L’individualisation : une réponse à l’exclusion sociale ?

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En partant de mes propres travaux et en empruntant à des recherches réalisées par des collègues, j’essaierai de répondre à la question « L’individualisation : une réponse à l’exclusion sociale ? », en posant cette question à trois niveaux. La première partie s’appellera « l’individualisation dans la classe : inégalités, compensation, lien social et leurre ». Dans la deuxième partie on essaiera de remonter en généralité : de l’individualisation dans la classe à « l’individualisation dans le système scolaire », et notamment l’individualisation dans le traitement de la difficulté scolaire. Et la troisième partie, en remontant encore d’un cran, s’appellera « l’individualisation dans le système économique et dans la société », en traitant de la relation entre les contradictions qui sont dans la société et celles dans la salle de classe. Le mouvement de l’exposé consiste donc à aller de ce qu’il y a de plus « petit » dans le quotidien à ce qu’il y a de plus global au niveau de la société.


L’individualisation dans la classe : inégalités, compensation, lien social et leurre
De quoi parle-t-on quand on parle d’individualisation ? Notons que cette rhétorique de l’individualisation, de la pédagogie individualisée, a gagné du terrain, voire est apparue dans l’école, en même temps que certaines phases de démocratisation, en l’occurrence la phase de création de l’école unique, ce qui ne peut pas être un hasard. Dès cette époque, le système créé était travaillé par une contradiction entre une logique de démocratisation et une logique de sélection–mise en concurrence. Avant d’en revenir à l’individualisation dans le système scolaire, regardons comment l’individualisation se traduit dans la classe, dans ce que j’ai appelé des « dispositifs pédagogiques » (Bonnéry, 2007). J’entends par là des dispositifs récurrents, de classe en classe, abstraction faite de la façon d’enseigner propre à chaque professeur. Il ne s’agit pas de dire que ce que je vais décrire s’observe dans toutes les classes et dans chaque classe à tous les moments, mais il s’agit de tendances lourdes, observables avec récurrence, et dont on peut observer les effets de façon tendancielle. Cela mériterait d’être nuancé et complété par d’autres enquêtes (j’ai enquêté dans des classes d’enseignants « moyens » au sens où il ne s’agissait ni de néo-titulaires ni de très anciens enseignants, ni de militants pédagogiques, ni de personnes en lien avec des réseaux de didacticiens… bref, des enseignants de bonne volonté mais qui n’ont pas de fragilités pédagogiques particulières ni d’outils plus spécifiques que la moyenne).

Donc, l’individualisation, comment se traduit-elle ? Elle se traduit non pas à partir d’une logique pure « d’individu », mais à partir d’une conception du commun. Autrement dit, il n’y a pas d’un côté une pédagogie individualisée et de l’autre côté une pédagogie commune, mais un entremêlement des deux. C’est le rapport entre les deux qui est à interroger, quand dans la même classe on enseigne à tous les élèves, ce qui contribue à démocratiser, en même temps que l’on sélectionne.

Je m’appuierai ici notamment sur un ouvrage tiré de mes travaux (Bonnéry, 2007), mais aussi sur des recherches plus récentes (Bonnéry, 2009a ; 2009b), menées dans le cadre de l’équipe ESCOL et du réseau RESEIDA , et plus largement sur les acquis de la sociologie de l’éducation.

Plusieurs scenarii se mélangent dans le dispositif pédagogique. Il y a un scenario général de la scéance, qui répond à une première logique que Bourdieu et Passeron (1964) appelaient « l’indifférence aux différences », et des sous-scenarii qui relèvent d’une autre logique, que l’on appellera la « sur-attention particulariste aux différences ».

« L’indifférence aux différences », c’est quand l’école est inégale « passivement ». Ainsi, le scenario général du dispositif pédagogique est modelé autour de grands enchaînements dans le temps, l’espace et les tâches, qui relèvent de conceptions mises en actes pour tous les élèves, indifféremment à ce qu’ils sont ; mais ce modèle social implicite de « l’élève normal », à partir duquel est défini ce qui est censé permettre l’appropriation « spontanée » pour chacun, se trouve correspondre à l’élève qui est dans la connivence avec les évidences scolaires, avec ce qui est appelé dans le livre (Bonnéry, 2007), les « délits d’initiés de la culture scolaire ». Autrement dit, c’est une posture qui pourrait paraître universaliste, mais dont le point de repère de ce qu’est un apprenant normal repose sur ce que sont une partie des enfants, ceux qui à la maison sont éduqués pas seulement comme des enfants mais aussi en même temps comme des sujets cognitifs en intégrant à al vie familiale la forme scolaire de socialisation (Lahire, 1993 ; Thin, 1998). Ces dispositifs supposent que l’élève soit spontanément un enquêteur sur le sens que l’enseignant veut donner au dispositif, et que l’élève soit spontanément en train de se dire « mais qu’est-ce que l’enseignant veut nous faire apprendre au travers de la tâche qu’il nous propose ? » Cela nous interroge, car autant je peux être convaincu, avec l’éducation nouvelle, qu’il faut encourager les élèves à être des apprentis-chercheurs, autant cela pose un problème de considérer comme évident que les élèves doivent spontanément se comporter comme tels, au lieu de construire ces postures-là.

