’ACFF répond aux questions d’Yvon Léziart concernant l’association des chercheurs francophones en football. Cette association crée en 2006, organise des colloques réguliers, cherche à regrouper toutes les publications scientifiques et structure un réseau de chercheurs.

A. Lemoine présente dans ce texte, les différentes phases de développement de la recherche sur le football et dresse un inventaire des champs scientifiques particulièrement investis dans ces recherches. Cet article, qui ne peut pas aborder tous les champs scientifiques étudiant le football, se centre sur l’entraînement et les techniques.


Le Football est un jeu simple dans sa définition mais particulièrement complexe dans son analyse. Parce qu’il se pratique sur un grand terrain avec des équipes constituées de nombreux joueurs, les phénomènes produits par le jeu peuvent alors être traversés par de nombreux champs théoriques. Historiquement, la France s’est toujours montrée frileuse quant à l’apport des connaissances scientifiques pour comprendre et améliorer l’analyse du jeu et le comportement des joueurs. Solidement ancrés sur des positions pragmatiques et pratiques, les chercheurs ont souvent été considérés par les techniciens comme des « empêcheurs d’aller au but ». Ce bref propos vise donc à comprendre l’évolution des connaissances scientifiques sur le football qui ont vraiment émergé à partir de la constitution des STAPS en 1975.

Une approche techniciste.

L’avant STAPS est marqué par des productions de techniciens qui livrent le plus souvent une analyse technique et parfois tactique du football. Naviguant entre associationnisme et innéisme, Cros & Mercier (1964) publient des carnets techniques dans lesquels la technique d’intervention sur le ballon est prioritaire. L’équipe n’est qu’une juxtaposition, une somme d’éléments : les joueurs réunis par le match produisent pendant celui-ci, des « enchaînements collectifs fixés à l’avance ».
Teissié (1961), professeur à l’ENSEP analyse le premier, le jeu sur des « bases rationnelles ». Il développe l’idée que les systèmes de jeu reposent « sur des structures géométriques changeantes ». Il est précurseur des recherches à venir. Dans les années soixante-dix, des enseignants Dufour (1974), Frantz (1975) mobilisent la psychologie du développement (Piaget) ou s’appuient sur des théoriciens étrangers (Malho, Buytendijk) pour expliquer le comportement du joueur. Les écrits révèlent le plus souvent une analyse théorique approfondie sans adossement à un paradigme scientifique particulier.
Le développement du football professionnel et la volonté du Directeur Technique National Boulogne, de mieux former les entraîneurs vont influencer, à partir des années 60, le contenu des stages nationaux d’entraîneurs. Des données nouvelles telles que la médecine, l’anatomie, la physiologie, la psychologie, les sciences humaines, la stratégie, la technique montrent la volonté de « scientifiser l’entraînement » (Grün, 2013). La préparation athlétique reste cependant la principale préoccupation. Dans le même temps, de nombreux ouvrages écrits par des techniciens, entraîneurs ou journalistes apportent une analyse du football qui se veut pratique et où la connaissance scientifique est peu présente : Garel (1973), Mercier (1981), Laurier (1985).

