Le Bac : un pilotage par le sexe des APSA ?

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L’EPS a été une des dernières disciplines à mixer toutes les classes, près de 10 ans après la loi de 75. Paradoxalement elle a été et est toujours pionnière dans la réflexion sur la place des garçons et des filles, dans la pratique, à l’Ecole. Christian Couturier engage une controverse sur le discours actuel, en particulier à partir des recommandations des commissions d’harmonisation du BAC.


Cet article est paru dans le Contrepied « égalité », dans la rubrique controverse, rubrique dans laquelle on tente de prendre le contrepied d’idées reçues pour engager le débat autour de problématiques pratiques ou théoriques (en l’occurrence ici les deux) complexes. Dans l’article, deux auteurs sont cités, ils ont souhaité réagir. Vous trouverez donc ci-dessous l’article paru, ainsi que, à la suite, le texte de réaction.

Le 13 décembre 1979, pour la préparation de la commission pédagogique du SNEP, Michel Chaigneau, secrétaire national, envoyait une convocation avec ces questions : « Quelle liaison faites-vous entre une éducation physique mixte et des finalités démocratiques pour l’école, pour notre enseignement ? L’école peut-elle créer des modèles culturels nouveaux ? Comment les modèles dominants influencent-ils une EP mixte ? Peut-on repérer des comportements dominants chez les garçons, chez les filles ? L’appropriation par tous (garçons et filles) de l’ensemble du patrimoine culturel sur le champ des APS est-il compatible avec le droit à la différence ? »
Nous pourrions, aujourd’hui, poser le même type de questions. Si la pratique mixte dans les cours d’EPS est un fait acquis, les problèmes posés par la recherche de la réussite de tous et toutes demeurent. Pire, on peut même se demander si, parfois, les mesures prises ne vont pas à l’encontre des objectifs annoncés.

L’impasse de la programmation des activités des APSA « féminines » ou « masculines »

Un discours un peu simpliste s’est généralisé : les notes au bac sont des indicateurs de moindre réussite des filles. Michel Volondat, alors inspecteur général, l’explique ainsi : « pour ma part, je suis persuadé que c’est plus le choix des pratiques, que leur mixité, qui est en cause. La plupart de nos pratiques portent en elles la marque et le poids des modèles sociaux masculins. » et d’affirmer en conséquence : « les programmations doivent faire moins de place aux activités d’opposition et davantage aux activités d’expression, de pleine nature et de développement ».

Ce type de discours, appuyé par certains travaux scientifiques plus ou moins instrumentalisés, n’apporte bien souvent qu’une naturalisation des pratiques : les APSA seraient masculines, féminines ou neutres (ou bisexuées). Cette affirmation, prise comme une donnée brute et intangible, aboutit à la logique suivante : il suffirait de modifier les activités proposées pour rétablir le déséquilibre et faire réussir les filles. C’est la raison principale de l’imposition de la CP5 en lycée (alors que rien n’a été fait pour le développement des APPN ou de la danse). En résumé : équilibrons nos programmations, et la question des filles sera réglée. De plus, vu les référentiels BAC des activités comme step, course durée, musculation, les notes vont forcément monter. Nous aurons ainsi la « preuve » que l’affirmation de départ était juste. Rien de bien sérieux et beaucoup d’idéologie dans tout cela, au point que l’on peut se poser la question : veut-on vraiment faire réussir les filles ? Réfléchir à la programmation est sans aucun doute nécessaire, mais absolument pas suffisant.

Première controverse : les notes au Bac

Echec, c’est à dire ?
Certes les filles ont, en moyenne environ 1 point de moins que les garçons au BAC, mais peut-on parler d’échec ? Socialement l’EPS n’est pas une discipline qui crée de l’échec scolaire, pas plus chez les filles que les garçons : avec 12 de moyenne au Bac, on ne peut parler d’échec. De plus, cet indicateur n’est pas fiable : quelle que soit la population considérée, les enseignants s’arrangent avec les prescriptions et la note est de multiples fois harmonisée, en interne de l’établissement et ensuite par la commission académique. La note ne peut donc être le seul indicateur : il faudrait a minima étudier à grande échelle la nature des référentiels, les contenus enseignés dans les différentes APSA et, au bout du compte, les réelles acquisitions.

Et les garçons ?
Dans la réalité, ce qui focalise l’attention, l’énergie, la réflexion, voire la créativité des enseignant-es, c’est l’échec à faire entrer nombre de garçons des milieux populaires dans les apprentissages, dans une démarche de transformation, dans un entrainement construit, et ce, dans des classes de plus en plus chargées. Donc prêter attention au développement des filles en EPS passe obligatoirement par régler celui de l’échec d’une grande partie des garçons à entrer dans le « métier d’élève ». Il n’y a pas de hiérarchie à opérer dans les objectifs, l’ensemble faisant système. Ce sont donc les visées démocratiques, d’égalité, qui doivent prendre le pas sur des visées que l’on peut qualifier d’humanitaires dans le sens où elles ne peuvent permettre, dans le meilleur de cas, que de « sauver » quelques élèves.

