Acrobate [le dessous des mots]

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C’est l’homme qui marche… sur la pointe des pieds chez les Grecs, évoquant, à certains égards, « la danseuse de corde » de l’Antiquité, qui, sans être tout à fait sur la pointe, glisse son chausson avec précision mais aussi délicatesse sur la corde. Locomotion peu banale dans les deux cas, défi à l’équilibre, plus ou moins marqué. Outre que l’on passe d’une femme à un homme, on ne sait trop pourquoi, on change aussi de type de locomotion qui pour l’une peut être expressive. Peu surprenant alors que l’on parle plus tard de cet acrobate, « artiste », « de cirque » qui fait des tours d’agilité au sol ou en hauteur, devant un public populaire. L’artistique, curieusement ne renvoie pas à la danse mais au cirque, et l’acrobate combine l’activité au sol et avec envol, la voltige apparaît.

Des exploits, des exercices d’un équilibre parfois déconcertant, voir trompeur, pour un public disponible prêt à être abusé par cet-te acrobate habile à retourner la situation périlleuse en sa faveur, peu exigeant-e sur les moyens et pouvant user de manœuvres fantaisistes pour parvenir à ses fins. Jongleur voltigeur, au même titre que ce cigare qui se consume par les deux bouts, jouant de tous ses atouts, risquant tout ou presque pour faire illusion : des tours d’agilités aux tours de magie, de l’acrobate au sol à l’acrobate d’idées, jongleur de mots comme avec lui-même, quitte à en renverser le sens, sens dessus dessous, tête en bas, pied de côté, verbe à l’envers, mots de guingois, il s’agit de ce « demi savant» frisant la suffisance, imposteur patenté jouant de la confusion des genres pour l’emporter devant un public médusé, acculé à reconnaître l’exploit.

C’est sur l’héritage de ces confusions que nait l’acrosport : se jouer des autres, mais aussi jouer avec les autres en se jouant de l’équilibre des sens et du sens.

C’est sur l’héritage de ces confusions que nait l’acrosport : se jouer des autres, mais aussi jouer avec les autres en se jouant de l’équilibre des sens et du sens. Activité tellement grisante qu’elle porte à s’exposer aux yeux de spectateurs. L’agilité de type gymnique se combine alors avec les codes de la danse et du cirque où l’activité artistique est la finalité. Que retenir alors qui, du coup, fasse sens anthropologique ?
Si l’acrobatie initiale n’est pas mise en cause, et au contraire, s’enrichit de la logique de la prise de risque, elle véhicule le nécessaire vu et jugé gymnique et, dans le même temps, une appréciation de type esthétique porteuse d’émotions proches du spectacle artistique. La question n’est pas de porter la rigueur dogmatique qui voudrait épurer toute activité humaine codifiée par ses règles, de risque de déviation, mais de bien identifier de quels contenus il s’agit pour en guider les apprentissages. Et, entre la démarche de création des activités artistiques et celle répondant au code de pointage de la gymnastique il ne peut y avoir confusion.
L’acrosport est-il alors cet objet hybride qui, par la dimension esthétique apportée à la production des enchaînements dynamiques de formes gymniques, réussit à provoquer l’émotion tant du spectacle artistique que celle de la performance sportive maitrisée ?

Article de Jean-Pierre Lepoix paru dans la revue Contrepied « Acrosport »

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