Quelle danse à l’école ?

Temps de lecture : 10 mn.

Brigitte flippe présente sa définition de la danse à l’école, son cheminement vers une danse scolaire et les questions essentielles qu’un enseignant doit se poser.


L’EPS a inventé les APA: activités physiques artistiques pour les différencier des activités physiques et sportives et pour mettre en avant leur spécificité (danse et arts du cirque). Parmi les nombreuses danses que les hommes pratiquent depuis toujours partout dans le monde, les programmes EPS (UNSS) ont choisi de retenir toutes les formes de danses qui se situent dans une perspective artistique

Qu’est qu’une activité artistique ?

Dans la pratique d’une activité artistique, il s’agit de créer une oeuvre et de la présenter au regard de spectateur(s). Cette oeuvre est porteuse de sens. L’expression, la communication et « l’appropriation esthétique du réel » ( AER) sont au coeur de l’activité artistique.

L’expression : la création d’une œuvre suppose une relation poétique au réel c’est à dire une relation qui n’est ni utilitaire, ni scientifique, ni technique mais de l’ordre de la sensibilité. A travers son oeuvre, le créateur propose sa perception, sa lecture du réel, de son rapport au monde (à soi, aux autres) qui l’entourent. L’œuvre n’est donc pas une représentation du réel mais une évocation. Elle permet l’expression de son auteur et est le produit de son intention.

Communication : c’est la présence du spectateur qui permet la communication. Celui-ci confronté à l’œuvre, la recompose, la recrée à sa manière selon sa sensibilité, son histoire, sa culture. Ainsi, il peut y avoir un décalage entre ce qu’a voulu dire, exprimer et communiquer l’auteur de l’œuvre et ce que perçoit, ressent le spectateur. C’est ce qui est intéressant en art car la création de l’œuvre mais aussi sa recréation par le spectateur sollicite l’imaginaire.

AER: ce qui est communiqué dans tous les arts et peut être plus dans les arts visuels ou sonores, c’est d’abord une émotion esthétique, c’est à dire une émotion du domaine des sens . L’artiste communique, déclenche une émotion qui va imprimer le spectateur. Le spectateur reçoit l’œuvre avec ses sens (qui lui permettent de percevoir).Bien sur, cette sensibilité (de l’artiste comme du spectateur) est très influencée par l’époque, la culture, le contexte social. Ce double processus de distanciation du réel : la sensibilité, l’imaginaire du créateur exprimés dans son œuvre et ceux du spectateur recréant l’œuvre de manière personnelle a été appelé par Marian Vaross « l’appropriation esthétique du réel ».

La danse artistique ? A quelles conditions la danse est-elle « art » ?

La danse est « plurielle », des formes et des fonctions différentes, des manières diverses de pratiquer, de regarder et pourtant toutes sont identifiées comme étant danse. La matière première commune à toutes les formes de danse est le corps dansant,le mouvement de ce corps inclus dans une communication à l’autre. Il y a danse quand il y a expression (émotions/désirs), jeu (le mouvement pour lui même) et représentation (donner à voir aux regard de l’autre)( CP13 Janine Orssaud). Ces 3 dimensions sont toujours présentes quelques soient les formes de danse.
La danse est artistique lorsqu’il y a intention de représentation pour faire passer un projet d’expression/communication auprès de spectateurs, quand il y a création originale et singulière.
Cela suppose cette relation poétique au réel qui suscite l’imaginaire et le choix des moyens corporels d’expression et leur organisation pour aboutir à une œuvre qui sera montrée aux spectateurs. Quelques soient les techniques corporelles utilisées, quels que soient les choix esthétiques, ce qui doit organiser l’activité de l’être humain est cette communication avec le spectateur pour lui donner à voir, à signifier, à imaginer, à ressentir la relation au monde que l’œuvre propose. C’est cela le jeu auquel on fait jouer les élèves quand on les fait danser.

La danse contemporaine comme référence culturelle ?