Je vais prendre un exemple que j’ai souvent évoqué, mais justement, la façon de l’exposer est rodée et cela permet de gagner du temps. Il s’agit d’un dispositif dans lequel on va essayer de faire colorier aux élèves une carte de géographie à partir de la signification du code (de quelle couleur on colorie chaque palier d’altitude du relief ?) et l’idée qui pilote le dispositif, le scenario, c’est que d’abord, on va mettre les élèves dans une phase dite de recherche, dite de construction de savoirs. « Dite » car, s’il y a quelque chose à apprendre pour l’enseignant et les modèles d’apprentissage qui influencent le dispositif, on va voir que pour des élèves, c’est loin d’être l’occasion d’une construction de savoir, ils n’apprennent rien. Car cette première phase peut être résolue sans recours à la notion. Dans cet exemple, un des élèves que j’ai suivis arrivait à « morceler la tâche » (Butlen, Peltier, Pézard, 2003) de coloriage de la carte en une série de micro-tâches (comment colorier isolément chacune des zones de la carte) de telle sorte que l’on contourne l’enjeu de savoir du dispositif. Quand l’enseignante dit « cette zone-là, vous allez la colorier en marron foncé parce que la légende symbolise un palier d’altitude… » les informations sur le code sont ignorées par une part des élèves qui ne perçoivent là que les indications sur le marron pour colorier telle zone précisément. Pour les colorier de façon conforme, il n’y a pas besoin d’en savoir davantage, tout le reste est évacué. Ce type de dispositif est à interroger car s’il peut apparaitre pertinent de conduire les élèves à comparer les raisons pour lesquelles on colorie des zones de couleur identique ou différente, car il y a là une activité intellectuelle potentielle à faire conduire, il reste que le cadrage de la tâche de coloriage proposé par le dispositif ne permet pas d’attirer l’attention de l’élève sur l’objet de savoir. On a là une disjonction entre l’objectif d’enseignement et ce vers quoi la tâche conduit.

Ce scenario global comprend donc une première phase avec une tâche qui ne conduit pas forcément vers le savoir, et est suivi d’une deuxième phase dite d’institutionnalisation ou de formalisation, où ce que l’on formalise, ce n’est pas ce que tous les élèves ont construit ou compris, mais seulement ce que les « bons élèves » énoncent à haute voix quand on donne les « solutions » de la première tâche où il fallait « construire » le savoir. Il faut comprendre ce qui conduit à cela.

Dans le dispositif, ce qui est donné à l’état pratique, c’est la situation dans laquelle les enseignants sont mis, par les interdits qui pèsent sur eux : « je n’ai pas le droit d’énoncer le savoir moi-même », « je ne dois pas faire ceci et cela… ». Cette liste d’interdits n’est visiblement pas accompagnée d’outils pour savoir comment faire. Ainsi, dans les classes où j’ai enquêté, ce qui pilote le dispositif, c’est une tentative de « s’en sortir » face à ces interdits, bien plus qu’une conception rationnalisée des formes de transmission adéquates pour que tous les élèves s’approprient le savoir.

Ainsi, dans cette seconde phase du scenario, l’enseignant sollicite particulièrement les « bons élèves » pour qu’ils disent à haute voix ce que les autres étaient censés construire. Ces élèves ne connaissaient pas le savoir qui était en jeu dans cette tâche, mais savaient que dans celle-ci il allait falloir découvrir et comprendre un savoir. Cette minorité d’élèves a donc appris pendant la séance le savoir spécifique qui était en jeu, mais ils n’ont pas compris pendant la séance qu’ils étaient là pour apprendre quelque chose, ils le savaient déjà. Il est resté implicite dans ce dispositif qu’on devait y apprendre quelque chose, que chacune des tâches dans l’univers scolaire, comme dans le monde « savant », repose sur le passage systématique entre conception ordinaire et conception savante, ce que le jargon enseignant désigne par « transférer », « conceptualiser », « décontextualiser / recontextualiser », passer sans cesse du cas appliqué à la notion générique et inversement.

