Acrosport : les textes officialisent le doute !

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L’acrosport s’est développé dans les enseignements d’EPS alors que la pratique sociale était récente en France, peu développée et largement méconnue des enseignant·e·s comme de l’institution, à l’instar d’autres activités étudiées dans la revue Contrepied. Un survol de ces documents montre à l’évidence des choix didactiques sous tension qui touchent, au-delà de l’acrosport, l’ensemble des activités gymniques.

L’apparition dans des textes issus de l’institution est d’abord allusive dans les documents des programmes collèges de 1997 (liste d’exemples d’APSA) puis, plus explicite, dans ceux du lycée en 2001 où l’activité traitée est  la gymnastique au sol ! Étonnant.

En fait, la présentation de cette pratique aborde en introduction un premier chapitre « les activités gymniques et le lycéen » qui les situent dans la lignée des rituels de fête de diverses cultures, du théâtre et des arts du cirque et même de certaines formes de danses : « Les activités gymniques perpétuent cette présence dans la variété des formes contemporaines que sont la gymnastique artistique aux agrès, la gymnastique rythmique, l’acrosport, l’acrogym, le tumbling, le trampoline, les activités d’équilibre et d’acrobatie du cirque et des formes de danse comme le hip-hop ou la capoeira ».

Il s’agit d’un parti-pris discutable car on sait que les activités gymniques ont bien d’autres origines. Mais il est surtout problématique car il brouille les choix de savoirs ou compétences à programmer dans le cadre de l’EPS. On voit en effet dans ce document une confusion potentielle entre la formation acrobatique et la formation artistique.

On voit dans ce document une confusion potentielle entre la formation acrobatique et la formation artistique.

Ce sera ensuite récurrent depuis la référence aux « compétences propres » jusqu’à aujourd’hui avec les « champs d’apprentissages » dans les nouveaux programmes pour le collège.
D’un point de vue textuel, ce sont les programmes pour les premières et terminales qui vont instituer l’acrosport définitivement dans la liste des APSA faisant culture commune.

Zones de brouillage

Les programmes 2000 des lycées, malgré les avancées qu’ils constituent sur un certain nombre de sujets (inscription des compétences attendues dans les textes officiels), contiennent en germe les dérives qui apparaissent aujourd’hui au grand jour. L’acrosport en est le parfait exemple. La création d’une « composante culturelle » intitulée : « Concevoir et réaliser des actions à visée artistique ou esthétique » donne en effet le matériau de base des confusions pédagogiques et didactiques à venir, y compris au prix de contradictions et contorsions qui, bizarrement, n’ont jamais gêné leur promoteurs. Cette « composante » sera très rapidement, avec les épreuves du BAC en 2002, mise en relation avec certaines APSA en faisant référence aux groupements : « activités gymniques » d’un côté et « activités artistiques » de l’autre. Si la séparation des groupes d’APSA reste formellement effective, on s’interroge quand même sur la compétence visée en acrosport ou en gym qui serait principalement et donc prioritairement de viser l’artistique ou l’esthétique, alors que la didactique de ces activités est, sans ambiguïté, sportive et acrobatique (les travaux de Paul Goirand sont largement répandus en EPS).

La compétence visée en acrosport ou en gym (…) serait principalement et donc prioritairement l’artistique ou l’esthétique, alors que la didactique de ces activités est, sans ambiguïté, sportive et acrobatique

D’ailleurs les fiches du bac sont claires, faisant référence à un code de pointage. Même si le rapport à l’esthétique est présent (dans le référentiel Bac dans une rubrique « contraintes chorégraphiques »), il ne renvoie à aucun critère d’évaluation et de notation explicite.

Certes cette hésitation épistémologique est dans la suite logique des programmes de 96 (pour la classe de sixième) qui engagent à présenter « des difficultés simples avec une intention esthétique ou acrobatique ». Mais entre la production formelle des programmes et ce qui est réellement préconisé (voir les documents d’accompagnement de 97 qui valorisent le versant acrobatique), l’écart est important.

Pour rajouter un élément de trouble, ces documents d’accompagnement des programmes lycées précisent que ces activités (gymniques) relèvent d’une activité de « mise en scène des corps » et demandent de « se plier aux règles du spectacle et de la dramaturgie ». On va ici beaucoup plus loin dans la confusion. En mettant tous les documents officiels et moins officiels, mais commandés par l’institution, à plat, ce recueil apparait bien comme un point de bascule par rapport aux conceptions à l’œuvre dans la profession, en s’appuyant sur une filiation historique plutôt artistique alors que pratiquement les pratiques et les évaluations sont centrées prioritairement sur le versant acrobatique.

