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En EPS, adjoindre le mot « scolaire » à d’autres est devenu une mode : pratique « scolaire », performance « scolaire », compétition « scolaire »… comme si ce qui se passe à l’école pouvait être autre chose que « scolaire ». Pourquoi l’EPS est-elle la seule discipline dans ce cas ? Sur quoi repose cet adjectif ? Qu’apporte –t’il concrètement ?

Dans un livre sur l’évaluation1 le SNEP interroge l’EPS au Bac2 : « l’introduction d’une composante évaluation motrice complémentaire dans l’évaluation de la conduite motrice, dont le premier effet était de relativiser la part prise en compte pour la performance, a soulevé bien des problèmes… ». Dans ce même ouvrage, Robert Né, Inspecteur Pédagogique, assimile la performance au « résultat de l’action », généralement quantifiable. Il annonce en fait ce qui traversera ensuite l’histoire de l’EPS et de son évaluation jusqu’à ce jour : « Un même élève peut voir ses performances varier sensiblement (…) et inversement un même résultat peut avoir des significations différentes. C’est pourquoi il est sans doute nécessaire de rechercher d’autres indicateurs pour évaluer plus précisément la compétence acquise à un moment donné ».

S’amorce alors un débat qui sera plus ou moins permanent et qui se cristallisera sur les épreuves du Bac, dans lequel deux mouvements vont se cumuler : une relativisation dans un premier temps du poids de la performance dans la note jusqu’en 2002 (nouvelle conception du Bac), puis une transformation de la notion de performance à partir de 2002 qui intègre, non plus à côté, mais au sein même de sa définition, d’autres critères que le résultat mesuré ou quantifié.

La performance s’oppose à la réussite de tous ?

En 1984, au Bac, l’EPS passe d’une note basée exclusivement sur des épreuves ponctuelles en fin d’année, avec des barèmes, à une évaluation où la performance ne représente plus qu’un quart de la note. En 1992, Claude Pineau, Doyen de l’Inspection Générale, dans un article de la revue EPS3, annonce les changements à venir : « Le sport et plus particulièrement les activités physiques compétitives ont toujours eu le souci d’utiliser la mesure. Qu’il s’agisse de distance ou de durée, de puissance ou d’habileté, des différences de quelques centièmes de seconde, des écart mesurés au centimètre ou à quelques grammes près, peuvent créer d’important évènements et privilégier l’exceptionnel. En éducation physique et sportive les objectifs qui sont assignés à cet enseignement, autant et peut-être plus qu’à tout autre, lui font obligation de s’adresser à tous les élèves. Les réalisations de certains, fussent-elles éblouissantes, ne saurait faire oublier l’intérêt qui doit être porté à tous. Il convient donc, de façon prioritaire, d’apprécier les progrès des élèves et d’évaluer les effets de leurs apprentissages. Ce n’est que par la suite, chacun ayant eu les moyens d’assurer sa formation, que les résultats intrinsèquement évalués fourniront des informations sur des capacités dont les relations aux savoirs ne s’établissent pas de façon directe ».

Ce texte est selon nous fondateur d’un argumentaire qui résonne encore aujourd’hui. Ainsi la performance4, c’est le sport, le record, l’exceptionnalité, c’est du biologique…

Claude Pineau détaille ensuite ce qu’il proposera pour le Bac, en 1993. Puisque « la performance, comme le record, est un acte unique », elle ne peut servir de base à l’évaluation. Le Bac 93 imposera une notation partant de la « maitrise d’exécution », à laquelle on affectera un coefficient multiplicateur en fonction de la performance qui permet juste de majorer ou minorer la note.

Cela se combine à une autre contrainte qu’impose le nouveau Bac : l’obligation d’évaluer 3 activités au lieu des 2 possibles auparavant. Mécaniquement, le temps d’apprentissage diminue, et avec lui les possibilités pour les élèves d’atteindre un meilleur niveau de performance…

Ces choix visent in fine, toujours d’après Cl. Pineau, à résoudre le problème de l’EPS, qui souffre d’une « confusion qui s’est établie entre les objectifs du sport et ceux de l’EP ».