La troisième phase du scenario, dite de vérification ou application, est celle où souvent les choses se crispent quand le mode de contrôle ne laisse pas la place au morcellement de la tâche, ne permet pas une réussite ponctuelle sur la tâche déconnectée des savoirs. Dans la façon dont est structuré l’enchaînement de ces trois phases, on est sur un scenario global qui relève de « l’indifférence aux différences ». Le modèle implicite d’élève normal dans le scenario, c’est l’élève qui a déjà les pré-requis pour comprendre que dans cette séance on va lui tendre la perche à mi-chemin et qui sait que c’est à lui à faire l’autre moitié du chemin dans la situation. Ceux qui savent qu’on est là pour construire un savoir, qui savent qu’ils sont là pour le découvrir, etc., possèdent l’organisateur logique du scenario qui structure le dispositif et que l’on pourrait réserver trivialement par « la recherche de ce que l’enseignant essaie de nous faire découvrir ». Sans cet organisateur logique, il semble bien difficile de s’en sortir. Ainsi, l’école est inégale passivement : en étant indifférence aux différences, c’est-à-dire avec des dispositifs qui exigent des pré-requis qu’ils ne délivrent pas. Les élèves que j’ai observés, dans la plupart des cas, ne s’en sortent pas, ils peuvent avoir des réussites ponctuelles, ce qui produit un effet de leurre mais aussi des effets provisoirement positifs de non-décrochage, car ils ne se sentent pas exclus de l’activité scolaire.

Si cela se produit, c’est du fait d’une seconde logique, qui s’interpénètre avec la première : l’école est inégale activement. Parce qu’il est « conçu » (au sens des conceptions ambiantes qui modèlent le dispositif) que tous les élèves ne peuvent pas apprendre dans le scenario global, le dispositif intègre une façon de faire spécialement différente pour ces élèves-là. Ainsi, dans la première phase du scenario, il y a des sous-scenarii à tiroirs, notamment au travers des interactions (de type récurrent) qui vont individualiser les objectifs, qui vont individualiser les objets d’apprentissage, qui vont individualiser l’engagement dans la tâche. Ce qui va permettre, par exemple sur la carte de géographie, que les élèves repartent de la première séance en ayant « tout juste » sur le coloriage des différentes zones : « – Madame, cette patate, là… – C’est pas une patate, je l’ai dit cinquante fois, c’est une zone qui… – Oui, mais on la colorie avec ce marron-là ? – Mais non, je l’ai déjà dit et répété, c’est le vert le plus clair parce que… » Et à ce moment-là, l’élève se met à colorier la zone de façon conforme, parce qu’il a l’information qui le lui permet, et ainsi de suite, au nom de principes qui peuvent s’entendre (il faut que tous les élèves soient mobilisés dans la tâche) on va céder d’autant plus facilement de terrain, en cédant à l’activisme à la place de l’activité intellectuelle. Du travail déconnecté des objets avec des objectifs individualisés au lieu de travail de chaque élève sur les objets dans un cadre collectif.

Un autre exemple me semble important sur ce que cela produit. Dans une autre classe, en CM2, le dispositif pédagogique observé vise à faire construire aux élèves la notion de conduction dans un circuit électrique, et construire la notion de « représentation ». Le dispositif est basé sur une démarche d’archéologie des savoirs, empruntée à un manuel. Le scenario commence par la fabrication d’un interrupteur.

Dans l’exemple précédent, une des séances vise à familiariser les élèves avec l’utilisation de schémas et de symboles. L’enseignant fait passer les élèves par une première étape de construction d’un interrupteur sur le modèle élaboré par les premiers savants qui ont travaillé sur l’électricité. Il s’agit d’un dispositif pédagogique « d’archéologie des savoirs » : en leur montrant les raisons pour lesquelles le savoir a été découvert et formalisé de telle façon, les élèves sont sensés mieux le comprendre et se l’approprier. Nous représentons ci-dessous la vue aérienne de la construction qui doit conduire, selon le manuel utilisé, à comprendre que l’objet réel « interrupteur » peut être représenté de façon formalisée et codifiée par le symbole de l’interrupteur universel que l’on connaît aujourd’hui.

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Les élèves ont fabriqué un interrupteur électrique sur le modèle de celui qu’ont fabriqué les savants qui à l’époque l’ont inventé. Dans l’esprit du manuel de technologie, l’utilisation de l’objet réel vise à faire comprendre les raisons pour lesquelles le symbole de l’interrupteur est tel qu’on le connait aujourd’hui, symbolisant les éléments conducteurs d’électricité dans l’objet réel (clous, lamelle, fils), mais pas la planchette, élément isolant qui n’est là que pour faciliter les manipulations.

Cette conception structure le scenario général du dispositif. Mais comme l’enseignante se dit « ces élèves-là ne sont pas des abstraits », « ils sont concrets », « il faut les motiver pour les choses conceptuelles », « l’an prochain au collège, ils vont rencontrer des difficultés avec ces savoirs conceptuels », elle va essayer de mettre en place des échelons intermédiaires. La première séance des six semaines va par conséquent être consacrée à la fabrication « individuelle », d’un interrupteur « personnel » sur lequel chacun marquera son prénom. Beaucoup d’élèves de ce quartier populaire, surtout les garçons, sont très mobilisés dans cette première séance sur des logiques de bricolage. Ils ne voient pas en quoi les explications que donne la maîtresse à la fin de la première séance sont d’un statut et d’une importance tout autre que les multiples consignes et régulations liées à la fabrication qui ont été données dans la séance : l’attention des élèves n’est pas cadrée sur l’essentiel, les savoirs se perdent dans la somme de paroles et d’action ; même le fait de recopier sur une feuille le schéma ci-dessus semble très déconnecté de la séance qu’ils viennent de vivre.

