Rappelons que le projet de la rubrique Regard est de pointer ce qui fait l’originalité des propositions des CRP, d’étudier les difficultés que l’ingéniosité et les inventions des collègues tentent de surmonter.
C’est l’occasion ici de revenir sur ce que font les enseignants pour tenter d’impliquer les élèves dans des apprentissages en foot.
Entrer dans l’étude
Pour certains de nos élèves, l’entrée dans l’activité paraît facile «un ballon, un bout de trottoir et c’est parti ». Facile, mais loin d’être évident à l’école. Les mobiles des élèves sont parfois tellement encombrés d’identifications et de références sociales qu’ils rendent compliquée l’entrée dans une organisation scolaire et didactique, « C’est pas du foot, ça ! ». À l’opposé, d’autres s’engagent dans des formes convenues, font leur « métier d’élève », mais les valeurs que véhicule ce sport et l’intérêt du jeu les dépassent. Entre ces deux profils, une diversité d’intérêt, de préoccupations, d’identifications dessine des engagements très variés. Si l’hétérogénéité est la règle dans nos classes, elle est ressentie pour l’enseignement du foot en EPS comme encore plus clivante que dans d’autres APSA. Plus qu’ailleurs les malentendus existent entre les attentes de la discipline, les mobiles des élèves et le sens qu’ils accordent à la pratique sociale. Ils rendent l’enseignement problématique, d’autant plus que l’enjeu dépasse la mise en pratique d’une activité de foot adaptée pour un public hétérogène. Il s’agit en effet de permettre une entrée dans les apprentissages, faire en sorte que non seulement les élèves jouent, mais qu’ils tentent, se situent, fassent des hypothèses, s’entraînent. Nous voulons qu’ils « étudient les œuvres » et ne se contentent pas seulement « de les visiter »1. Traiter les difficultés d’apprentissage en termes de compétences ou de motivation ne peut suffire, enseigner le foot à l’école pose de manière aiguë la question de l’implication et de la construction du sens 2 des apprentissages. Au-delà de l’engagement dans l’activité, les collègues relèvent ce défi de l’étude. C’est le point de vue que nous adoptons pour revenir sur les comptes-rendus de pratique (CRP) en questionnant les modalités mises en œuvre pour solliciter chez les élèves à la fois, des motifs d’agir et d’apprendre.
Des tentatives convergentes sur plusieurs registres
Les 3 comptes rendus donnent à voir différents registres sur lesquels jouent les collègues pour tenter de « mettre le foot à l’étude ». Le premier renvoie à la mise à disposition du jeu et des problèmes qui sont constitutifs du savoir propres au foot. L’aménagement de formes de jeu et de règles fait vivre un mélange de facilitations, de contraintes et de ressources. Des aménagements facilitateurs sont mis en scène dans des diminutions du nombre de joueurs, des variations d’espaces de jeu, des formes de groupements qui visent à favoriser l’entrée de tous dans l’activité. Tentative d’aide encore quand, en supprimant le hors-jeu, les collègues cherchent à promouvoir le jeu en mouvement vers l’avant. Parallèlement, la définition de règles spécifiques tente aussi de délimiter les problèmes et les apprentissages à réaliser. La règle prend le statut de variable didactique. Elle permet de « zoomer » sur les pistes que les élèves vont devoir examiner. En donnant la possibilité au porteur de balle d’être momentanément protégé, on redonne au partenaire du temps pour explorer des espaces et se démarquer. La taille du ballon ou des aménagements de l’espace dans des zones apparaissent aussi comme facilitants ou contraignants selon l’objectif. Les démarches exposées ont cela en commun de susciter l’engagement, délimiter le problème et en même temps mettre à disposition des élèves un « kit » d’éléments de contenus qu’ils doivent recombiner pour s’en sortir et apprendre.
Un deuxième registre pour aider à rentrer dans l’étude tient dans des tentatives de mises à distance de l’action. L’arrêt flash ou les temps morts permettent de désigner des positions ou des configurations qui donnent des indices aux élèves pour traiter les problèmes qu’ils rencontrent. Dans une logique similaire, les observateurs et les échanges qu’ils ont avec les joueurs sont recherchés dans l’intention de les faire basculer vers des constructions tactiques. Les collègues cherchent à mobiliser les élèves sur ce qu’ils font davantage que sur le résultat du match. Ils postulent qu’aider les élèves à se situer et les amener à revenir sur leurs expériences au filtre de nouveaux critères contribue à modifier les engagements, à faire émerger des besoins d’apprendre, à orienter leurs tentatives.