Les arguments de « l’opposition »

Le SNEP, pourtant, valide le Bac 93 au conseil supérieur de l’éducation parce qu’il gagne un coefficient 2, ce qui parait alors plus important que cette question de la performance. Mais dès 94, le SNEP organise la profession pour contester l’arrêté du 24 mars 93. Il écrit : « la performance ou la prestation doivent constituer la base de la notation, conformément à la spécificité de chaque APS à laquelle d’autres éléments viennent s’ajouter. », reprenant ainsi une idée déjà exprimée dans les colonnes du bulletin national5. L’évaluation doit porter sur « la prestation ou la performance, comme manifestation objective d’une recherche d’efficience maximale dans une APS donnée. Elle donne sens à l’activité. Pour autant, elle ne saurait renvoyer à une modèle unique, « sportif », de la performance. En tout état de cause, elle ne peut se limiter à la seule référence athlétique, ce qui plaide pour engager un travail approfondi sur une conception élargie de la performance. »

Enfin, une critique apparait, issue de l’observation du terrain : selon les activités, les notions de performance et de maitrise varient, et parfois, se confondent, si bien que « les critères utilisés sous le vocable performance, à propos d’une activité dans un certain établissement, fait l’objet dans un établissement voisin, de l’évaluation de la maitrise. »6

Nouvelle donne

Sous la pression et la réalité du terrain, l’institution pédagogique ne pourra contester ces critiques et changera de système en 1995. On gardera la distinction performance/maitrise mais on ne multiplie plus, on ajoute. Le rapport entre les 2 reste cependant en défaveur de la prise en compte de la performance7.
La contestation continue. Un nouveau colloque du SNEP8 convoque cette fois la recherche pour aborder la question de l’évaluation, qui confirme que les enseignants, au quotidien, intervertissent les contenus performance/maitrise9. Concrètement cela signifie qu’ici la performance vaut 9 points, là seulement 6.

Au bout du compte, la période qui va du Bac 84 aux années 2000 brasse les mêmes idées : comment ne pas noter uniquement la performance, comment prendre en compte le travail et l’investissement, comment noter le processus plutôt que le produit, comment évaluer ce qui a été enseigné et appris, non les qualités acquises ailleurs…

L’année 99 voit un nouveau cycle s’engager sur les programmes en lycée10, avec un pilotage non plus de l’Inspection Générale, mais d’un universitaire, Gilles Klein, qui débouchera sur des programmes pour les lycées et lycées professionnels, et sur un nouveau Bac11. Après plus d’un an de discussions entre le groupe disciplinaire et le SNEP principalement, ce dernier votera pour ce nouveau Bac au conseil supérieur de l’éducation, malgré quelques désaccords persistants. Le débat a modifié cependant ce que l’on pouvait entendre par performance « scolaire ». En décembre 2000, le SNEP réalise un document12, envoyé à l’institution, et développe ainsi le propos :

« Le concept de performance scolaire
(…)
Ces propos préliminaires nous font dire que nous pourrions définir la performance scolaire comme une prestation ou une réalisation motrice (définition proche de celle des programmes lycée) articulant logique sportive et logique didactique. Pour quelles raisons mettons-nous en relation la performance scolaire avec ces deux types de logiques ?

  • concernant la logique sportive, l’élève doit produire une performance « reconnaissable » au regard d’un certain nombre de pratiques sociales (réaliser une performance au javelot c’est produire un jet mesuré, « performer » en sports collectifs c’est faire basculer le rapport de forces en sa faveur pour battre l’équipe adverse etc …). Nous n’excluons pas ici le domaine des pratiques artistiques pour lesquelles il est tout à fait concevable de dire que l’on peut « performer ». La performance est ici conçue comme la capacité à produire des formes expressives manifestant une sensibilité artistique et suscitant de l’émotion chez le spectateur,
  • la logique didactique porte sur les intentions pédagogiques de l’enseignant en termes de transformations souhaitées ou de contenus que les élèves doivent s’approprier. Sur une durée d’apprentissage fixée et compte tenu des possibilités des élèves, quel est le produit attendu ? Quelles sont les manifestations comportementales attestant que l’élève est devenu plus performant ? On pointe ici toute l’importance de prendre en compte le contexte scolaire. Les normes à partir desquelles devront être appréciées les performances des élèves sont, dans ce cas, internes à l’école car déterminées profondément par un certain nombre de contraintes qui pèsent sur la quantité d’apprentissage (hétérogénéité du public, conditions matérielles, motivation des élèves, durée des cycles …).

