Optimiste dans l’action mais pertinent dans l’analyse de la situation

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Professeur à Sciences Po, auteur de très nombreux ouvrages en économie et d’essais politiques, Jacques Généreux amorce dans son dernier livre « La dissociété », une refondation anthropologique de notre culture politique « moderne » et dessine les contours d’un humanisme contemporain, d’un « néo-modernisme ».

●●● En préambule, être citoyen aujourd’hui, est-ce avoir l’ardente obligation d’être pessimiste ?

Pessimiste dans l’analyse oui, optimiste dans l’action nécessairement.
C’est la citation de Benoit Mallon qui ouvre mon livre.

●●● Alors, qu’est ce que la dissociété ?

J’ai choisi ce terme pour désigner un processus de dissociation progressif des liens qui constituaient autrefois une communauté politique d’individus solidaires.
Sur le plan théorique, je pars d’abord de ce qu’est une société humaine, de progrès humain.

La thèse part de l’idée que l’essence de l’être humain est constituée de deux aspirations fondamentales, être soi-même, par soi-même pour soi-même et être avec les autres, pour les autres, par les autres.
Une vie pleinement humaine, c’est celle ou se développe une synergie harmonieuse entre ces deux tendances, où la tension entre ces deux pôles n’est pas source de souffrance psychique mais d’épanouissement.

Si cela fait société, on peut alors définir la dissociété comme une société de régression humaine.
C’est un processus qui ampute une de ces aspirations. C’est un phénomène, de mutilation psychique de l’individu. C’est un cadre ou prédomine la rivalité, c’est la guerre au quotidien… même si celle-ci prend des formes édulcorées.

L’autre type de société régressive est celle qui, à l’inverse, empêche l’aspiration à être soi, prônant exclusivement le collectif. C’est l’hyper société qui atrophie la personne pour la fondre dans un tout social. C’est une autre forme d’horreur !

Nous ne sommes pas aujourd’hui en France dans ce cas, nous sommes au contraire, engagés dans une société compétitive généralisée ou chacun pour espérer pouvoir être, doit lutter contre l’autre.

●●● Peut-on parler d’archéologie de la pensée néolibérale ? Si oui, pouvez-vous en préciser les contours ?

Nous sommes contraints de procéder à une archéologie de la pensée dominante contemporaine. Cela consiste à faire des fouilles… autours d’indices, de signes visibles, pour si possible remonter jusqu’aux fondations.

Ce que nous savons de cette pensée, de cette « bonne société », c’est qu’elle repose sur le principe absolu de libre concurrence, étendue à toutes les sphères de l’activité sociale et humaine. Elle conduit à une privatisation systématique, à l’extension de la logique marchande à tout ce qui est la vie. C’est la surface des choses.

D’abord il ne faut pas confondre le néo-libéralisme et la pensée libérale, qui, elle, prône le principe de la liberté individuelle, le développement de la personne humaine.
Il a constitué un grand progrès pour l’humanité. Tous les courants philosophiques, y compris le marxisme et bien entendu le socialisme s’en sont inspirés.
Le discours néo-libéral contemporain ne précise pas, à quelle condition, son modèle de société est réalisable, juste, efficace pour tous. On nous dit « c’est le meilleur des systèmes » mais on nous dit rarement, sur quelles hypothèses, il repose.
Quelle conception de l’être humain, de la vie en société porte-t’-il ?
C’est un discours qui ignore ses propres fondements ou les cache. La « fouille » s’impose donc pour les mettre en évidence.

Les néo-libéraux considèrent que toute réflexion sur les aspirations de l’être humain, sur le sens de la vie, est une considération non scientifique, bref de la « philosophie »… La pensée contemporaine a perdu depuis un siècle l’habitude, lorsqu’elle produit un discours sur la société, de savoir à quoi il renvoie.
Elle se refuse à voir sur quel corpus de pensée il s’établit. Le travail « d’archéologue », auquel je procède nous conduit aux origines de la pensée politique moderne, communes, en fait à de très nombreux courants de pensée.