L’acrosport est assez symptomatique d’une écriture approximative, de décisions problématiques, provenant du refus de provoquer un travail didactique et historique, et de sacrifier la pertinence des propositions sur l’autel d’une « lisibilité » qui n’intéresse personne.

Des incohérences revendiquées ?

Les programmes suivants, 2008 pour les collèges, 2009 pour les LP et 2010 pour les lycées garderont ces stigmates, même si l’institution tente de corriger quelques effets. La « composante culturelle » de 2000 devient « compétence propre » en 2008 et s’intitule désormais : « Réaliser une prestation corporelle à visée artistique ou acrobatique ». On passe donc de « artistique ou esthétique » à « artistique ou acrobatique ».

On passe donc de « artistique ou esthétique » à « artistique ou acrobatique ».

Si l’on distingue désormais bien l’artistique de l’acrobatique, ce « ou » laisse en fait un choix ouvert pour les APSA qui seront regroupées dans cette catégorie, pouvant viser l’un ou l’autre. Dans les faits, le programme 2008, grâce aux compétences attendues, non ambiguës sur ce sujet, et la programmation des 8 groupes d’activités, limitera les risques d’une interprétation floue des enjeux de formation dans les activités gymniques (gymnastique, acrosport et aérobic). Pourtant, et alors que dans les corps d’inspection, des personnes militent pour le développement des activités artistiques, nous n’observerons pas de véritable critique de cette bizarrerie d’écriture. Nous aurons au contraire un développement des groupes ressources centrés sur les « CP » dans les années qui suivirent. Nous avons déjà évoqué ce dogme des « CP » qui s’est peu à peu construit sur des bases de « lisibilité » du grand public, au risque d’une illisibilité pour les professionnels.

Nouveaux programmes : l’institutionnalisation des malentendus…

Si les précédents programmes avaient mis en place des garde-fous avec la référence aux groupes d’APSA et les compétences attendues, les nouveaux les suppriment totalement. Dès lors le champ d’apprentissage « S’exprimer devant les autres par une prestation artistique et/ou acrobatique » laisse ouvert tout type d’interprétation. Nous passons du « ou » au « et/ou ». Cette tournure supposée sans doute aider, renforce encore le trouble d’autant que ce qui est écrit ensuite, seule référence institutionnelle désormais, évacue toute référence par exemple à un code de pointage, à des degrés de difficulté. Pire, la compétence visée indique qu’il faut réaliser un projet artistique et/ou acrobatique pour « provoquer une émotion du public ». Autrement dit, le critère d’évaluation est « l’émotion », et non plus la difficulté ou la justesse de la difficulté au regard d’un code partagé. Signe des temps sans doute, c’est l’émotion qui pilote et s’évalue.

Signe des temps sans doute, c’est l’émotion qui pilote et s’évalue.

La conséquence de tout cela sera d’abord l’officialisation de grandes disparités dans la formation et donc d’inégalités. Puis probablement une baisse des exigences, accompagnée d’une perte de sens des apprentissages. L’artistique et l’acrobatique se diluent dans quelque chose d’inconsistant et l’on pourra puiser dans des exemples puisqu’il ne s’agit que de cela maintenant dans les nouveaux programmes, l’acrosport ou la danse, ou le cirque, ou la gymnastique… (remarquons au passage que l’aérobic a disparu. C’est apparu sans que personne ne sache pourquoi dans cette catégorie, ça repart sans qu’on n’en sache plus). On peut facilement anticiper la perte sur les deux versants de la formation : qui va programmer une activité artistique, demandant une formation et une culture particulière pour maitriser les contenus d’enseignement, alors qu’un peu de jonglage fera aussi bien l’affaire ? A l’inverse, connaissant les problèmes liés à l’enseignement d’une activité acrobatique exigeante, dans laquelle l’émotion est d’abord celle du pratiquant qui recherche le vertige, qui va baser son enseignement sur des difficultés qui nécessitent un apprentissage et une réelle maitrise, alors qu’il suffira de dire que l’on fait une « chorégraphie » à partir d’éléments de liaison non acrobatiques ? Où sera la formation commune de tous les jeunes sur l’ensemble du territoire ?

En conclusion, l’acrosport est assez symptomatique d’une écriture approximative, de décisions problématiques, provenant du refus de provoquer un travail didactique et historique, et de sacrifier la pertinence des propositions sur l’autel d’une « lisibilité » qui n’intéresse personne. Un programme est avant tout un contrat social autour de ce que les élèves doivent apprendre. Sur cette activité physique, il est flou. Globalement la formation est donc également floue. Sauf avec des enseignants spécialistes bien formés. Mais où est la formation continue ?

Article sgné Christian Couturier paru dans la revue Contrepied Acrosport

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