Si la référence aux champs des pratiques sociales de type artistique ou sportif reste de mise, les performances évaluées ne peuvent en aucun occulter les contraintes du temps didactique, ce qu’expriment bien les textes programmes pour lesquels les compétences visées sont déterminées en fonction de durées d’apprentissage bien précises. L’ensemble de ces réflexions montre bien, nous semble-t-il, toute la pertinence du concept de performance scolaire. »

Il s’agit donc d’une notion qui articule logique sportive ou artistique et logique didactique. Ce qu’on entend ici par logique sportive, c’est le respect du « sens » de l’activité, et la logique didactique, la prise en compte du contexte scolaire.

La grande nouveauté du Bac 2002, c’est la mise en relation, ce qui aujourd’hui nous parait normal, d’une épreuve avec ses conditions de réalisations et d’un système de notation spécifique qui caractérise la production « scolaire ». Le cas emblématique est celui du 3X500m. Cette épreuve ne reproduit la norme fédérale tout en respectant la logique du demi-fond, et le système de notation intègre la notion de « projet de performance ». Respecter concrètement ce projet devient en soi une part de la performance. Au plan théorique, par rapport aux objectifs annoncés, ce modèle est presque parfait. Pour que la performance soit validée et bien notée, il faut qu’elle soit reproductible (je ne peux annoncer de projet si je n’ai pas reproduit plusieurs fois le résultat), elle est le reflet d’un travail (impossible d’annoncer le projet si je n’ai pas pris nombre de repères avant), elle intègre des éléments de connaissance de soi (je me connais, je sais que je peux réaliser tel temps).

Mais ces propositions feront pourtant l’objet de discussions, voire de tensions entre l’institution pédagogique qui, sans nier bien entendu l’intérêt et la portée de ces nouveautés, va rejouer une partition connue, en tentant de donner un poids au projet, dans la note, le plus important possible, au risque de rompre l’équilibre trouvé. Cette tension amènera d’ailleurs A. Soler et M. Pradet, auteurs de certaines épreuves d’athlétisme, de dire que si la performance chiffrée (le résultat de la cours, du saut ou du lancer) est inférieure à 80% de la note, alors on risque d’abandonner la logique de l’activité.

Aujourd’hui ?

Dans le tournant pris en 2002, plusieurs problèmes notionnels n’ont pas été réglés. Par exemple, le discours officiel continue d’annoncer que nous évaluons des compétences et non les performances, sauf dans le cas précis des épreuves athlétiques. Rebond sur les classifications des pratiques physiques… D’une certaine manière, il y a là une confiscation par les activités athlétiques de la notion de performance.

Par ailleurs, lorsqu’on analyse les propositions, finalement, ce n’est pas tant la performance qui est scolaire que les épreuves. On peut considérer que la performance est forcément scolaire dans la mesure où elle se passe à l’École, avec les objectifs qui lui sont assignés. Et si on admet que la performance est déterminée par la nature de l’épreuve et de ses contraintes, c’est l’épreuve qui devrait s’affubler de l’adjectif scolaire. Mais la notion de « performance scolaire » est restée. Elle permet d’adoucir celle de performance, identifiée comme se rapportant exclusivement au fait sportif fédéral et à ce qu’on appelle « la haute performance », brouillant ainsi les cartes, créant un trouble sur la nature même du travail à faire : permettre à tous et toutes d’atteindre un niveau significatif, qui a un sens social, dans la classe, pour l’élève. La performance serait alors le signe d’une entrée en culture.

Cet article de Christian Couturier est paru dans Contrepied HS n°10 – La performance, un droit pour toutes et tous !

  1. L’évaluation en EPS. Ed SNEP. 1984
  2. circulaire du 11/07/1983
  3. Revue EPS N°235
  4. Définie explicitement plus loin dans l’article comme « jugement portant sur la qualité exceptionnelle »
  5. Bulletin n°421 de nov 1992
  6. Actes du colloque du SNEP. 1996
  7. Dans la répartition des points, sur 15 points, la note de performance ne peut être supérieure à la note de maitrise. Dans les faits, l’institution pèsera pour imposer 9 points pour la maitrise, 6 pour la performance.
  8. à Orsay, en 2000
  9. (Recherche INRP, Bernard David)
  10. (voir cp n°histoire)
  11. (arrêté de 2002)
  12. (C. Couturier, JP CLeuziou, S. Brau-Antony, A. Becker)