Lukas Aubin1 répond à une question sur les conditions externes qui président aux évolutions du CIO des JOP.
Article issu du Dossier n°5 édité par le Centre sur les JOP 2024.
Quelles sont les pressions qui s’exercent sur le CIO et le conduisent à ses transformations ?
Le CIO est une organisation qui agit en réaction à des pressions, il n’est pas forcément dans l’action. Il a fallu des organisations politiques, ONG, associations qui critiquent les éléphants blancs, les catastrophes écologiques, le traitement des droits de l’Homme dans certains pays pour que le CIO réforme sa Charte. Aujourd’hui la notion « d’héritage » est centrale appelant à veiller aux questions écologiques, à la réutilisation des installations sportives, par exemple. Les gros profits qu’il tire des Jeux ne doivent pas être ternis et c’est pour cela que l’acceptabilité des Jeux par la population est centrale. Toute la problématique actuelle est là : les questions de l’urgence climatique, des guerres, plus actuellement l’Ukraine et le Proche-Orient, pèsent sur la conduite de ces GES et sont la source des multiples hésitations de Thomas Bach.
Nous connaissons le contexte politique international mais, en partant de la guerre en Ukraine menée par Poutine, n’y a-t-il pas une bannière nouvelle qui serait la lutte contre l’Occident ?
Avant déjà, mais depuis la guerre en Ukraine, le sport est confronté à de multiples forces au sein desquelles T. Bach tente une synthèse. Depuis l’Ukraine, l’Occident a voulu contraindre le CIO à exclure la Russie et Biélorussie mais T. Bach a été obligé de reculer face à une réaction du « Sud global » demandant leur réintégration ; tous les pays Africains ont signé, avec la Chine, des pays d’Amérique latine. Globalement, l’Occident, minoritaire, mais possédant un PIB mondial supérieur à 50 % s’est résolu à une réintégration sous conditions importantes ; malgré les pressions de l’Ukraine, les russes et Bélarus seront là. C’est conforme à la mission historique du CIO d’accueillir le monde entier. En même temps, une jurisprudence s’est créée notamment à l’égard d’Israël ; la boite de Pandore est ouverte. La désoccidentalisation c’est ce conflit sans défaites de tel ou tel camp, mais comme rééquilibration des pôles et puissances mondiales dans le jeu de leurs alliances.
Comment le CIO cherche-t-il à échapper à ces pressions ?
Il montre des faiblesses notamment en appelant, lors de l’AG de l’ONU, à ce que les pays ne répondent pas aux JO parallèles que veut mettre en place la Russie, sous peine de rétorsion. Il y a beaucoup de bluff là-dedans pour cause d’absence de moyens de rétorsions. Et il a raison de se soucier de la force des Russes qui veulent diviser pour régner en créant un modèle sportif parallèle ; ils vont mettre en place des Jeux de l’Amitié et des BRICS qui vont encadrer ceux de Paris. Officiellement, ils ne se présentent pas comme concurrents. Ils veulent créer un confusionnisme où la Russie espère sortir victorieuse en ayant recours à deux axes : attaque contre l’Occident et mise en place d’un modèle sportif parallèle.
Vous avez avancé la notion de sportokratura à propos du sport en Russie. Ce système est-il appelé à se diffuser ?
Le système sportif russe est performant ; il consiste à mobiliser toutes les ressources d’un pays pour faire fonctionner la machine sportive. Ce système s’étend car les régimes autoritaires, « verticaux », se développent en Europe et dans le monde. Certes il y a des systèmes plus efficaces, notamment le Chinois qui est l’héritage d’un syncrétisme à la fois soviétique, dans un premier temps, américain à partir des années 60/70, avec la diplomatie du ping-pong. Il a pris le meilleur des deux pour, maintenant, rivaliser avec les Américains.
La politique ne s’impose-t-elle plus ouvertement dans le champ sportif ?
La politique est de plus en plus prise en charge par le CIO ; auparavant il prenait des positions politiques sans en parler ; aujourd’hui, il a baissé son masque. Devenu de plus en plus fait social total, le sport touche tous les peuples, sauf quelques-uns non contactés en Amazonie, représente 2 % du PIB mondial c’est-à-dire qu’il est une puissance économique énorme et que beaucoup de forces veulent donc avoir une part. Le CIO a créé un spectacle, envié, regardé par quatre à cinq milliards de téléspectateurs, soit la moitié de l’humanité, et dans le nouvel ordre mondial qui se dessine, avec des tensions géopolitiques croissantes liées au sport, c’est un enjeu majeur. Le sport appartient à tout le monde, mais aussi il n’appartient à personne donc tout le monde cherche à se l’approprier, à le modeler et le CIO est au milieu de tout ça et cherche à préserver son contrat originel, qui devient bancal. Le prestige du CIO ira croissant et ses failles apparaitront d’autant au grand jour. On pourrait penser que son autorité pourrait le conduire à pouvoir trancher dans des conflits sans que son universalité ne soit entamée ; un travail d’action diplomatique sans autres moyens que son autorité.
Le CIO va-t-il être au centre d’une guerre de position pour perpétuer son leadership ? Peut-on envisager un éclatement du CIO ?
Dès sa naissance le CIO a su imposer l’idée qu’il était le cœur mondial du sport, qu’il faisait fonctionner les fédérations mais en fait tout cela est fragile ; on peut dire que le CIO n’a aucune légitimité à avoir ce statut ; il est reconnu, oui et non, mais aussi, il est de fait contesté car il doit affronter les naissances de nouvelles pratiques massives (exemple MMA, e-sport) dont il doit penser leur intégration, en laissant d’autres au bord de la route. À mon avis le CIO ne restera pas éternellement le centre du sport mondial ; il sera contesté par un nouvel acteur majeur dont la configuration n’est pas arrêtée.
Il n’y a qu’une organisation similaire comparable au niveau international c’est la Croix-Rouge ; c’est une association qui traverse les pays, les époques, qui a une capacité financière importante qui lui permet son indépendance, qui peut se déplacer sans être uniquement soumise aux pressions politiques et qui peut suivre ses propres intérêts aussi.
Texte issu du Dossier n°5 « Avenir de l’EPS » édité par le Centre sur les JOP 2024
- Géopoliticien et spécialiste des questions du sport en Russie, il est Directeur de recherche à l’IRIS et auteur de « La guerre du sport : une nouvelle géopolitique » (Tallandier, 2024)↩