Port du voile sur les terrains, que la meilleure perde !

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La Fifa, organisme qui fixe le cadre des lois du football au niveau mondial, a pris en mars 2014, une affligeante et dangereuse décision : le port du voile et du turban sikh est désormais autorisé sur les terrains de foot.

Article paru initialement dans l’Humanité du 7 mars 2014 et dans Contrepied HS N°9 – Mai 2014.
Le sport est un reflet des sociétés dans lesquelles il est pratiqué. Il a valeur d’identification pour ne pas dire d’identité pour ses spectateurs-trices. Le débat porte quasi exclusivement sur la nécessité de préserver la « sacro-sainte » neutralité des compétitions sportives alors qu’en réalité l’enjeu de ce débat pour les femmes réside non seulement dans l’acceptation du fait religieux dans le sport mais plus encore dans l’affirmation d’un modèle de société instituant l’inégalité entre les hommes et les femmes et les sportives entre elles. De ce point de vue, mettre sur le même plan le port du turban sikh et un signe politico-religieux qui a fait tant couler de sang de femmes est une manipulation, un procédé tendancieux pour faire passer une idée rétrograde pour un acte d’égalité.

D’autre part, dans une compétition sportive, la finalité des sportives est de gagner. Ce dogme est remis en cause par un morceau de tissu qui, à un certain niveau de compétition, ralentit les femmes, les handicape, les positionne comme victimes. Le grand public devient compatissant et intègre leur infériorité, elles ne peuvent plus être sur le podium. Quelles auraient été les chances d’Hassiba Boulmerka, coureuse de fond à Barcelone en 1992, de donner sa première médaille d’or à l’Algérie si sous une chaleur d’été elle avait couru avec un voile ?

Cette décision injuste officialise la domination masculine. En acceptant le port du voile pour soi-disant encourager la pratique dans certains pays (où d’énormes capitaux sont comme par hasard disponibles pour le sport), on prendrait le parti de celles qui se résignent, abandonnant celles qui refusent de se soumettre au risque de leur vie. Rappelons que la même Hassiba Boulmerka a été la cible d’extrémistes dès qu’elle revendiqua sa victoire comme la victoire d’une femme libre, bien dans son corps. Cette décision met sous pression les musulmanes qui ne souhaitent pas porter le voile sur un terrain, les positionne comme des femmes outrageantes face à celles qui se confortent à la règle. On verrait, de fait, le voile avancer et gagner dans l’espace public. Alors que sur les terrains, les conflits doivent s’apaiser, le voile désignerait la musulmane avant de désigner la sportive.

Enfin, cette décision s’inscrit dans une série de mesures inquiétantes pour le droit des femmes à disposer de leur corps, particulièrement malmené en ce début de printemps avec la remise en cause de l’IVG en Espagne, qui tente de s’exporter dans toute l’Europe, avec la montée de l’extrême droite européenne sur tout le continent ainsi que du fondamentalisme de toutes les religions qui avance de concert.

Ne considérons pas cette décision comme un fait isolé mais comme une démarche coordonnée contre le corps des femmes. La pratique sportive pour les femmes engage les corps dans un processus de liberté. On ne peut pratiquer autrement que dans une totale liberté du corps. Une fois de plus, les instances du sport, dont on sait qu’elles sont majoritairement masculines, scelleraient le sort des femmes. Le foot amateur serait forcément impacté par cette décision. Une fois de plus, les jeunes femmes seraient livrées en pâture aux lois du patriarcat, aux lois politico-religieuses.

Ne laissons pas faire. Nous saluons la fermeté des instances françaises sur ce sujet (peut-on préciser ce que la France a dit ?). Allons plus loin, amplifions la résistance. Toutes et tous ensemble, faisons de la France – berceau des jeux Olympiques modernes – le pays qui dit non à cette décision. Continuons la résistance pour toutes les femmes ici et là-bas !

Article paru initialement dans l’Humanité du 7 mars 2014 et dans Contrepied HS N°9 – Mai 2014.