Lors de la séance suivante, la maitresse commence par « la dernière fois on a vu comment on symbolise l’interrupteur ». Pour des élèves dont on va parler, qui s’appellent Rafik et Dorda, cette formule renvoie au moment où ils ont copié sans avoir rien « construit » comme savoir. Ainsi, quand la séance se poursuit par le fait que l’on « représente » ou « symbolise » une ampoule par « un rond avec une croix dedans », ou un « générateur » ou « pile » avec le symbole approprié, pour beaucoup d’élèves, l’objectif de la séance d’archéologie de savoirs a échoué : ils n’ont pas de point de comparaison permettant d’identifier l’existence d’une bonne raison historique à cette représentation arbitraire, liée aux questions de conduction d’électricité. Comme pour la planchette, ils doivent « accepter » le savoir révélé. Lors de cette deuxième séance, Leïla, une bonne élève, intervient en disant que le « rond avec la croix de dans » ne devrait pas seulement représenter l’ampoule, mais aussi le support d’ampoule (avec un pas de vis permettant de fixer l’ampoule et de mieux la manipuler et la connecter grâce à des bornes sur le support). L’enseignante, prise au dépourvu par la situation, finit par accepter la proposition, car le support d’ampoule est conducteur, sans trop l’expliciter, et inscrit au tableau : «  = ampoule + support d’ampoule ». Alors, Dorda lève le doigt et demande à ce que le symbole de l’interrupteur symbolise « interrupteur + planchette », parce que, dit-il, « moi la planchette, je la vois pas dedans ». Les critères de conduction d’électricité étant restés très flous précédemment, les explications dans lesquelles se lance l’enseignante convainquent peu Dorda. Rafik, à côté de lui, se penchent à son oreille et lui glisse « non, mais laisse tomber, Leïla, c’est la chouchou ».

Au-delà de l’exemple, ce qui est important, c’est qu’en individualisant les objets d’apprentissage, on individualise ce qui fait norme, en sacrifiant ce qui fait la normativité des apprentissages, donc en rabattant cela sur de la normalisation (Rochex, 1993 ; Martin et Bonnéry, 2002). On est entre l’obéissance à des ordres, et la transaction avec l’enseignant pour faire retenir dans la « leçon » ce qui est son propre avis, ses envies, ses impressions. On n’est pas là dans une logique de savoir et de compréhension. Ceci découle du scenario, pensé pour que chacun participe à l’activité, ce qui dans cette conception est nécessaire pour « construire » le savoir. On laisse croire aux élèves que l’essentiel est de participer, et de faire enregistrer sa participation dans le pot commun du « vivre ensemble », du « lien social » de la classe, sans critère de choix reliés à la normativité des savoirs. On voit là combien les logiques de lien social et les logiques d’apprentissages se télescopent dans le dispositif, justement parce que l’on a scindé ce qui relève d’une part du commun du savoir « universalisé » et d’autre part ce qui relève de l’individualisé, au lieu que le dispositif conduise chacun à l’identification de ce qui est le savoir qu’on va apprendre en commun. Le deux sont ici disjoints car au fond, ce qui pilote ce scenario à tiroirs, c’est que l’élève normal est celui qui, spontanément, est en phase avec les évidences scolaires et que pour les autres il faut « s’adapter », faire « autre chose ».

En cascade, cela conduit à ce que lorsque l’école ne se voit pas dotée des conditions pour enseigner à tous, l’étape suivante, si dans la classe on n’arrive pas à s’adapter à ces élèves, c’est de s’adapter à eux ailleurs qu’en classe : on va faire du soutien, de la remédiation, de plus en plus « hors l’école », et de moins en moins confié à des enseignants. Alors qu’au contraire, ce qui est en jeu me semble-t-il, c’est la redéfinition de ce qui doit être enseigné à tous et des modalités pour y parvenir.

Parce que le second aspect du scenario, celui de l’adaptation, de l’individualisation, prend corps en s’imposant aux praticiens qui sont démunis quand les outils pour enseigner à tous ensemble ne sont pas adéquats. La rhétorique de la pédagogie individualisée, peu importe que ce soit l’intention initiale ou pas, fonctionne comme justification du renoncement à ce que tous apprennent en vrai les mêmes savoirs du programme de la scolarité unique ; le fond et la forme ne pouvant pas vraiment être disjoints, quand on décide de prendre des formes différentes, on vise de fait un autre objectif.

Les élève que j’ai suivis ne sont pas des cas « à part », ils ne sont pas des élèves « en » difficulté, ils ne sont pas des individus qui auraient besoin d’un traitement spécifique. Les difficultés qu’ils manifestent sont dans un premier temps des difficultés normales. Si on trouvait les moyens de lever les implicites et d’enseigner plus rationnellement les savoirs dans le scenario « pour tous », il n’y aurait pas besoin de sous-scenarii, les uns « adaptés » pour que tout le monde participe et les autres pour que les bons élèves avancent avec leurs ressources propres.

