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Prenant appui sur le flou des textes, les aléas de la formation des enseignants et la diversité des pratiques professionnelles, Mathilde Musard1 interroge ces fluctuations dans les pratiques.

Pourquoi une recherche sur l’acrosport en EPS ?

Cette thèse cherchant à élucider la manière dont les acteurs (experts, formateurs, enseignants d’EPS) envisagent l’enseignement de l’acrosport est née d’une question de terrain. Alors que je débutais dans le métier d’enseignante d’EPS, je devais, comme bon nombre de collègues, enseigner une APSA que je ne connaissais que superficiellement.

  • D’une part, la pratique sociale de référence (rebaptisée « gymnastique acrobatique » en 2004), était (et est toujours) très peu médiatisée.
  • D’autre part, les ressources pour les enseignant·e·s (publications professionnelles, formations) étaient peu développées.

Je me suis donc intéressée à ce paradoxe : comment les professeur·e·s d’EPS s’y prennent-ils, elles pour enseigner l’acrosport, alors qu’ils ont peu d’outils à leur disposition ? Quelles sont les prescriptions institutionnelles (programmes d’EPS) et les orientations préconisées dans la littérature professionnelle et la formation continue ?

L’acrosport scolaire ne semblait relever ni d’une transposition didactique descendante de pratiques sociales de référence, ni d’une création didactique, mais plutôt d’un processus complexe de « composition sous influences »

L’acrosport scolaire ne semblait relever ni d’une transposition didactique descendante de pratiques sociales de référence, ni d’une création didactique, mais plutôt d’un processus complexe de « composition sous influences » (Martinand, 2001). L’entrée par les curriculums2 m’a amenée à croiser les points de vue des différents acteurs concernés par l’enseignement de l’acrosport : ce qui est prescrit par l’institution (le curriculum formel), les possibles imaginés par les enseignant·e·s et les formateurs/trices dans les publications et formations (le curriculum potentiel) et enfin ce que les professeur·e·s déclarent enseigner (le curriculum enseigné).

Les choix curriculaires ont été étudiés à partir de plusieurs questions relatives au « quoi enseigner », au « pourquoi », au « comment enseigner » et « comment évaluer », en cherchant à repérer les influences culturelles, institutionnelles, sociales, personnelles… La méthodologie de la recherche a consisté en une analyse de contenu de documents (programmes, ouvrages et articles de la revue EPS, libellés de stages de formation continue), de questionnaires envoyés aux enseignant·e·s d’EPS et d’entretiens semi-dirigés avec des professeur·e·s aux profils contrastés. Par la suite, j’ai prolongé cette recherche en allant observer au plus près les pratiques effectives, pour comprendre comment ces choix curriculaires s’actualisaient en classe.

Quels sont les principaux résultats produits par la thèse ?

Le cas de l’acrosport scolaire apparaît particulièrement original en raison des diverses pratiques sociales choisies par les enseignant·e·s. En effet, certain·e·s prennent pour référence la pratique fédérale de la gymnastique acrobatique ; d’autres combinent différentes activités gymniques (les agrès, la gymnastique rythmique par exemple), voire artistiques (la danse, le cirque) et co-construisent avec les élèves de nouvelles formes de pratiques. Ces dernier·e·s jouent un rôle déterminant en apportant du matériel, des objets, des costumes ou en intégrant d’autres APSA à leur enchaînement. La plupart des enseignant·e·s accepte alors de transformer l’activité et de s’éloigner du sens culturel des pratiques sociales, à condition que « ça tourne » et que les règles de sécurité soient respectées. Ils, elles déclarent également s’appuyer davantage sur les propositions de la profession dans les publications et les stages de formation continue, plutôt que sur les programmes d’EPS. Ces derniers entretiennent d’ailleurs un certain flou, permettant aux enseignant ·e·s de s’y retrouver quelle que soit leur conception de l’acrosport. La terminologie retenue, l’« acrosport », différente de la pratique fédérale, semble d’ailleurs reconnaître et autoriser une certaine spécificité scolaire. De plus, le regroupement des activités gymniques et artistiques au sein de la CP 3 a tendance à renforcer l’amalgame entre ces deux types d’activités pourtant bien distinctes.