On s’aperçoit finalement que des courants contemporains très opposés, libéralisme, néolibéralisme, socialisme, marxisme, libertarisme, partagent des racines communes plus nombreuses qu’on croit. Tous les courants modernes, reposent sur l’affirmation que l’être humain est un individu. Cela s’affirme à partir du XVIIe et du XVIIIe siècle, avec Descartes et son « je », comme individu pensant, trouvant en lui-même, par lui-même, la source de sa vérité, lui permettant de tenir tête à Dieu et de s’émanciper du divin.
« Dieu existe » dit Descartes, mais il a donné à l’individu « le libre arbitre », il peut contester son existence. Croire ou ne pas croire, est un acte individuel de la raison.

La modernité pense que l’homme se constitue lui-même, qu’avoir une pensée autonome, une rationalité, une conscience peut se faire hors du lien social. C’est une absurdité !

C’était une sacrée révolution à l’époque où l’individu n’existait pas comme tel, mais était fondu aux autres. La conception de la finalité de l’être était justement, avant, de trouver la vérité hors de soi-même, cette dernière étant exclusivement prescrite et révélée par l’église. L’affirmation de l’individu est une révolution de la pensée, moderne, c’est son premier pilier et simultané- ment son erreur fondamentale. C’est le paradoxe de la pensée moderne. L’erreur fut de penser la construction de l’individu en dehors de tout lien social. La modernité pense que l’homme se constitue lui-même, qu’avoir une pensée autonome, une rationalité, une conscience peut se faire hors du lien social. C’est une absurdité ! Pourtant la science nous apprend d’où nous venons, comment s’est constitué l’espèce humaine elle-même, pourquoi elle s’est imposée.

Tout ce que nous savons d’objectif nous dit que nous ne sommes que des êtres sociaux. La conception erronée de l’homme que pose la modernité génère tout le reste, elle nous conduit au néolibéralisme. Si nous sommes des individus seulement constitués par nous-mêmes, des atomes séparés et mus par leurs seules pulsions, alors nous ne sommes qu’en compétition avec les autres. Toute relation dans ce cadre devient problématique. La société n’existe pas, elle n’est qu’une juxtaposition d’individus. C’est ce que déclarait Margaret Tatcher dès 1970. Découle de là une autre idée chère aux néo-libéraux, la société en tant que telle n’est responsable de rien de ce qui arrive aux individus. Il n’y a de responsabilité qu’individuelle, chacun étant toujours et pleinement responsable de ses décisions. Il n’y a donc pas d’inégalités sociales entre les individus, il n’y a que des choix personnels de parcours. Seules existent les inégalités naturelles contre lesquelles on ne peut rien, justement parce qu’elles sont « naturelles ».

Cette société relève d’un contrat passé entre certains individus rationnels qui partagent des intérêts bien compris. Bien que rivaux, ils conviennent qu’il est plus avantageux de s’associer par un contrat de droit et de devoir réciproque permettant l’efficacité, la satisfaction de leurs désirs. C’est la société comme contrat social.
Cette conception va dominer la pensée politique du XVIIIe et du XIXe siècle. Cela nous amène au 7e pilier du néolibéralisme, c’est l’idée d’échange entre les individus. Seule la contre partie dans l’échange fonde le lien avec les autres.
La société ne doit rien à priori aux individus, ce qui peut être attendu d’elle ne sera qu’une contre partie de ce que nous lui apportons. On n’a rien sans rien ! C’est la conception marchande du lien social. On arrive là, au terme du développement de cette pensée, on découvre le dilemme fondamental de cette façon de voir.

Si les individus n’entrent en relation, que pour produire et diviser le travail, comment espérer les voir vivre ensemble ? Le dilemme persiste, même si l’intérêt bien compris pousse les individus à faire malgré tout des choses ensembles, il demeure que leur individualisme exacerbé demeure.

La pensée moderne part d’une question insoluble, d’une erreur fondamentale non corrigée qui trouve sa repousse dans l’impasse de son postulat.

Comment espérer faire vivre ensemble des gens que tout opposerait par nature. Poser cette mauvaise question, c’est y répondre, c’est impossible ! Le postulat est absurde !
Depuis lors les sociétés ont évolué entre deux formes d’organisations inhumaines, la dissociété et l’hyper société. Soit on fusionne autoritairement les différents atomes dans un grand tout, soit on les sépare, c’est le choix actuel. On met en place alors une vie entre semblables, Pour se protéger des autres, il faut un état fort, c’est le léviathan de Hobbs qui a suscité la réaction des vrais libéraux par son aspect liberticide. Les libertariens, eux ont inventé le « chacun chez soi ».