Les programmes collège et lycée ont tranché : la référence culturelle est la danse contemporaine.
Le terme de « danse contemporaine » est source de malentendus, de représentations erronés tant de la part des enseignants que des élèves. Trop souvent elle est assimilée à une danse « d’intellos » à laquelle on ne comprend rien…Certes, parmi les nombreuses pièces qui nous sont offertes, tout n’est pas réussi, au même titre qu’au théâtre ou en arts plastiques. Les chorégraphes sont souvent des créateurs, ils innovent, inventent, explorent…ils peuvent choquer, nous dérouter, nous déplaisent. Tous les novateurs en danse moderne au début du siècle ont été souvent incompris. On se souvient de Carolyn Carlson dans les années 70 sifflée à l’Opéra. De même pour MayB de Maguy Marin (1980) donnant à voir des corps vieux, déformés… Et pourtant aujourd’hui ces pièces font partie du répertoire. Ce qui est intéressant et important c’est de comprendre pourquoi cela nous plaît ou non, pourquoi nous sommes bouleversés ou déstabilisés. Comme dans les autres disciplines artistiques, c’est avec un regard averti que l’on comprend mieux, en maîtrisant des connaissances et des savoirs qui donnent les clefs.

La danse contemporaine est par excellence une danse de création qui ne préconise ni ne s’enferme dans aucun style particulier, ni un modèle formel parce qu’elle explore et invente toutes les possibilités de l’imaginaire corporel. Elle accepte tout. De ce fait le terme de danse contemporaine désigne des danses qui ne se ressemblent pas, car elles sont liées à des singularités, des chorégraphes.

Des questions professionnelles

Pourquoi programmer cette activité ?
La danse artistique, par ses apports spécifiques offre des perspectives éducatives uniques en EPS :
-elle seule a pour finalité première la création de sens et d’émotion.
-elle seule permet la construction d’une motricité expressive. Le corps cesse d’être annexe de l’action ou révélateur de la personnalité pour devenir l’objet même de l’activité de la personne, ce sur quoi on travaille. Il est question de faire vivre aux élèves une expérience ou la relation à soi, aux autres au monde est spécifique, faite d’une approche poétique (non utilitaire, ni scientifique, ni technique mais de l’ordre du sensible).
-elle seule engage l’individu dans un processus complet de création. Les élèves sont conduits à déterminer une intention, un projet artistique puis à choisir des gestes des formes qui seront ensuite organisées (écriture chorégraphique) pour donner corps à la chorégraphie. Cette « œuvre » sera alors représentée devant des spectateurs pour leur donner à voir, à ressentir, à imaginer. (M.Delga 1990)

Quels contenus d’enseignement ?
En danse scolaire la démarche artistique est fondatrice. Il s’agit de créer une chorégraphie collective, de l’interpréter et de la présenter au regard de spectateurs. Cette production est porteuse de sens . Deux champs d’apprentissage sont nécessaires : l’écriture chorégraphique, la composition et l’appropriation de techniques spécifiques.

Aspect moteur : Se centrer sur une motricité expressive (on donne du sens à ce que l’on fait) tout en développant un « répertoire » technique. L’enjeu est alors de diversifier et enrichir le vocabulaire gestuel par une technique de plus en plus complexe et maîtrisée au service du sens. Passage obligé d’acquisitions très importantes sans lesquelles les élèves ne pourraient pas être considérés comme danseurs du point de vue de leur motricité, de leur disponibilité corporelle.
Deux aspects pour enrichir le vocabulaire corporel de l’élève :
– par l’appropriation d’objets techniques selon une démarche ouverte qui intègre ou dépasse les différents styles de danse. Cette appropriation passe par un travail de reproduction de mouvements, d’action. Ex: ancrage, respiration..
Ce travail se fait le plus souvent au moment de l’échauffement appelé la barre en danse.
– par l’exploration des possibles du mouvement. Il s’agit ici de transformer une gestuelle quotidienne en une gestuelle dansée. On joue alors sur les composantes du mouvement (temps, espace, énergie).