Les conclusions, ce n’est pas la « bonne individualisation », c’est l’apprentissage réel de chacun dans une démarche collective d’appropriation d’objets de savoirs communs. Il s’agit de redéfinir les modalités communes d’un apprentissage tendant vers l’universel, tout le contraire de la recherche d’un particularisme ou d’un relativisme plus « efficace ». Il me semble que dans l’école unique, ces logiques d’individualisation participent de compassion. L’une des conceptions ambiantes qui modèlent le dispositif est qu’il n’est pas vraiment possible d’enseigner à tous de façon commune, c’est donc qu’il est inutile de faire souffrir et mettre en échec trop tôt les pauvres enfants de pauvres. Donc on va les valoriser sur autre chose : des tâches morcelées notamment.

Il n’y a pas seulement du technique, dans la conception des dispositifs pédagogiques, il y a aussi du politique, sur le modèle d’élève qui pilote les missions de l’enseignement : pour qui on travaille ?

Et c’est là que, contrairement à ce qui est communément admis, il est bon de savoir qu’au niveau du collège, donc avant le tri social de la fin de scolarité obligatoire, le parent référent, en général le plus diplômé des deux, est dans 54% des cas ouvrier (27%), employé (17%) ou sans activité (10%). Dans un pays de la planète qui a la plus forte corrélation entre le niveau d’emploi et le niveau de qualification, cela veut probablement dire que le parents référent (le « chef de famille » est souvent le plus diplômé) n’a pas plus qu’un BEP, ce qui n’est pas un problème, mais veut dire que ces parents ne peuvent pas refaire l’école après l’école sur nombre de contenus de savoir, ce parents ne pourront pas prendre en charge ce que l’école ne prend pas en charge.

Par conséquent, la norme générale qui pilote le scenario général doit-elle être la minorité d’enfants qui sont déjà bénéficiaires des délits d’initiés de la culture scolaire, ou doit-elle au contraire être ces élèves, majoritaires, qui n’ont que l’école pour apprendre l’école ? Tant que ceci n’est pas élucidé, les collègues sont culpabilisés : car si le problème est individuel, forcément il vient des élèves ou de l’enseignant. Cette individualisation va de pair avec une approche techniciste du problème, comme si c’était le fait de « bonnes façons » d’enseigner dans l’absolu ; au contraire, pour sortir de cette culpabilisation, s’il faut de la technique, c’est de façon connectée à un objectif politique de démocratisation.

Cette logique de sur-attention aux différences prend ainsi corps dans les impasses de la pratique. Non pas qu’elle vienne de celles-ci, mais elles y trouvent un grand écho, qui pour être saisi demande de remonter d’un cran, de saisir ce que l’individualisation pédagogique doit aux discours institutionnels et aux façons de faire à l’échelle du système.

L’individualisation dans le système scolaire
L’individualisation dans le système scolaire est récurrente dans le traitement de la difficulté. Viviane Isambert-Jamati (1985) montrait il y a déjà 25 ans que le terme d’échec scolaire était rarissime avant l’école unique. Un enfant de paysan ou d’ouvrier qui sortait de l’ancienne école primaire sans le certificat d’études, donc sans maîtriser suffisamment le niveau « lire-écrire-compter », ça ne s’appelait pas un élève en échec. C’est à partir du moment où on a haussé le niveau d’exigences (objectifs de scolarisation unifiés) que face à cet objectif politique non atteint, il a fallu nommer le problème social rencontré. Et dans la façon de le désigner, on touche à quelque chose d’essentiel : au lieu d’interroger les modalités pour parvenir à l’objectif politique et pédagogique de démocratisation, ce sont les élèves qui ont été désignés comme étant « en » échec.

Cette conception de l’échec a varié, notamment avec l’idée de dons, qui a d’abord été mobilisée par les compagnons de l’université nouvelle dans une optique de démocratisation en soutenant que l’on gâchait le potentiel des enfants « doués » du peuple en les limitant à une scolarité primaire. Cet argument a été détourné en sens inverse par la suite, quand voyant que tous les élèves n’apprenaient pas dans l’école unique, cela a été « expliqué » par un manque de dons, d’où un argument fataliste, contre la démocratisation. C’est notamment ce qui a été déconstruit, tant dans la conclusion des héritiers (Bourdieu & Passeron, 1964) que dans le fameux article « les dons n’existent pas » dans L’école et la nation (Sève, 1964), puis le livre du GFEN (1974).

