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À partir des années 1990, le tennis de table (TT) a pris une place considérable dans les programmations en EPS, devenant par la suite l’une des APSA les plus pratiquées par les élèves. Néanmoins, l’actualité tend davantage à souligner une stagnation de son enseignement, dans un contexte de concurrence avec le badminton, et plus globalement avec les autres activités d’opposition 1. Pour expliquer cette dynamique, plusieurs hypothèses sont à envisager…

  • D’une part, elle fait écho au milieu fédéral qui cherche également un second souffle.
  • D’autre part, il faut souligner la permanence de la problématique identitaire et historique de cette activité, simultanément agréable divertissement et véritable sport de compétition.

Son enseignement en EPS est alors parfois orienté de manière excessive vers une logique d’animation, ou au contraire dans des conditions non favorables à l’engagement. Dès lors, comment redynamiser l’activité des enseignant.es et des élèves pour qu’ils et elles soient « tous et toutes d’attaque » à l’enseignement et la pratique du TT ?

Il nous semble que la question de la maîtrise technologique et didactique se pose de manière centrale, afin de proposer un enseignement adapté au contexte scolaire. Alors que la tendance institutionnelle déplace le centre de gravité de la discipline vers des finalités générales, au risque d’une prise de distance avec le projet d’appropriation culturelle, nombre d’enseignant.es expriment un besoin de repères dans l’enseignement des APSA. Le TT, activité riche et exigeante d’un point de vue tactico-technique, illustre parfaitement cette problématique. N’en posséder qu’une maîtrise superficielle ne permet pas de la proposer aux élèves, au risque de délaisser des savoirs ambitieux. Il est d’ailleurs possible de se demander si le glissement parfois perceptible dans la profession vers des leçons centrées sur des visées générales, ne traduit pas une difficulté à concevoir et animer des apprentissages explicites et pertinents. Peut-on parler comme en badminton d’une « panne didactique »2 ? En tous les cas, un préalable est de clarifier les fondements de cette pratique sociale, pour pouvoir l’adapter aux élèves et au contexte scolaire.

« Il s’agit à l’évidence d’une activité ancrée dans une histoire, porteuse d’une culture riche et de valeurs importantes pour la formation des élèves. »

Jouer au TT : se situer dans une dialectique attaque / défense ?

Cette pratique sportive repose sur une logique d’opposition entre deux adversaires (ou deux équipes en double), dans un contexte réglementaire spécifique : l’utilisation d’une raquette pleine (le plus souvent adhérente), d’une balle légère, et d’une table surélevée de petites dimensions et séparée en son milieu par un filet bas. Pour marquer un point, le joueur ou la joueuse doit, en produisant un service indirect ou après avoir attendu un seul rebond dans son camp, (r)envoyer la balle dans le camp adverse et empêcher l’adversaire de réussir à en faire de même3. La cible à atteindre est non seulement à situer sur la demi-table adverse sur un plan horizontal, mais également de manière plus abstraite et verticale, en arrière-plan de l’adversaire (ou sur son corps).

L’activité du / de la pongiste consiste alors à jouer avec pertinence entre des intentions d’attaque (prendre l’initiative de la rupture de l’échange) et de défense (maintenir la continuité de l’échange et empêcher l’adversaire de prendre l’initiative).

Les choix se font en fonction de la pression temporelle en cours d’action pour se situer dans cette dialectique, en adaptant les choix de trajectoire (vitesse, direction, profondeur, hauteur, effet) et en créant dès que cela est possible de l’incertitude (spatiale, temporelle, évènementielle) vis-à-vis de l’adversaire4.

Les spécificités réglementaires influencent aussi très fortement l’activité tactico-technique des pongistes. En effet, le TT se caractérise par une motricité très fine : la réalisation du geste et le contact balle/raquette doivent être très précis, alors même que la pression temporelle est importante. Cela n’est pas sans incidence sur la charge des pongistes dont la concentration ne doit pas faiblir malgré les fluctuations de la dynamique émotionnelle en cours de match. La spécificité de cette pratique réside aussi dans la possibilité importante de créer des rotations de balle (avant, arrière, latérales), qui colore de manière singulière l’activité en attaque et en défense, et enrichit la sollicitation des ressources perceptivo-motrices. Il y a là une richesse technico-tactique à exploiter.

Au regard de la nécessité de cibler certaines acquisitions prioritaires en EPS, il nous semble intéressant de proposer une focale sur le jeu d’attaque.