Aspects méthodologiques et sociaux : S’approprier une démarche de création en abordant différents rôles : danseur, chorégraphe, spectateur.
La démarche de création :
1 – avoir une idée : moteur de la création. Un projet. K.Wahner : chorégraphier c’est avant tout avoir une idée et la faire vivre par le mouvement. Un thème, un sujet mais pas seulement, on peut aussi partir d’une émotion, d’une impression…On parle de déclencheurs.
2 – ensuite il faut envisager tous les aspects de cette idée dans un travail de réflexion et de recherche corporelle : Processus de création (La créativité selon Guilford est une aptitude basée sur l’imagination. Capacité à trouver des solutions multiples à un problème, à imaginer des solutions originales. ‘est un processus. Aptitude à la pensée divergente caractérisée par 3 modalités principales : fluidité, flexibilité, originalité.

– Fluidité : capacité à produire le plus grand nombre de réponses motrices dans une situation problème pour un temps donné. Pôle quantitatif des réponses du sujet.
– Flexibilité : capacité à produire le plus grand nombre de réponses motrices appartenant à des catégories comportementales différentes dans une situation problème pour un temps donné. Pôle qualitatif des réponses du sujet
– Originalité : caractère peu commun d’une réponse d’un sujet. Elle est estimée d’après le nombre de réponses motrices rares fournies par le sujet au sein d’un groupe .La création est la capacité à conduire une solution créative jusqu’à son terme dans une forme abouti : le produit )
Il s’agit à cette étape de trouver et retenir des formes corporelles, des gestes, de les enrichir et les transformer par un travail d’épure qui permet d’affiner, d’aller à l’essentiel.

3 – Composer et mettre en scène, étape difficile qui consiste à faire des choix selon des règles, des principes. La danse est un langage qui, comme la langue française par exemple, dispose d’un vocabulaire et d’une grammaire.

Cf: Article de F.Torrent CP13 Apprendre…oui mais quoi? : Choix de l’architecture (scénario, couplet refrain, variation autour d’un thème, combinatoire), d’une mise en scène par une organisation particulière de l’espace scénique (entrée, sorties, formations), de renforçateurs (monde sonore, décors, costumes, vidéo…), relations entre danseurs (synchro, désynchro), de majorateurs( répétitions, accumulation, transposition, inversion, continuité)
Prendre en compte l’autre ( son niveau, sa gestuelle), le contact, le regard.
Faire des propositions, accepter les choix des autres
Jouer différents rôles : D/C/S en assumant différentes tâches ( observer, évaluer, argumenter)
Instaurer un réseau de communication pour mener à terme un projet commun
Quelles évolutions et quels savoirs prioritaires au fil du cursus? Performance scolaire attendue ?
Les contenus d’enseignement sont valables de la 6ème à la Terminale. La différence portera sur la qualité des contenus dans un cycle, la capacité des élèves à diversifier, enrichir leur vocabulaire corporel, à dissocier de plus en plus finement, coordonner de façon plus complexe, à généraliser les principes fondamentaux du mouvement, à construire une disponibilité corporelle de plus en plus grande, à réinvestir dans un projet artistique en maîtrisant de mieux en mieux les principes d’écriture chorégraphique.
L’objectif est donc d’amener les élèves à faire des choix chorégraphiques de plus en plus précis et à approfondir techniquement et émotionnelle ment leurs propositions :
-savoir faire des choix d’écriture pour entrer dans un projet artistique
-savoir faire des choix d’épure et de transformation (majoration) pour rendre la gestuelle signifiante
-savoir rendre son corps de plus en plus disponible (respiration, ancrage, utilisation du buste, dissociation, coordination..)
-savoir jouer son rôle de danseur, maîtriser ses émotions « s’affronter soi même sous le regard des autres »
-savoir écouter et échanger
-savoir lire (savoir mobiliser ses connaissances pour expliciter, argumenter).