L’idée de dons repose sur une lecture des faits individualisante, qui n’exclut pas une explication sociale « les enfants de pauvres sont sous-doués, débiles, car dans un milieu qui ne favorise pas le développement… ». Il n’y a donc pas d’opposition, dans les discours de sens commun entre l’explication par les dons et celle par le handicap socio-culturel, qui s’est développée dans les années 70 et 80. Un fatalisme qui s’appuie sur des arguments détournés de la sociologie n’exclut pas un argument fataliste détourné de la psychologie, en tant que déficience, manque de stimulation par le milieu, etc. On voit à cette époque-là se mettre en place des structures ou des modes d’intervention, sur un groupe ciblé ou sur des individus, mais toujours dans des logiques « déficitaristes ». Une partie de ce qui s’est fait dans les ZEP a procédé d’une logique de « bain culturel » à créer hors l’école pour que l’école puisse agir à partir de là. On est bien là dans l’optique où l’école n’a pas à enseigner tout ce qui est nécessaire à l’apprentissage scolaire. Quand même, c’était bien fondé sur une logique de réduction des inégalités sociales, mais celles-ci étaient perçues sous l’angle d’un manque de familiarité avec l’école qui relèverait de l’anormalité. Bien sûr, à l’origine ce n’était qu’en partie, les actions d’alors portant à la fois hors l’école et dans l’école. Les relances successives des ZEP ont lâché progressivement sur le fait de donner à l’école les outils transformateurs pour y remédier de l’intérieur, et ont penché de plus en plus vers l’accompagnement de l’exclusion, et finalement vers une logique caritative. C’est la même période que celle de la création du RMI, où la priorité a moins été sur la création d’emploi que sur l’accompagnement de la misère qui pour être une urgence n’implique pas forcément comme cela a été fait que l’on renonce à changer les choses sur la question de l’économie et de l’emploi. Il n’y a donc pas à montrer les enseignants du doigt, ils n’ont pas été les seuls à être passés d’une logique de lutte contre les inégalités à une logique compassionnelle, d’insertion a minima, ce qui se traduit dans le « vivre ensemble de la classe » en permettant des réussites ponctuelles. On peut par contre en prendre conscience et faire d’autres choix, dans l’école et dans le reste de la société.

Jean-Yves Rochex parlerait ici de plusieurs âges des ZEP et des politiques compensatoires : un autre âge est venu où l’on est passé de logiques de luttes contre le handicap socio-culturel à des logiques de lutte contre l’exclusion, contre la non-insertion, avec des ciblages de catégories de populations de plus en plus spécifiques. Cela a donné lieu aux structures « seconde chance » ou aux « dispositifs relais » pour les « décrocheurs » (Martin & Bonnéry, 2002), aux dispositifs contre les élèves « violents »… c’est-à-dire qu’on a interprété tous les écarts de comportement (Bonnéry, 2004), toutes les manifestations de non-conformité des élèves, à partir de grilles de lectures individualisées ou particularisées (interventions auprès d’individus repérés à partir d’un critère) : les « violents », les « absentéistes », les enfants d’immigrés pour la compensation, etc. On est ainsi de moins en moins dans une logique de recherche d’égalité, de démocratisation scolaire, et de plus en plus dans la compensation de difficultés qui sont perçues sur un mode essentialisant… des difficultés « naturelles » d’origine biologique, et/ou d’origine « psy »… et/ou « sociologiques »… comme une fatalité, comme si une famille dans laquelle on n’éduque pas les enfants comme chez les cadres serait un milieu pathogène. Les enseignants sont prisonniers de cette conception entre deux pôles : le pôle fataliste (on ne peut rien faire avec des enfants de pauvres, de familles monoparentales ou polygames, des désinsérés, etc.) et le pôle volontariste (il suffit de vouloir bien faire, d’être à l’écoute, dans la compassion, dans l’empathie…). Volontarisme qui peut exister quelques temps, mais qui peut conduire au fatalisme. Car remarquons le, ces deux pôles tiraillent l’enseignant individuellement entre ces deux options. Donc en les renvoyant à un débat technique, privé d’outils, pour faire autrement, et privé du lien avec les enjeux politiques de la réflexion pédagogique. Si on ne met pas au clair qu’il faut transformer l’école pour transmettre à tous une culture commune redéfinie, repensée, pour pouvoir être enseignée à tous parce que c’est indispensable à chaque futur adulte, citoyen et travailleur (en reprenant la formule du Plan Langevin-Wallon), alors on se prive de perspectives pour la démocratisation et on laisse le terrain à la culpabilisation des enseignants. C’est ici qu’il faut reprendre le chantier, ne pas se satisfaire de la bouteille à moitié pleine, en allant vers une nouvelle phase de démocratisation scolaire.

Il ne suffit pas d’avoir des objectifs généreux. Car si le pouvoir actuel se croit autorisé à aller aussi loin dans les réformes de l’éducation, c’est que depuis quelques décennies, les objectifs ambitieux proclamés sans travailler réellement à les mettre en œuvre et à s’attaquer aux contradictions qui travaillent l’école, ont laissé le terrain libre pour un constat fataliste. Aujourd’hui, sous deux apparences différentes qui pourraient apparaître comme étant disjointes, existe un seul et même phénomène que je reprends ici des propos de Jean-Yves Rochex déjà cités : d’un côté des logiques de minimum commun, de RMI culturel, et de l’autre côté l’exacerbation de la concurrence des individus dans l’apprentissage. Le socle commun a été argumenté en termes de SMIC culturel, mais c’est en fait un RMI culturel, comme le disaient Baudelot et Establet : on ne vise pas l’égalité. On vise le minimum vital par compassion. Parce qu’un système qui repose sur la rentabilité financière, l’exploitation et la domination, pour donner un minimum de crédibilité à la mécanique générale, doit obligatoirement à la marge montrer qu’il est un peu humain. C’est valable dans l’économie, c’est valable dans l’organisation sociale, il n’y avait pas de raison que l’école y échappe si l’on n’y prête pas garde.