Finalement, ces caractéristiques sont autant d’arguments pour justifier de la pertinence de l’enseignement du TT en EPS aujourd’hui. Il s’agit à l’évidence d’une activité ancrée dans une histoire, porteuse d’une culture riche et de valeurs importantes pour la formation des élèves. Il s’agit de faire preuve d’intelligence et de malice pour gagner un point face à l’adversaire du moment, comme le souligne Jacques Secretin : « C’est comme une partie d’échecs : pour prendre position sur le plateau, il faut prendre possession du cerveau de l’adversaire, tenter d’avoir une emprise mentale sur lui. Ce jeu du chat et de la souris peut alors devenir très jouissif »5.

Un choix stratégique pour l’étude du TT en EPS : tous et toutes vers l’attaque ?

Le parcours de formation des élèves se construit de façon spiralaire, en approfondissant progressivement des compétences autour du rapport d’opposition et de la dialectique attaque / défense. Bien jouer, c’est faire des choix pertinents en situation, entre une intention de continuité de l’échange (défense) et une intention de rupture de l’échange (attaque). Cependant, au regard de la nécessité de cibler certaines acquisitions prioritaires en EPS, il nous semble intéressant de proposer une focale sur le jeu d’attaque, de permettre à tous / toutes de s’engager dans des intentions de rupture (jouer placé, jouer vite, jouer fort, jouer avec effets), qui semblent prometteuses, tant en termes d’engagement que de transformations tactico-techniques. Il faut souligner dans la pratique du haut niveau, la quasi disparition des profils de jeu valorisant la défense. Simultanément, il faut garder à l’esprit que le progrès en attaque est indissociable de celui en défense. Il s’agit donc de proposer des apprentissages qui se conçoivent dans l’équilibration des possibilités d’attaque et de défense, en veillant toujours à redonner l’avantage à l’attaque dans le rapport de force. Enfin, le jeu d’attaque ne prendra pas le même sens en fonction du niveau des élèves.

Plus précisément, les débutants rencontrent parfois des difficultés importantes pour créer la rencontre raquette-balle et maintenir la continuité des échanges.

Les enseignant.es d’EPS sont parfois démuni.es face à ces problèmes perceptivo-moteurs, et il leur faut alors faire preuve d’ingéniosité et de progressivité pour faire émerger la possibilité de l’attaque.

Lorsque la continuité des échanges pose moins de problème, l’enjeu devient de sensibiliser à la rupture de l’échange.
à ce niveau, il est possible d’orienter les élèves vers un projet d’attaque, en exploitant le placement de la balle, la vitesse des trajectoires et/ou la puissance des frappes. Enfin, avec des élèves de niveau plus avancé, l’intégration des rotations de balle au cœur de l’activité tactico-technique en attaque (et en défense) apparaît comme incontournable afin d’exploiter une richesse spécifique du TT. Se pose néanmoins la question du choix des effets et du moment de cette intégration dans le cursus de l’élève.
Tout au long de ce continuum menant progressivement à un enrichissement de l’activité des élèves, l’exploitation du service apparaît comme un axe de travail particulièrement pertinent. En effet, il s’agit du moment où l’adversaire ne peut exercer aucune pression temporelle ni incertitude. Le service donne donc l’occasion d’une activité réflexive pour mettre en place un projet tactique vers l’attaque, et permet également la réalisation de coups techniques plus complexes qu’en cours d’échange.

Quels choix de mises en œuvre ?

Dans la littérature professionnelle, l’enseignement du TT en EPS a évolué depuis les années 2000 selon plusieurs tendances majeures.
La première concerne l’utilisation de plus en plus importante des matchs à thème afin de privilégier une entrée dans les apprentissages par le jeu, l’opposition et la tactique. Néanmoins, le risque est alors important de se contenter d’une logique d’animation, d’autant que les cours sous cette forme sont relativement confortables en termes de gestion de classe. Par exemple, on observe la mise en place récurrente d’un fonctionnement en montante descendante, avec une succession de différents matchs à thème sous forme de « zapping ». Cela pose alors la question du ciblage des objectifs de progrès, des situations et des contenus tout au long du parcours de formation de l’élève en tennis de table, qui se limite assez souvent à deux ou trois cycles d’enseignement6. Quels matchs à thème pourraient être privilégiés dans l’objectif d’orienter les élèves vers un jeu d’attaque ? Cela invite à s’interroger aussi sur la place à accorder à des situations complémentaires focalisant sur le progrès technique.

