Cirque : Pas de présentation sans jeu d’acteur !

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Apprendre le jeu d’acteur pour interpeller le spectateur et l’embarquer dans un univers particulier. Conjuguer ce jeu aux techniques et manipulations, donne une autre dimension à ce qui est donné à voir. Antoine Camus, enseignant au collège Jean de La Fontaine de Charleville-Mézières explique ce que c’est.

Qu’est-ce que le jeu d’acteur ?

Le jeu d’acteur intervient dès la présence d’un spectateur.
Il faut différencier la situation de présentation momentanée d’une technique pour en vérifier son niveau d’acquisition où l’élève est dans un rôle de « démonstrateur technique » et une situation de présentation d’une séquence aussi petite soit-elle où l’élève est déjà un acteur.

Les conséquences
Quel que soit le numéro présenté, la technique utilisée doit être maîtrisée afin que celle-ci ne requière pas toute l’attention et la concentration du circassien.
Dès la première présentation le circassien doit prendre en compte le spectateur.
Chaque séance débouche sur une présentation, même très simple, devant des spectateurs. Ceux-ci sont invités à vérifier si les consignes sont respectées mais aussi à relever ce qui est intéressant visuellement. Dès la première séance on essaie de comprendre pourquoi cela a plu ou non.

L’interaction très singulière entre circassiens/acteurs et spectateurs

En cirque, l’émotion ressentie par le spectateur trouve plusieurs sources : la virtuosité, la performance, la représentation du risque, la peur de la chute des corps et des objets. Mais le cirque développe un autre type d’émotion qui concerne le jeu d’acteur. Le circassien/acteur joue et vit des émotions, des sentiments : il est surpris, il a peur, il est joyeux, etc., ce qui suscite les mêmes chez le spectateur. L’émotion peut venir aussi de l’implication recherchée, attendue et voulue du spectateur. En effet, il l’interpelle, l’implique, le fait participer, l’intègre dans son jeu, le spectateur est même parfois un complice… Bref, le spectateur fait partie du spectacle. C’est ce qu’on appelle « le renvoi au public » qui est au départ une technique de clown. Cela s’apprend grâce au travail du jeu d’acteur.

Le spectateur est le révélateur des apprentissages du jeu d’acteur :

  • Il ne s’ennuie pas.
  • Il comprend l’histoire, identifie les sentiments joués.
  • Il est impliqué dans l’histoire, il est presque un partenaire.

Les techniques de jeu et de manipulation sont inséparables

Pour créer les ponts dans la tête des élèves entre le monde de l’imaginaire, il est important que les techniques de jeu et les techniques de manipulation des corps et des objets soient montées, travaillées ensemble si possible à chaque séance ou sur des laps de temps rapprochés. Les uns viennent enrichir les autres et vice versa. De ces interactions, le processus de création se met en place, les intentions se précisent.

Les premiers apprentissages

Dans un premier temps, le jeu d’acteur permet de préserver l’œuvre collective. Ces techniques permettront entre autre de supprimer les gestes parasites (traduisant souvent une inquiétude, un manque de confiance, une peur du regard des autres) et d’occuper l’espace de manière explicite et choisie.

La mise en confiance par le travail corps pour se « lâcher »
On ne peut se débloquer et jouer qu’avec la confiance des partenaires et des spectateurs. à ce titre, l’apprentissage du jeu d’acteur passe souvent par un déblocage du corps. La chute arrière est un levier formidable lors d’un travail corporel. En effet, la chute arrière fait peur, il y a un danger potentiel, et les rattrapés par les camarades engendrent des contacts bien acceptés, cela exige aussi de la concentration.
En retour, la mise en confiance, l’exigence de concentration, de disponibilité, de responsabilité favorisent le travail de l’acrobatie, des contacts… et de l’acceptation des autres tels qu’ils sont !

La « position zéro » : une position neutre, une attitude de base.

La position zéro sert à montrer qu’on ne joue pas. D’un point de vue technique, avant de savoir jouer quelqu’un, il faut savoir jouer personne, savoir ne rien exprimer !
Quand on est sur le plateau, on s’imagine pendu par la tête à un fil, les bras le long du corps, le regard à l’horizon.

Le « regard secret » 
Il s’agit de regarder un point fixe au loin. C’est une aide pour tenir la position zéro. On regarde le secret. Le regard est à l’horizontale. Cela donne de la puissance au visage : si on regarde ses pieds, le public ne voit pas le visage, si on regarde au plafond, le spectateur ne se sent pas concerné.

