Permettre aux élèves « débutants/débrouillés » de progresser, en acte, en football

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Maxime Travert est Maitre de Conférence à l’ESPE d’Aix-Marseille. Sa réflexion et ses propositions sur l’enseignement du foot fixent un cap qui peut se retrouver en décalage avec certaines pratiques d’enseignement « usuelles ».


L’enseignement du football à l’école peut s’envisager, au moins, suivant trois situations éducatives bien distinctes : avec des « débutants/débrouillés », avec des « experts » qui pratiquent déjà cette activité dans un club et avec des élèves qui possèdent une culture footballistique singulière développée dans la rue. Il n’y a donc pas un enseignement du football à l’école mais des enseignements contextualisés.

« Il n’y a donc pas un enseignement du football à l’école mais des enseignements contextualisés. »

J’ai déjà eu l’occasion de me positionner sur le cas des élèves footballeurs de « pied d’immeuble ». Avec les experts, ceux qui maîtrisent déjà le niveau de compétence le plus élevé des programmes, l’apport de l’éducation Physique et Sportive se situe moins dans le domaine des compétences propres à l’EPS et des compétences attendues que dans celui des compétences méthodologiques et sociales. L’ambition éducative domine la volonté de dépasser un niveau d’efficience déjà élaboré.

C’est sur le profil de footballeurs « débutants/débrouillés » que je veux, ici, me situer. Je tenterai de répondre à la question suivante : quelles propositions pour permettre aux élèves de découvrir, en acte, l’activité football ?

Je retiens quatre idées qui doivent, de mon point de vue, guider cet enseignement :

Fixer une ligne directrice : « perdre le ballon en condition normale »

La simple présence des cibles sur le terrain donne sens à l’engagement des joueurs. Il s’agit de marquer des buts. Pour gagner, il faut en marquer un de plus que l’adversaire. Cette aspiration légitime doit être relayée par une ambition éducative qui dépasse le simple objectif visé afin de mobilier les moyens à mettre en œuvre pour le réaliser. Gagner n’est plus alors marquer plus de buts que l’équipe adverse mais, pour reprendre la formule de Teodoresco, « perdre – plus souvent que l’adversaire – le ballon en condition normale » c’est à dire, dans la cible. En centrant l’élève non plus sur la combinaison Possessions/Tirs/Buts mais, sur le ratio Pertes de balle normale/Pertes de balle anormale/Balles récupérées (collectivement ou/et individuellement), l’enjeu éducatif se déplace d’une efficacité formelle, purement quantitative, à une efficacité réelle, totalement qualitative. Elle consiste à mener le plus souvent possible à son terme chaque possession de balle et, à l’inverse, empêcher que l’adversaire le réalise.
Ce changement d’indicateurs doit s’accompagner d’une utilisation de la cible non plus comme un simple espace sanctuarisé à atteindre mais comme une variable didactique à manipuler. Elle doit tout d’abord donner vie à notre fil rouge en étant dans un premier temps « facile d’accès » puis, par la suite et progressivement, se rapprocher de sa forme conventionnelle. Sa configuration (horizontale/verticale), sa largeur, son système de protection (présence ou non d’un gardien), les modalités de marque (stop ballon), la distance à parcourir pour l’atteindre (profondeur du terrain), sont autant d’éléments sur lesquels il s’agit de jouer. Elle doit également problématiser la « perte de balle normale ». Sa multiplication (multi cibles), son positionnement dans l’espace de jeu (sur la ligne de fond, sur le terrain, le long des lignes de touche) peuvent alors être convoqués.
Soulignons que l’on retrouve souvent dans le rôle de gardien des élèves commis d’office dont ce n’était pas nécessairement la vocation ou, d’autres, qui trouvent dans ce poste l’occasion de s’écarter des vicissitudes du jeu. Défendre sa cage exige des compétences. Au niveau de pratique qui nous intéresse, les élèves ne les possèdent pas. Les mettre dans cette position n’enrichit pas le déroulement du jeu. De plus, elle leur fait courir des risques (physique, psychologique et sociaux) en les invitant à arrêter un ballon sans qu’ils aient les moyens à leur disposition pour le réaliser. Ici aussi l’aménagement de la cible, horizontale puis verticale, doit-être une opportunité pour permettre au néo gardien de construire au fur et à mesure une véritable efficacité (d’un déplacement adapté à une utilisation pertinente de son corps obstacle).