Le néo-libéralisme est une synthèse entre une économie libérée, concurrentielle et un état ultra conservateur.

C’est un fantasme d’avenir grâce à internet et aux progrès technologiques. C’est le règne souhaité de l’échange à distance, virtuel, comme marchandisation totale de la relation. Dans ce cache, toute violence disparaît, l’autonomie est totale, on peut vivre sans police, sans état. Les néolibéraux contemporains rêvent d’une dissociété absolue où la liberté serait maximale pour l’individu. Leur réalisme les conduit, toutefois, a souhaiter un état fort et autoritaire pour assurer l’ordre social. La nouvelle droite américaine réussit à marier le néo-libéralisme économique et le néo-conservatisme social. Le néo-libéralisme est une synthèse entre une économie libérée, concurrentielle et un état ultra conservateur. Les néo-libéraux ne veulent pas d’un recours trop important à la loi.

L’état fort coûte cher, il entraîne l’impôt.
Pour éviter ce piège, ils inventent de nouvelles formes de régulation. Ils créent de la pression et de la conformité sociale, propre à leur groupe en utilisant la religion, Le néolibéralisme s’accompagne du retour du fondamentalisme religieux, de la pression morale pour imposer ses canons sociaux, pour compenser la violence qu’il génère.

●●● En quoi peut-on craindre, selon votre expression, une rupture anthropologique dans notre société ?

« Il n’y a pas de droit sans obligation », les individus n’ont rien à attendre de la société en dehors d’échanges réciproques fondant le contrat social. Ce principe est au cœur du discours social néolibéral dominant. Il vaut pour la protection sociale, la solidarité, la formation, l’école même. Il devient saugrenu de prétendre que quelqu’un en société a droit à quelque chose par le simple fait qu’il existe. En disant cela, je sais, qu’au-delà des néo-libéraux, je choque une majorité de nos compatriotes qui adhérent à cette vision marchande des rapports sociaux.
Cette culture là, dominante aujourd’hui, repose sur l’idée qu’il n’y a pas de société, mais que des individus. Elle est opposée à ce qui a fondé l’essentiel de notre tradition politique, à savoir la philosophie libérale des droits de l’homme, particulièrement en France avec la révolution.
Celle-ci pose, par définition, que l’homme a des droits inaliénables et inconditionnels qui sont attachés au fait qu’il est un être humain.
Même le pire des individus conserve des droits fondamentaux, le droit à la vie, à être défendu, à l’intégrité de son corps. C’est ça le fondement de la république moderne. Je suis halluciné quand j’entends soutenir l’idée qu’il n’y aurait pas de droit sans obligation, à l’opposé de tout ce qui fonde notre pensée démocratique.

On est aujourd’hui dans une bataille idéologique que la gauche a perdue, le néolibéralisme a imposé son postulat de la responsabilité individuelle. C’est l’un des principes qui explique la logique sécuritaire. La violence à autrui est définie comme un acte individuel, volontaire et rationnel.
Pour la combattre dans ce cache, la répression individuelle est la seule solution. En rendant la violence moins rentable, plus coûteuse, on espère une société moins violente. On oublie que la violence individuelle est aussi le résultat d’une société, que la répression, seule ne permet pas une société apaisée.
De la découle souvent, le rapport que les parents, parfois aussi les enseignants, entretiennent à l’école. Celle-ci n’est plus définie comme un lieu d’épanouissement, d’apprentissage de la vie ensemble, c’est un lien de conflit, où on envoie ses enfants comme dans un camp d’entraînement.