Le rôle du menton
Dans les déplacements, le mouvement de la tête, le menton joue un rôle déterminant. Tout part de lui, c’est lui qui induit le déplacement. Par exemple, pour changer de direction, le menton démarre, puis les épaules, puis les jambes avec l’avancée du pied pour marcher. On pourra ajouter sur cette « marche du menton » des intentions.

Les entrées et les sorties
Il n’y a pas de jeu d’acteur sans entrée ni sortie. Le plateau ou la piste est un endroit où l’on entre et où l’on sort. Entre les deux, on est quelqu’un d’autre.

Donner des couleurs, une vie au jeu

Ce travail s’impose de lui-même assez rapidement. Quand les bases sont posées, il s’agit d’utiliser ces dernières afin de raconter une histoire plus complexe au spectateur et de créer un univers sur scène. Il est nécessaire alors de maîtriser des esquisses de personnages dotés d’un caractère, de mimiques, d’une intonation de voix et d’une manière de se mouvoir spécifique…

Un début d’interprétation
On apprend à interpréter par l’intermédiaire de petites histoires. Tous les élèves marchent sur la piste, et le prof raconte : « Vous êtes dans une forêt, il y a de grandes herbes, un trou, à droite il y a un serpent… »
Ce travail peut revenir sur deux ou trois séances d’affilée. On peut la faire en marche aveugle (un guide qui raconte à un aveugle…). Les élèves sont par deux et ce sont eux qui racontent. C’est parfois bien périlleux mais indispensable de travailler l’imaginaire avec les gamins.
On revient ensuite sur ces situations et on essaie de trouver pourquoi chez certains élèves cela fonctionne. On donne des clefs.
Par exemple, si on veut jouer la peur, le corps se fige, il y a un léger mouvement de recul, le regard se bloque comme le visage. Pour la surprise, c’est similaire mais le visage est plus ouvert, la bouche peut sourire un peu. La joie se manifeste complètement différemment : le déplacement est plutôt sautillant, les bras vont dans tous les sens, le regard n’est pas figé et est dirigé plutôt vers le haut. On donne donc des indices sur le déplacement, le corps, le visage, la bouche et le regard.

En cirque, les objets sont détournés par une intention, un projet expressif
Imaginons quelqu’un en piste jouant avec une balle. Cette balle va se transformer en bombe, prête à exploser. On a là un point de départ pour un scénario qui intègre des éléments de jonglage.
Non seulement la technique circassienne est un élément de l’histoire, de l’intention, mais elle est à son service. Les objets ne sont jamais utilisés en tant que tels, ils sont toujours détournés.

Jouer tout le temps

Même quand je ne joue pas, je joue !
Les histoires fonctionnent bien, mais il y a un problème de rythme. Le silence est perçu par les élèves comme une absence, un trou dans l’histoire. Il ne faut pas confondre ne pas jouer (quand on n’est pas sur scène) et ne pas être l’objet du regard des spectateurs. Je dis toujours à mes élèves qu’il ne faut jamais être spectateur de son propre spectacle. En effet, les élèves ont naturellement tendance à regarder celui qui joue, y compris les acteurs eux-mêmes ! Même quand je ne joue pas, je joue !
Dans un premier temps, on simplifie pour identifier les moments de jeu et de non jeu : « quand tu ne joues pas tu es en position zéro dos public » ou « tu sors en coulisse quand tu ne joues pas dans la scène ». Dans un deuxième temps il sera nécessaire d’aller vers une action de jeu volontaire en rapport avec l’histoire racontée  et de faire jouer les élèves longtemps dans ce travail de recherche afin d’épuiser les solutions « faciles » pour arriver vers des comportements plus complexes (ex : jouer l’attente dans un hall de gare sur un banc en lisant le journal. Comment peut-on lire le journal ? Que peut-il se passer ? Quelles sont les mimiques humaines habituelles ?)
On va aussi apprendre à anticiper la chute d’objet qui crée un silence technique qu’il faut apprendre à combler. Par exemple, des balles sont par terre, l’élève apprend à se déplacer de balle en balle en jouant sur les verbes d’action : glisser, rebondir, rouler, mâcher. Ou par deux, celui ne jongle pas est en état d’alerte pour réagir si une balle tombe..

Le silence apporte un rythme

La gestion des silences est un travail qu’on aborde après plusieurs cycles. C’est un travail sur les ressentis où le rôle du spectateur/metteur en scène est important. Il faut apprendre à rester sur scène, à poser les choses. Le silence apporte un rythme, c’est un moment de suspension, cela peut être une tension, cela interpelle le spectateur et suscite de l’émotion. Cela amène un temps fort, c’est un coup de projecteur. C’est comme si on disait au spectateur : regarde, il se passe quelque chose !

Cet article est paru dans Contrepied – C’est quoi ce cirque ? – Hors-série n°3 – mai 2012