Reconnaitre les problèmes, ne pas figer les différences.

« Partir des différences c’est travailler à en partir… » (JY Rochex)
On pourrait a minima formuler différemment le problème : « en proportion, les filles ont de moins bonnes note au BAC ! » et en étudier les différentes causes , sans oublier d’analyser ce que les structures produisent : le passage de 3h au collège à 2h au lycée, l’augmentation du nombre d’élèves par classe, la possibilité plus facile de se soustraire à l’EPS…
Il faudrait ensuite avoir un bilan quantitatif et surtout qualitatif. Constater des moyennes dans telle ou telle activité est largement insuffisant. Les contenus enseignés, les critères d’évaluation, le système de notation, croisés avec les pédagogies mises en œuvre, les modes de relations… tout doit être passé au tamis.

Revoir les critères d’évaluation
Ces éléments permettraient d’affirmer ou d’infirmer des hypothèses du type : l’évaluation en EPS reste très attirée par des repères « capacitaires » qui mettent au premier plan force, vitesse, engagement, effort… repères, qualifiés de masculins,  extrêmement visibles : lorsque qu’on a 35 élèves à regarder, un temps limité pour ne pas multiplier les séances d’évaluation, une co-évaluation qui impose de regarder le/la même élève, ce qui est très visible ou « spectaculaire » attire plus l’attention que le reste. S’en défaire n’est pas aisé et il faudrait commencer par changer les conditions de l’évaluation, mettre en place des critères qui prennent en compte les contenus enseignés et choisis dans le respect de toutes les dimensions des APSA.

Plus étrange, l’institution a fait le choix d’imposer à tous les élèves des épreuves spécifiquement « capacitaires » au travers de la CP5 (course en durée, musculation, step). Mais, sentant qu’il pouvait y avoir un problème, les référentiels compensent exagérément cela en introduisant deux choses : d’une part la possibilité de choisir un volume de travail très faible et d’autre part la moitié de la note donnée sur : concevoir (7 pts) et analyser (3pts), ce qui favorise les élèves en réussite scolaire en général, donc les filles. Au bout du compte, difficile d’avoir moins de 15.
Si l’analyse de départ était la bonne (impossibilité de réduire les différences physiologiques entre filles et garçons ?), la conclusion aurait dû s’orienter vers la programmation d’activités saturées en techniques, pour limiter le poids des « capacités » visibles et évidentes. En effet l’appropriation de techniques doit faire l’objet d’un apprentissage, réduisant ainsi le poids des écarts possibles. Au lieu de cela, la gymnastique, pour ne prendre que cet exemple, est en déclin et de moins en moins programmée en lycée…

L’éparpillement exigé se heurte aux apprentissages
Autre l’hypothèse à étudier : le temps d’apprentissage est trop court pour que le rattrapage des élèves les plus faibles soit possible par rapport au niveau attendu. Or là encore, et toujours étrangement, l’institution choisit au contraire une multiplication de la « polyvalence » de l’EPS. 8 groupes d’APSA au collège, 5 au lycée au minimum (dans la réalité autour de 10 APSA minimum en collège et 6 en lycée, et sans cohérence collège/lycée) : au final un éparpillement considérable sur le cursus secondaire. Comment imaginer, pour celles et ceux qui n’ont que l’école pour apprendre, des progrès et des apprentissages un peu solides ? Ce zapping est non seulement encouragé, mais obligatoire. Dans une logique de réduction des écarts, l’augmentation du temps d’apprentissage pour toutes et tous devrait être une évidence, pour donner justement le temps aux plus faibles de combler le retard. Impossible diront immédiatement certain-es. Prêts à relever le défi diront d’autres !

Deuxième controverse : l’enquête de la DEPP

L’enquête de la DEPP, réalisée en 2005-2006 et parue en 2007, peut présenter un intérêt à condition d’être prudent : une enquête par questionnaire nous renseigne à partir d’un discours et non des observations. De plus, le résultat dépend fortement de la formulation de la question . Lui faire jouer un autre rôle est un peu hasardeux, et nous ne suivrons pas certains auteurs (Hoibian, Combaz, 2007) utilisant les données de cette enquête et affirmant accéder au « curriculum réel ». Pour ce faire il faut d’autres méthodologies qu’une enquête.