Ainsi (en poursuivant des objectifs que j’énoncerai plus tard) exacerbe-t-on la concurrence entre élèves en augmentant les contradictions qui pèsent sur la pratique enseignante (attaques contre la sectorisation, diminution du temps d’enseignement à l’école primaire en même temps qu’on augmente le nombre de contenus possibles qui décrochent de plus en plus du contenu minimum commun…). Et pour faire passer la pilule de cette aggravation de la concurrence, il faut bien assurer le minimum par compassion, pour que ça n’explose pas, et du coup, sont développées toutes les rhétoriques de l’aide, du soutien, de l’externalisation et du traitement individuel.. alors que je crois avoir montré dans la première partie de mon propos que les difficultés qu’ils rencontrent ne relèvent pas de problèmes individuels. Ce sont des difficultés récurrentes ; pourquoi donc les traiter uniquement sur le plan individuel ?

L’individualisation dans les parcours d’éducation et de formation, écho de l’individualisation dans la société et le système économique
Il me semble utile d’essayer de comprendre en quoi les contradictions des dispositifs pédagogiques dans la classe (enseigner à tous ou individualiser / différencier les objectifs) ont à voir avec les contradictions du système (quelles missions pour l’école ? démocratiser ou sélectionner ?) qui renvoient à des contradictions beaucoup plus globales. Dans les écrits sur l’éducation comme dans la rue, on dit souvent « de la maternelle à l’université ». Mais justement, pour comprendre la façon dont des contradictions qui travaillent l’économie et la société exercent des pressions sur l’école, il est très instructif de porter l’attention, juste après le système scolaire, sur la formation continue que les employeurs paient aux salariés. On s’appuiera ici sur une enquête du Cereq (2006), à qui j’emprunte y compris les graphiques.

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Commençons par la bonne nouvelle. En 30 ans, entre 1975 et 2005, le taux d’accès à une formation payée par l’employeur a plus que doublé. C’est quand même surprenant. Si les patrons sont prêts à payer à deux fois plus de salariés une formation, pourquoi cette offensive communicationnelle sur « la formation ne sert à rien, venez vous former sur le tas » ? Pourquoi la stratégie de Lisbonne et les traités successifs des gouvernements et des patronats visent l’objectif de 50% d’une génération au niveau bac+3 ? Avant de répondre à cela, regardons que durant la même période sur les mêmes formations, la durée moyenne de formation a été divisée par deux. Dans les mêmes 30 années, le taux de dépense des entreprises pour ces formations-là a augmenté pendant 15 ans puis, ce taux a stagné pour les entreprises de moins de 2.000 salariés, et a diminué pour les plus grosses qui font le moins d’effort depuis le début des années 90.

Première conclusion : les patrons veulent bien payer des formations à davantage de salariés à condition que cela ne coûte pas trop. Mais surtout, et cela n’apparait pas sur les graphiques, les patrons financent plutôt des formations plus courtes, réalisées « à l’interne » de l’entreprise, avec des objectifs davantage resserrés sur le poste de travail, donc des formations qui ont pour objectif principal d’accroitre la rentabilité, la performance du salarié dans son travail. Et les parcours de formations sont de plus en plus individualisés, ils donnent de moins en moins lieu à une qualification reconnue par l’employeur et à l’extérieur. Les salariés qui les ont suivies ont de moins en moins une reconnaissance commune de leur parcours.et il semble que ces formations donnent de moins en moins souvent un contenu distancié du poste de travail (qui permettrait de prendre du recul pour mieux revenir sur l’activité professionnelle armé de connaissances nouvelles) mais ce sont de plus en plus des formations modularisées, parcellisées, sur des contenus atomisés.

La première traduction de cette stratégie a été dans l’entreprise. Et la deuxième traduction de cette stratégie a été dans l’enseignement primaire et secondaire avec la logique de compétences (Ropé & Tanguy, 1994) et dans l’enseignement supérieur avec la réforme du LMD. Les textes européens qui cadrent le LMD parlent de 50% d’une génération au « niveau de sortie » bac+3, et non de diplôme. La différence est essentielle, elle signifie l’individualisation de la reconnaissance de la formation et la modularisation des contenus. L’objectif c’est que les étudiants aient des parcours individualisés avec des micro-compétences modulaires : deux candidats à l’embauche se présenteront ainsi devant l’employeur avec 180 crédits européens qui garantissent pour l’employeur le niveau de formation des candidats, mais inversement la garantie n’existe plus pour le candidat que sa formation soit reconnue comme qualification égale entre les personnes qui ont suivi cette formation. Entre plusieurs candidats, les « compétences » , les crédits validés en formation étant en partie différent, cela contribue à la mise en concurrence des candidats, donc à faire pression sur leur salaire, en même temps qu’à offrir à l’employeur une palette de profils entre lesquels piocher pour choisir le plus proche de ce qui est demandé sur le poste de travail, lui évitant de prendre en charge la formation à celui-ci.