Entretenir une tension : « avoir peur et envie »

Nos différentes enquêtes sur les motifs qui dynamisent les élèves dans leurs pratiques du sport nous montrent que « le jeu aux limites », affronter des obstacles qui semblent à sa portée, « avoir envie », sans que l’on soit totalement sûr de les atteindre, « avoir peur », est un de ceux qui les engage le plus. Il nous paraît essentiel de le valoriser. Chez un expert il s’exprime directement dans le déroulement du jeu. La proximité d’un adversaire, d’une cage, crée l’opportunité de vivre et d’entretenir cette sensation. Dans le cadre de l’enseignement du football à des élèves débutants il peut être vécu à partir de la gestion du score. L’habitude veut que celui-ci repose sur un décompte cumulatif et comparé du nombre de buts marqués par chaque équipe. Un comptage plus original peut être envisagé. Chaque équipe part avec un capital de cinq buts. à chaque but (« perte de balle normale ») une équipe ajoute un point à son score et l’autre, s’en voit retiré un. Par exemple, si un but est marqué après le coup d’envoi (score de départ : 5/5) une équipe a 6 et l’autre 4. La composition du score est dynamique et évolutive. Chaque groupe a alors peur de voir une partie de son capital se réduire et à l’inverse, envie de diminuer celui de l’autre.

Gérer une contrainte : « jouer sans les membres supérieurs »

La loi 12 du règlement du football, « fautes et incorrections », sanctionne l’utilisation des membres supérieurs. Le football se joue sans les mains. Cette réalité met les élèves néophytes dans une situation motrice tout à fait originale. Le détour par l’apprentissage technique est long, laborieux, et contraignant. Il éloigne trop souvent l’élève de la gestion dynamique du rapport de force. Il soulève le problème du réinvestissement d’une technique construite en dehors du cadre réel dans lequel elle s’exprime. La combinaison des deux est envisageable. Il s’agit alors de jouer sur « l’invulnérabilité du porteur de balle » durant le déroulement ordinaire du jeu. Celle-ci peut être temporelle (le porteur de balle est invulnérable pendant 5’’ dès qu’il reçoit le ballon), spatiale (dès qu’il pénètre dans une zone circonscrite) ou évènementielle (dès qu’il bloque la balle avec sa semelle). Ce confort doit progressivement être contrarié afin que le joueur progresse techniquement et n’ait plus besoin de l’utiliser. On peut imaginer une émancipation fondée sur l’idée d’une difficulté croissante à devenir invulnérable. L’évolution de la gestion de cette neutralité peut aller de l’utilisation d’un simple blocage de la balle jusqu’à la nécessité de se rendre dans des zones neutres placées à la périphérie du terrain de jeu (difficile d’accès). Dans une étape intermédiaire, le placement de ces zones peut s’entrevoir au cœur du jeu (facile d’accès). La limitation successive de leurs utilisations est également un élément de contrainte. Il est possible d’envisager que les joueurs, au cours d’une même situation, suivant leur niveaux techniques, ne soient pas liés au même régime d’invulnérabilité.

Faire vivre une contradiction : « attaquer et défendre »

Trop souvent l’enseignement du football valorise un travail offensif au détriment de celui plus défensif. La lecture des programmes renforce ce constat. Il existe un déséquilibre dans la présentation des deux phases d’action qui animent la gestion du rapport de force. Pourtant, les deux sont liés. L’un ne va pas sans l’autre. Ils se répondent.
L’attirance des joueurs novices pour la possession de la balle ne doit pas les laisser dans l’ignorance de la situation dans laquelle ce n’est pas le cas. Elle exige une motricité, en terme d’équilibre et de déplacement, singulière. On ne s’improvise pas défenseur. On l’apprend. Pour cela il faut s’y trouver confronté. L’enseignant ne peut pas se contenter d’élèves qui attendent passivement que la balle rentre en leur possession grâce aux pertes de balle de l’équipe adverse. On peut valoriser un aménagement didactique qui impose la nécessité de s’engager à défendre. Il peut consister à laisser le ballon à l’équipe qui vient de marquer. Elle reste en attaque. Pour laisser au jeu sa fluidité il suffit qu’elle change le sens de l’attaque. La perte normale de la balle doit alors se faire dans la cible qui se trouve à l’opposé de celle dans laquelle elle vient de marquer. Le seul moyen pour les défenseurs de la récupérer consiste à défendre.

L’enseignement du football doit permettre aux élèves « débutants/débrouillés » de conduire collectivement un rapport de force avec efficacité sans l’utilisation des mains. Les propositions qui précèdent tentent de mettre cette ambition éducative à la portée des élèves. L’essentiel est préservé par la présence : d’équipes ; d’un rapport de force ; de cibles à atteindre ; de la main interdite. Les élèves sont considérés grâce à : un fil directeur ; une ambivalence entre avoir envie et peur ; une invulnérabilité évolutive ; un engagement défensif prenant sens.

Cet article est paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football