Pas de quoi tirer ces conclusions
Dans cette enquête, on peut lire : « …lorsqu’ils sont interrogés sur les activités qu’ils souhaiteraient pratiquer, garçons et filles expriment des vœux très proches : 36% des filles et 42% des garçons placent la plongée sous-marine en première position et 35% des filles et 38% des garçons le canoë-kayak en seconde. 33% des filles et 35% des garçons aimeraient pratiquer l’escalade et 29% des filles et 35% des garçons le parapente ». Pas de différence radicale donc qui justifierait des prescriptions en matière d’EPS.
En relisant attentivement ce travail du ministère, la seule chose tangible reste que les filles se disent moins motivées par la compétition et plus par le plaisir de pratiquer, alors que les garçons pratiquent autant pour le plaisir que pour la compétition (page 101). Biais méthodologique, l’opposition entre plaisir et compétition est pour le moins à discuter., pourquoi serait-ce contradictoire ?
L’enquête proprement dite révèle que des goûts ou de la motivation pour telles ou telles activités, et les interprétations proposées sont sujettes à caution : « la vision négative du sport qui leur était proposée à travers l’item : perdre du temps à faire des efforts inutiles n’a été citée que par 4 % des élèves. Les filles et les garçons ont des réponses très proches, ce qui indique que bien que ces derniers ont une pratique hors scolaire plus assidue (en AS, en club et/ou sous forme de pratique libre), les premières n’en apprécient pas moins, à leur rythme, les activités sportives. ». Pas de quoi en tirer des prescriptions fortes. On se demande également pourquoi l’interprétation parle du « rythme » des filles et pas celui des garçons ?!!

Une culture commune pour tous : une réponse plus efficace pour réduire les inégalités
L’utilisation superficielle de cette enquête conduit aussi à légitimer l’idée qu’une réduction des inégalités garçons filles passerait prioritairement par le rééquilibrage des programmations or nous l’avons dit, la programmation ne peut être la seule solution au problème posé. D’une certaine manière, elle peut même, lorsqu’elle est rigide et strictement imposée, empêcher la réflexion sur les causes réelles des inégalités, y compris celles produites pas les enseignants eux-mêmes. La préconisation se résume alors à  : les filles n’aiment pas le sport, proposons leur autre chose. Dans le même ordre d’idée il faudrait dire : les garçons n’aiment pas lire, proposons leur autre chose… On voit bien l’impasse. La programmation est à penser dans un autre cadre, celui de l’acquisition par tous et toutes, toutes filières confondues, d’une culture commune grâce à des expériences de nature différente. Ce qui inverse la problématique : la programmation de la danse est importante pour les garçons et les filles comme celle des sports co l’est pour les filles et les garçons (qui n’en feront bientôt plus en lycée) et trouvons les ressources pour faire réussir les unes et les uns. C’est par la réussite de tous et toutes que passe la lutte pour l’égalité filles/garçons.

Bref, discutons, polémiquons, avant d’engager la discipline sur de fausses pistes et réfléchissons sur ce que « échec » en EPS veut dire.

‏ »A la suite de la publication de la Revue Contre-pied intitulée « égalité », les auteurs concernés par l’article de Christian Couturier souhaitent apporter les précisions suivantes :

Le propre de toute analyse scientifique est d’être « réfutable ». Encore faut-il que la critique de la thèse incriminée s’appuie sur une argumentation étayée et précise. Si nous sommes tout à fait favorables au débat et/ou à la controverse scientifique pour autant qu’ils présentent l’argumentation mise en cause sans avoir besoin de la déformer ou de la tronquer, nous regrettons le mode d’interpellation choisi dans ce numéro. En effet, dans nos différentes publications, nous n’avons jamais remis en question l’intérêt de la confrontation sportive compétitive en éducation physique y compris pour les filles. Par contre, nous avons défendu l’idée que les élèves élargissent leurs compétences par la confrontation à des expériences motrices appartenant à d’autres registres et mettant en jeu d’autres rapports au corps. Cette exigence nous paraît être une condition de la contribution de l’Education physique scolaire à la réduction des inégalités de réussite entre les élèves en tenant compte leur diversité. Cet enjeu est loin d’être négligeable. L’EP s’inscrirait ainsi davantage dans l’ambition émancipatrice du programme de l’école démocratique par la valorisation de la propre culture motrice des différentes catégories d’élèves mais aussi par la découverte et la connaissance de « la culture corporelle de l’autre » tant d’un point de vue social que du point du genre (« acculturation »).

‏Pour que chacun puisse se faire sa propre opinion face aux critiques formulées de manière réductrice dans ce Hors série n°6->44] , nous demandons que l’article publié dans Travail, genre et société en 2008 ainsi que celui publié de Sciences sociales et sport en 2009 (« Quelle culture corporelle à l’école ? ») soient mis directement à disposition des lecteurs sur le site de la Revue contre-pied en [fichier PDF téléchargeable. 

‏Gilles Combaz (PU – Université Lyon 2) –  Olivier Hoibian (MCF – Université de Toulouse 3) ».