L’école est dans une société où l’on se fiche pas mal de l’enfant. Pour les néolibéraux, l’individu rationnel est responsable de tout ce qui lui arrive. C’est ce qu’exprime Alain Ehrenberg dans son ouvrage : « La fatigue d’être soi ». On comprend que la maladie psychique contemporaine relative à la difficulté d’être soi, ne soit plus la névrose mais la dépression.
La société, comme créatrice de sens, comme mode d’enchantement du monde, comme espace de relation, de solidarité mais aussi de contraintes, disparaît. La nouvelle maladie est donc la « fatigue d’être soi ».
C’est la conséquence du néolibéralisme qui a contaminé d’autres courants politiques. Cette conception moderne de la responsabilité et le mode contractuel de vie a largement inspiré les théoriciens de la 3e voie « blairistes ».
C’est le cœur de la mutation culturelle qui se diffuse depuis près de trente ans. Il est présent dans des grands courants d’idées tels que le néo-libéralisme et le marxisme qui, sur un certain nombre de question différent finalement peu. Leur pessimiste initial sur la nature de l’homme et des rapports sociaux, finalement les lie et les conduit à récuser l’idée qu’il serait naturellement social.

Peut être suis-je un peu caricatural. Peut être faut-il, plus que je ne le fais, distinguer Marx, son œuvre et le marxisme. Il demeure selon moi que le modèle théorique marxiste n’a jamais écrit que les liens valaient plus que les biens.
Il n’a jamais proposé non plus, qu’on mobilise les forces sociales, leur énergie pour produire du lien social. Il aurait pu l’écrire en allant au bout de sa conception sociale de l’être humain. Il dit la même chose qu’Adam Smith et tous les penseurs libéraux. Prétendre, comme ils le font que, l’homme est un animal social, c’est entendre que l’homme ne peut faire autrement que de vivre avec les autres. Cela ne le définit pas fondamentalement comme un être social. Une vraie approche sociale de l’humain, c’est dépasser le principe de nécessité et affirmer que l’homme n’est que par les autres, qu’il a besoin d’eux pour, tout simplement, exister

●●● La modernité se confond-elle avec le néolibéralisme ?

C’est un fait que l’argument de modernité est un label néo-libéral. Le grand paradoxe, c’est que ceux qui mobilisent cet argument, ne savent pas ce qu’est être moderne. Ils emploient ce concept au sens trivial : « être de son temps ». Ils ignorent le sens philosophique, historique, et intellectuel de ce terme. C’est en fait un mouvement de la pensée humaine qui apparaît au XVIe et XVIIe siècles et met en exergue les notions d’individu, de liberté humaine, d’histoire guidée par les choix rationnels des hommes et des femmes, donc de progrès, mu par la poussée de la raison et de la connaissance.

Ce qui est extraordinaire dans l’assignation néo-libérale à la modernité, c’est que ses protagonistes sont finalement assez modernes… au sens philosophique du terme.
Je vais m’expliquer, ils ne sont pas du tout « modernes » au sens trivial.
Les solutions concrètes qu’ils proposent sont tout, sauf des réponses adaptées aux grands problèmes de notre temps. Leur modèle économique date des années 1920, il ignore totalement la science économique contemporaine sans parler de Marx. Or ces dernières démontrent que la bonne concurrence est celle qui est strictement encadrée et régulée, que la généralisation de la libre concurrence est une catastrophe mondiale. La course à la rentabilité financière débouche sur une impasse écologique totale.

Notre société crève de ce que nous nous pensons que comme des individus et non comme des êtres sociaux.

On voit mal comment, on pourrait faire face aux nombreux défis de notre temps, dans la décennie qui vient, sans stopper la frénésie actuelle d’accumulation de richesses, sans changer de modèle économique.

En ce sens, ils ne sont pas modernes et dans un autre sens (qu’ils ne revendiquent pas) ils le sont. Toutes leurs conceptions s’appuient en effet sur la conception moderne, déjà évoquée, de l’individu autonome, isolé, en rivalité avec les autres, qu’il s’agirait enfin de dépasser ! Etre de son temps, avoir une pensée en prise avec les défis du moment, consisterait à corriger l’erreur initiale des modernes, à devenir des « néo-modernes ». Le problème actuel n’est pas de faire comprendre aux gens qu’ils sont des individus, ils en sont convaincus… Notre société crève de ce que nous nous pensons que comme des individus et non comme des êtres sociaux. C’est ce que la modernité néo-libérale essaie de nous faire oublier. La vraie modernité consisterait à repenser la société, l’économie à partir d’une conception plus juste, plus vraie de l’homme. C’est le paradoxe des néo-libéraux, ils se disent modernes mais, agissent en quelque sorte dans le vide par rapport aux vrais problèmes.