En individualisant le parcours de formation, on individualise le diplôme, qui n’en est plus un. Le diplôme par établissement n’est qu’une étape de l’individualisation du diplôme. Dans les vagues successives du LMD, tous les quatre ans, on est passé de l’apparent maintient des formations et diplômes en les faisant basculer à bac+3, puis à l’introduction en parallèle d’une traduction des contenus en compétences… pour aller rapidement vers la substitution des compétences individualisées au diplôme commun. Cette stratégie est fondamentale pour le système économique tel qu’il est aujourd’hui, car cette refonte des formations est l’instrument d’une reconfiguration du salariat capitaliste, pour le conduire à un plus haut niveau de formation à bac+3, tout en l’exploitant encore à ce degré-là. Pour cela, il ne faut pas que la formation soit reconnue comme qualification, il faut disjoindre les deux, pour économise sur les salaires.

Cette stratégie n’est pas pour autant un rouleau compresseur, ils ont une équation compliquée à résoudre : comment allonger le temps de formation sans devoir payer les salariés en conséquence et sans qu’ils utilisent les savoirs à d’autres fins que ce qui permet leur efficacité dans le travail ? Leur réponse est donc en deux volets interdépendants : individualiser les formations pour individualiser les parcours et la reconnaissance des formations, sans qualification commune, afin de mettre en concurrence ; modulariser, ce qui permet d’individualiser, mais ce qui permet aussi de dissocier le savoir des raisons historiques qui ont amené à construire ce savoir, et donc qui empêche d’avoir une maîtrise critique de celui-ci, le limitant à des aspects utiles directement dans le travail. Inutile, après ces explications, d’expliquer la réforme du lycée, dont les grandes lignes sont les mêmes. L’introduction des compétences et l’individualisation des parcours. Mais pour atteindre l’objectif de 50% d’une génération au niveau bac+3, ce dont on est très loin encore, cela ouvre des fenêtres de tir, politiques et pédagogiques : il va bien falloir se confronter à la question « comment y arriver » ?

Nous n’avons donc pas affaire à un rouleau compresseur. Certes ils ont élaboré une stratégie assez cohérente, mais il faut quand même qu’ils fassent accepter à la jeunesse de ce pays, qui a refusé le CPE, qu’il faut étudier plus longtemps pour être en situation toujours aussi précaire. C’est pour cela qu’on aurait tort de croire qu’il n’y a dans les réformes éducatives actuelles qu’une question d’idéologie ou de revanche anti-fonctionnaire. Évidemment, cela existe, mais il y a, beaucoup plus, la question du profit qui est en jeu. Est-ce une si grande « rupture » que ce que l’on a bien voulu nous présenter ? C’est perpétuer le fait que l’on maintien le caractère bicéphale du système entre développement des scolarités, et renouvellement de la sélection socialement marquée, pour fabriquer des exploitables avec des niveaux de formation plus élevés. La contradiction dans laquelle est pris le système scolaire, entre transmettre à tous, mais pas complètement, se trouve perpétuée, mais aussi renouvelée car déplacée à un niveau de formation supérieur. Je crois qu’on comprend mieux les contradictions de la pratique pédagogique des dispositifs qui sont à disposition des enseignants, si l’on les relie aux contradictions du système scolaire, démocratiser / sélectionner, au service d’une économie et d’une société qui sont elles-mêmes traversées de contradictions entre l’intérêt du profit pour quelques uns ou l’intérêt des salariés.

Cela encourage je crois à intervenir à tous les niveaux en même temps. La grille de lecture des choix pour la société peut être une aide pour les praticiens, pour ne plus se sentir prisonniers d’une situation dans laquelle ils se sentiraient tout seuls. C’est pourquoi il n’est probablement pas pertinent de parler de « marges de manœuvre », ce qui veut dire qu’on accepte la situation et qu’on joue dedans. Parler de « leviers transformateurs » permet davantage me semble-t-il de penser l’articulation entre le dedans et le dehors d’une situation. Bien sûr, tout ne se joue pas dans la salle de classe, l’école ne peut pas tout ; mais tout ne se joue pas non plus dehors. Agir aux différents niveaux en même temps est quelque chose d‘essentiel. Il faut s’opposer à la désocialisation des apprentissages, pour que dans la classe on poursuive un objectif commun. Les savoirs ne sont pas que des outils techniques, ils sont aussi des outils pour l’émancipation intellectuelle et pour le combat de la vie.

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Cet article est paru dans Contrepied n°28 – Apprendre ensemble – Mai 2011