L’arrivée des STAPS

On peut situer à l’année 1989, le début de la constitution du corpus scientifique concernant le football. La parution du livre de Dugrand Football : de la transparence à la complexité et la thèse STAPS soutenue par Gréhaigne « Football de mouvement, vers une approche systémique du jeu » sont les premiers travaux scientifiques qui utilisent des outils théoriques afin de rendre compte de l’activité des joueurs et de l’équipe. S’il existe encore un maximum de publications relatives à l’aspect athlétique ou traumatologique, les travaux d’auteurs en voie de certifications universitaires vont faire avancer les connaissances. La psychologie cognitive est sollicitée par Garbarino (1997) pour expliquer l’habileté du joueur sans ballon ou encore par Lerda (1993). La sociologie est mobilisée pour expliquer des comportements nouveaux chez les supporters : Essai de sociologie des supporters de football : une enquête à Lens et à Lille (Nuytens, 2000).
à cette période, la recherche spécifique sur le football menée dans des laboratoires universitaires ne connait pas encore son plein développement au contraire de l’Angleterre où l’Université John Moores de Liverpool propose des enseignements traitant entre autres de l’application des sciences au domaine de football. La relation entre le Liverpool FC et les chercheurs est activée et efficace.
Il faut attendre le début des années 2000 pour voir la recherche francophone en football bénéficier d’un élan nouveau. H. Ripoll, psychologue de formation, intègre le LSIS de Marseille qui recouvre plusieurs domaines : l’Informatique, l’Automatique et l’Image. La mise en commun des différents domaines permet une recherche approfondie sur les processus mentaux, le traitement de l’information et la décision en football. Il élabore, avec son équipe, un simulateur d’entraînement, le « SimulFoot ». Plus généralement le football devient un objet d’étude traversé par de plus en plus de champs scientifiques.

Naissance de l’ACFF

C’est dans ce contexte que l’Association des Chercheurs Francophones en Football (ACFF) nait en 2006. Fruit de la volonté d’Universitaires-Chercheurs-Footballeurs de faire avancer et diffuser les connaissances sur le football, sa vocation est alors d’organiser des colloques et de mettre en relation tous ceux qui réfléchissent au football. Rassembler et faire connaitre sont les objectifs des fondateurs de l’ACFF. Même si la recherche est éclatée dans de nombreux laboratoires différents, les articles soumis à des revues indexées se multiplient. La diversité des théories mobilisées pour expliquer les activités sportives et plus particulièrement le football ouvre de nouvelles perspectives.
La préparation athlétique elle aussi bénéficie des nouvelles technologies mais n’est plus centrale dans les réflexions des techniciens. L’utilisation de l’informatique et du recueil de données au cours des matchs permet d’avoir enfin des données objectives sur l’effort du footballeur en match. Le procédé AMISCO (1995) repose sur l’enregistrement des matchs pour ensuite produire des statistiques. Dernièrement, l’utilisation des GPS individuels permet un équipement plus léger et un traitement des données immédiat.
La psychologie du sport intègre les staffs techniques. La préparation mentale des joueurs complète les actions de l’entraîneur dans certains clubs (Traverse, 2009).
L’ergonomie cognitive aide quant à elle à la compréhension de l’activité décisionnelle en situation dynamique collaborative. Les travaux menés par Bossard (2012) au Centre Européen de Réalité Virtuelle (CERV) vise à créer un Environnement simulant des situations de jeu au football : le CoPeFoot (Collective Perception Football) explicite les décisions du joueur dans le jeu.
La cognition située est également présente. Villemain & Haw (2009) s’intéressent à l’activité du gardien de but en mettant en lien : le stress, la confiance en soi, l’agressivité et la concentration. Ils utilisent l’entretien d’explicitation pour mettre les sujets en évocation.
Dans le même temps la Fédération Française de Football a mis en place une cellule de recherche (2010) pilotée par la Direction Technique Nationale et composée d’entraîneurs nationaux et de chercheurs reconnus pour leur compétence. Prolongeant le travail amorcé par Boulogne et Robert en leur temps, cette structure a pour vocation de répondre à des demandes précises de la DTN : contrôle et suivi de l’entraînement, détection des talents.

« La nécessité pour les techniciens de gérer un football de plus en plus performant les a incités à considérer le chercheur non plus comme un intrus mais comme un collaborateur possible. »

Conclusion

Les connaissances scientifiques sur le football se sont diversifiées et ne sont plus uniquement centrées sur la préparation athlétique ou la traumatologie. La nécessité pour les techniciens de gérer un football de plus en plus performant les a incités à considérer le chercheur non plus comme un intrus mais comme un collaborateur possible. Pour l’ACFF, le recensement des travaux sur le football est difficile mais primordial. Son souhait est maintenant d’être à l’origine de nouvelles recherches collaboratives regroupement des chercheurs venus d’horizons scientifiques différents.

Entretien réalisé par Yvon Léziart et paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football