●●● Comment refonder la culture politique ?

On revient à la citation de Benoit Malon. Je ne sais pas s’il est raisonnable d’espérer une refondation anthropologique plus juste du discours et de l’action politiques. En effet le mouvement néo-libéral en cours est un mouvement d’auto-réalisation. La vraie difficulté, c’est la non-résistance à ce qui nous fait souffrir.
Le meilleur moyen d’échapper à cette souffrance, n’est pas de s’opposer à ses causes mais de la traiter.
Donc nous la traitons, nous sommes des êtres résiliant, nous créons nos propres espaces d’humanité, de solidarité, pour tenter d’être bien tout de même. C’est un des effets auto réalisateurs de la dissociété.
Chacun se met en retrait, se replie sur sa famille, ses proches, sa communauté, et donc renforce le processus à l’œuvre. Avec une difficulté, celle d’être des êtres sociaux qui apprenons des autres.

Pensons un peu à ce qui se prépare pour les générations futures qui se succèdent dans un cache dominé par les thèses néo-libérales. La rupture anthropologique peut aller très vite. En une ou deux générations, le système de valeurs peut-être totalement modifié.

Ce qui est d’abord une simple transformation sociale et économique, devient vite une rupture anthropologique parce qu’elle touche à la culture. C’est ce qui me fait évoquer dans le livre l’idée de catastrophe anthropologique.

La dissociété s’amplifie avec, en quelque sorte la complicité de tout le monde, même de ceux qui en souffrent le plus. La menace d’aujourd’hui est d’ordre culturel. C’est là, qu’à nouveau, je veux me distinguer de la vulgate marxiste qui néglige le rôle de la croyance, des conventions, comme étant seulement des super structures, sans importance, déterminées, par les seules choses qui comptent, les infrastructures matérielles.
Je crois au contraire que les déterminants matériels sont en interaction avec la culture, les croyances, le psychisme… qui sont, faut-il le rappeler, tout aussi matériels que le reste. Parce qu’il y a en fait des interactions entre ces deux pôles, trop longtemps ignorées, négligées par la gauche.

La dissociété s’amplifie avec, en quelque sorte la complicité de tout le monde, même de ceux qui en souffrent le plus.

C’est ce qu’a compris la droite internationale depuis trente ans, qui non marxiste, croit elle, à l’idéologie.

Elle a compris qu’il y avait un moyen très efficace et économe de contrôler les populations sans avoir à recourir à la puissance de l’état, celui consistant à ce que les gens se persuadent eux-mêmes que l’ordre existant est le meilleur.
La droite s’est donnée comme objectif d’agir d’abord sur les esprits. Avant de privatiser l’état, elle a privatisé les états d’esprit. C’est ce qui a fait son succès. Comment inverser la vapeur, et faire croire, qu’il serait plus efficace de promouvoir la solidarité, la coopération, que la concurrence.

Le désarroi de la gauche s’explique en partie par son abandon du terrain idéologique, au nom du pragmatisme.
Son échec n’a rien de surprenant, elle s’est exclue du pouvoir par incompréhension de la nature de la bataille qui s’annonçait.

Dans ce monde inquiétant, incertain, de souffrance, et de stress, la gauche n’a pas compris qu’il fallait produire des repères collectifs pour redonner sens au politique. Elle a pensé qu’être moderne, être de son temps, c’était abandonner le terrain des grandes idées, et opter pour le pragmatisme.
De fait, la gauche, au sens trivial, est non moderne, à côté de la plaque, parce que notre temps est celui des valeurs.

Elle a fini par croire au thème droitier de la fin des idéologies.

Ce n’est pas parce que Marx et Dieu seraient morts que le besoin impérieux d’avoir du sens a disparu.

C’est parce qu’il y a lieu d’être optimiste dans l’action qu’il faut être pertinent dans l’analyse de la situation, ne pas se tromper de débat, de combat, d’engagement.

(Cet article est paru dans Contrepied n°21 – EPS, des choix politiques quotidiens.)