Une deuxième tendance concerne l’exploitation des dimensions collectives de la culture du TT. Il s’agit par exemple d’intégrer la pratique en double, mais aussi plus généralement d’exploiter une logique d’équipe pour générer de l’entraide entre pongistes et coaches, ou entre partenaires d’entraînement dans des situations en collaboration. Par exemple, cette dernière peut être mise au service du développement de la compétence à attaquer davantage, et à bon escient. Il faudra cependant garder à l’esprit que la logique d’opposition qui fonde le tennis de table est aussi une ressource : c’est grâce à l’adversaire que je peux jouer, que je peux progresser d’un point de vue tactico-technique, que je peux me construire individuellement et socialement. Également, le travail de collaboration autonome des élèves se construit progressivement, et est favorisé par un guidage de qualité pour éviter une pédagogie de l’implicite.

c’est grâce à l’adversaire que je peux jouer, que je peux progresser d’un point de vue tactico-technique, que je peux me construire individuellement et socialement.

Une dernière tendance concerne l’exploitation des aménagements matériels, spécifiques au tennis de table (sur-filet, cibles, gant-raquette, balles, paniers de balle…). Il s’agit notamment de réussir à prendre en compte l’hétérogénéité des élèves tout en conservant le projet d’une culture partagée. En adaptant le matériel réglementaire en tant que variable didactique, mais aussi avec des objets classiques des cours d’EPS (plots, lattes adhésives…) ou plus inhabituels (bouteilles d’eau, bouchons, draps…), il est possible d’induire un jeu de l’élève orienté prioritairement vers l’attaque. Néanmoins, l’exploitation de ces aménagements matériels au service des apprentissages dépend à nouveau des compétences technologiques et didactiques. Il en est de même concernant l’intégration de fiches d’évaluation formatives ou de tablettes numériques : la pertinence de l’exploitation de ces outils est directement en lien avec un ancrage dans des savoirs identifiés.

Enseignons le TT en EPS !

Dans le prolongement de cette réflexion, l’objectif de ce Contre Pied est de participer d’une dynamique nouvelle autour de l’enseignement du TT en EPS, de (re)donner envie à nos collègues d’EPS d’intégrer cette APSA dans les programmations, de proposer des points de repères théoriques et pratiques afin d’inviter à une réflexion didactique prometteuse en termes d’engagement des élèves et de transformations de leur activité tactico-technique. Simultanément, il s’agit de permettre de se cultiver sur cette APSA, afin de mieux en comprendre les enjeux pour alimenter son activité d’enseignement. La maîtrise des spécificités de cette pratique sportive nous semble incontournable pour réellement réussir à s’adapter au contexte scolaire, et notamment à l’hétérogénéité des élèves. Orienter l’enseignement pour permettre à tous et toutes les élèves d’attaquer, nous semble une voie prometteuse en termes d’engagement et d’apprentissage, permettant d’envisager une technique qui prenne du sens dans la logique d’opposition, mais également pour donner l’occasion aux élèves d’apprendre et de réfléchir ensemble au sein de projets collectifs. Plus globalement, l’enjeu est de dépasser l’opposition classique entre l’entrée par les APSA et l’entrée par l’élève, en travaillant le TT à la fois comme objet d’enseignement et d’éducation, en le ré-élaborant pour qu’il soit abordable par les élèves, et qu’il intègre en même temps les objectifs et contraintes de l’école.

Cet article de B. Cremonesi et J. Visioli est paru dans le Contrepied Hors-série n°28 Tennis de Table

  1. T. Bauer, K. Mousset & H. Deslisle, Une histoire du tennis de table en milieu scolaire de la fin du xixe à nos jours. In J. Visioli & O. Petiot (Eds.), Regards croisés sur les activités de raquette. Marseille : éditions AFRAPS, 2020.
  2. H. Deslisle, Tennis de table : technique, tactique et didactique. Revue EP&S, 1999.
  3. T. Bauer, K. Mousset & H. Deslisle, Une histoire du tennis de table en milieu scolaire de la fin du xixe à nos jours. In J. Visioli & O. Petiot (Eds.), Regards croisés sur les activités de raquette. Marseille, éditions AFRAPS, 2020.
  4. J. Visioli & O. Petiot, De la logique interne des activités de raquettes au progrès des élèves en EPS. Revue Enseigner l’EPS, 276, pp. 34-38, 2018 .
  5. J. Secretin, Je suis un enfant de la balle. Editions Jacob-Duvernet, 2007.
  6. J. Visioli & G. Martin, Enseignement par compétence et parcours de formation en tennis de table. In J. Visioli & O. Petiot (Eds.), Regards croisés sur les activités de raquette. éditions AFRAPS, 2020.