L’organisation de collaboration basée sur la volonté de faire « apprendre ensemble » détermine un troisième registre auquel font appel les enseignants. Se répartir des rôles tant dans le jeu que dans son analyse est un levier recherché pour impliquer. Les élèves sont mis dans des formes de groupements, d’équipe, de club qui déterminent l’appartenance et l’engagement dans des projets plus partagés. L’enseignement organise les situations dans lesquelles les joueurs ont à s’accorder sur les données du problème, à négocier des entraides.
Des exigences qu’il faut articuler pour aider les élèves à rentrer dans l’étude
Ces tentatives de mise à l’étude sont autant d’inventions et de compromis pour sortir des dilemmes ou d’exigences que génèrent les pratiques professionnelles. Les propositions cherchent à tenir la route du point de vue de la signification du foot, elles revendiquent de faire vivre une « activité authentique » en privilégiant le jeu et le rapport de force comme moteur de la construction des savoirs. Des nuances apparaissent toutefois quant au recours à la « balle immobilisée », au tir, à la nature de la cible. Elles posent en arrière-plan la question de la signification de l’Apsa. On voit bien l’intérêt didactique d’un foot sans tir, mais on sait aussi combien le tir est déterminant du point de vue des émotions spécifiques et de technicité que cette activité fait vivre. On comprend également l’aide que représente la règle de l’intouchable ou du ballon bloqué sous la semelle. Elle rend plus facile pour les joueurs l’exploration spatiale des configurations de jeu, mais n’est-ce pas au détriment d’une pression temporelle constitutive des problèmes de cette Apsa ? « Didactiser » amène inévitablement à réorganiser, isoler, aménager les savoirs pour les enseigner, parfois ces aménagements placent les situations en porte-à-faux des exigences de la logique interne. Ils posent une question que traite ce numéro de Contre Pied : qu’est-ce qui fait « l’authenticité » et la saveur du foot ?
Un autre souci de cohérence anime les tentatives d’implication. Elles cherchent à replacer le foot scolaire dans des contextes connus des élèves et dans le même temps tentent de leur faire apprécier d’autres mondes, d’autres codes que leurs références immédiates. Les engagements sont plus difficiles si le foot de l’école ne leur parle pas. Il faut tenir et ajuster face à une conformation aux modèles véhiculés dans le « système foot ». C’est d’une certaine manière l’originalité du projet « futsal ». Les enseignants y proposent une activité dynamique et attirante qui, si elle séduit, ne dispense pas pour autant d’interventions spécifiques pour que les élèves adhèrent.
Aider à rentrer dans l’étude amène à tenir les trois bouts de la ficelle ; des difficultés accessibles, des savoirs consistants d’un point de vue culturel et anthropologique, des activités pas trop artificielles au regard de ce qu’elles valent pour les élèves à l’école et en dehors. C’est dans ce système de contraintes que se jouent les « mises à l’étude ». Michel Fabre 3 renvoie ces trois conditions à une problématique de la construction du sens et il met en garde contre les dérives qui consisteraient à en privilégier ou à en oublier. Valoriser la dimension du savoir et oublier les sujets à qui on s’adresse c’est prendre le risque de l’académisme, du formalisme et du conditionnement. À l’opposé, le souci unique du développement personnel peut potentiellement enfermer dans le pathos ou faire tomber dans l’écueil d’activités inconsistantes. Tout concentrer sur un projet d’adaptation sociale à court terme, expose au risque de développer des compétences sans savoir et sans fondement. On voit comme l’implication des élèves dans des activités d’apprentissage relève d’équilibres fragiles.
Différentes formes « d’entrée dans l’étude » sont possibles en EPS : l’entraînement, la mise au point de techniques, le processus de création chorégraphique, l’arbitrage.
Dans ce numéro, pour mettre le foot à l’étude, les enseignants valorisent des problèmes tactiques, des prestations collectives plus que des exploits techniques individuels, le jeu est présent de manière déterminante.
Cet article est paru dans Contrepied HS n° 9 – Mai 2014
- Y. Chevallard (2012). Des programmes, oui. Mais pour quoi faire ?
Vers une réforme fondamentale de l’enseignement.
http://yves.chevallard.free.fr/spip/spip/article.php3?id_article=202.
L’auteur oppose le paradigme de la « visite des œuvres » à celui de « l’étude des œuvres » dont il fait un enjeu majeur de l’école.↩ - Les notions de sens, de significations, de mobiles empruntent à la théorie de l’activité de Leontief. Une présentation succinte de cette approche faite par JP Astolfi est consultable sur le site http://epsetsociete.fr↩
- M. Fabre (1999). Situations problèmes et savoir scolaire. Paris : PUF.↩