« À quelle pratique sociale les enseignants se réfèrent-il pour transmettre le patrimoine de la culture sportive et artistique lorsqu’ils mixent les activités gymniques et les activités artistiques ? »

Une recherche plus récente (Musard & Robin, 2014) a consisté à repérer les traitements didactiques de l’acrosport dans la revue EPS, de 1992 à 2012 et à caractériser la dimension artistique. L’analyse de 34 articles a permis de dégager deux grandes conceptions, résumées dans le tableau ci-dessous :

  • une conception gymnique, où la dimension artistique est seconde et renvoie à l’harmonie de l’enchaînement, en référence aux activités gymniques ;
  • une conception mixte gymnique et artistique, où la dimension artistique prend une autre signification en référence aux activités artistiques, sans pour autant abandonner la dimension gymnique. Dans ce cas, l’acrosport se transforme en une « double activité », combinant deux types de référence gymniques et artistiques. Ainsi, les élèves, à la fois porteur·e, voltigeur·e, juge et spectateur/trice, mais encore chorégraphe, metteur·e en scène, interprète, sont censé·e·s maîtriser des éléments à la fois de plus en plus acrobatiques mais aussi de plus en plus signifiants au service d’un projet expressif.
Tableau 1 : deux conceptions de l’acrosport dans la revue EPS de 1992 à 2012

Quelles données peuvent être utiles à l’EPS du quotidien ?

Ces recherches nous amènent à questionner les différentes conceptions de l’acrosport qui cohabitent en EPS.

D’une part, la conception gymnique valorise, en référence à la gymnastique acrobatique, davantage la maîtrise d’éléments gymniques de difficulté croissante que l’enchaînement. Cette orientation est d’ailleurs fondamentale dans les premières étapes de l’apprentissage, où les élèves doivent s’approprier un certain nombre de contenus (placements, alignements, qualité des appuis, règles de montage et démontage, etc.) afin de pouvoir pratiquer en toute sécurité (pour cette raison, les figures en empilement sont déconseillées, voir Mauriceau & al., 2010). Alors que les programmes précédents entérinaient un certain flou en autorisant des références diverses (cf les programmes de 3e de 1997 qui encourageaient différents modes d’entrée à partir des activités compétitives et des activités de spectacle, des « relations avec les éléments gymniques de la gymnastique sportive et les arts du cirque »), les programmes actuels légitiment davantage la conception gymnique. Dans les trois premiers niveaux, les élèves, jouant les rôles de porteur·e, voltigeur·e, aide ou juge conçoivent, présentent et jugent un enchaînement de figures acrobatiques, montées et démontées de façon sécurisée à partir d’un code commun. Ce n’est qu’à partir des niveaux 4 et 5, lorsque les élèves possèdent une certaine maîtrise des figures, que la dimension artistique est plus présente (aspects chorégraphiques, fluidité de l’enchaînement, orientation, occupation de l’espace, prise en compte du support sonore et des effets chorégraphiques).

D’autre part, la conception mixte acrobatique et artistique s’éloigne des pratiques sociales de référence, des programmes et vise simultanément l’acquisition de compétences gymniques et artistiques. Les formateurs/trices et les enseignant·e·s cherchent ainsi à composer avec les aspirations des élèves, à développer le sensible et l’artistique et à faire des liens entre APSA gymniques et artistiques au sein de la compétence propre n°3 des programmes.
La question de la référence, développée par Martinand nous invite à questionner ces pratiques recomposées. À quelle pratique sociale les enseignants se réfèrent-il pour transmettre le patrimoine de la culture sportive et artistique lorsqu’ils mixent les activités gymniques et les activités artistiques ? Les temps de pratique étant contraints en contexte scolaire, ne serait-il pas préférable de cibler ce qu’il y a à enseigner pour prétendre à de véritables acquisitions chez les élèves ?

Entretien de Mathilde Musard mené par Yvon Léziart et paru dans la revue Contrepied Acrosport

  1. Université de Franche-Comté, Laboratoire ELLIADD.
  2. De Landsheere (1992) définit le curriculum comme un ensemble d’actions planifiées pour susciter l’instruction comportant les objectifs, les contenus, les méthodes, les matériels, les dispositions relatives à la formation des enseignant·e·s.

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