L’évaluation en danse ? Un malentendu à lever
Source de conflits, l’évaluation en danse fait toujours débat. Effectivement, il est très difficile de quantifier (noter) une émotion, un ressenti, il est alors indispensable d’avoir recours à des critères précis et de les hiérarchiser en niveau de pratique. Deux éléments sont à prendre en compte :
– La composition : lisibilité du projet, développement du propos chorégraphique, gestion de l’espace, relations inter-danseurs, renforçateurs
– L’interprétation : engagement émotionnelle, engagement moteur

— Formative : les élèves présentent à chaque séance une production. Ce qui permet de faire des allers-retours entre les chorégraphies, les remarques des spectateurs et les exigences attendues. Quelle que soit la durée et la « qualité » de la production, l’évaluation formative doit permettre de vérifier l’appropriation des contenus enseignés (thème d’étude) et l’appropriation d’une démarche spécifique (explorer, transformer, choisir, organiser, répéter, présenter)
Ce type d’évaluation doit permettre des remédiations et engager d’autres phases de travail pour les trois rôles D/C/S.

— Sommative : Prendre en compte les 3 rôles : note de spectateur (analyser, comparer, lire, évaluer des productions) note collective de chorégraphe (composition), note de danseur (moteur, émotion). L’enseignant construit sa grille en fonction des apprentissages.

— Certificative : (cf référentiels) Mettre les candidats dans une situation la plus proche possible de notre référence culturelle. Par exemple il est très difficile de rendre une composition poétique dans un gymnase ou de jouer un rôle dans une salle avec du bruit, ou un espace trop grand, d’avoir un rapport au sol propice à l’ancrage sur un sol glissant ou un tatami.
Il faut toujours laisser du temps aux élèves observateurs et aux évaluateurs de s’imprégner du sujet du titre, afin de laisser libre cours à l’imaginaire de chacun, début de la démarche de lecteur.
Construire ou garder les grilles les plus précises quitte à expliciter ou donner des synonymes à certains termes (un glossaire est souvent le bien venu)quel que soit le niveau d’expertise des évaluateurs.
Avoir un retour systématique aux observables avant de mettre des points ce qui permet de comparer, d’argumenter avec des données précises.

DANSE UNSS La compétition ?
3 pôles : développement (rencontres festives, pas d’évaluation, pas de classement), compétition (rencontres sélectives évaluation, notation, classement), responsabilisation (formation JO spectateur, évaluateur)
Organisation des rencontres à différents niveaux district (difficiles à mettre en place), départemental, académique, inter-académique et national (Biennale de la danse, 1 an sur 2)
Commission mixte départementale, Commission mixte académique, Commission mixte nationale composées exclusivement d’enseignants animant une AS Danse et des responsables UNSS. Toutes ces commissions ont pour objectifs de déterminer les règlements de participation et d’organiser les rencontres.
Le nombre d’AS danse participant au pôle compétition est important, le règlement est exigeant (15 danseurs maximum, durée max 8 minutes, pas de catégories d’âge) , la compétition est rude (seule s 2 chorégraphies une collège et une lycée par académie ont le droit de participer à la rencontre nationale) . La sélection des chorégraphies est réalisée par un jury (composition variable suivant les académies : élèves seuls guidés par des enseignants, profs + élèves) qui utilise des grilles d’évaluation élaborées souvent au niveau de chaque académie mais reprenant systématiquement les critères vus précédemment.
Cette expérience de « compétition » en danse confronte les élèves à une réalité culturelle. En effet, les danseurs professionnels qui souhaitent danser dans telle ou telle compagnie doivent passer des auditions, le chorégraphe choisira alors les danseurs qui répondent le mieux à ses attentes. Il en est de même pour les compagnies professionnelles de danse qui, pour recevoir des subventions par exemple, doivent présenter leur travail à un jury qui sélectionnera la meilleure prestation, la meilleure composition.