L’olympisme washing : célébrer pour convaincre tout en espérant …

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Michaël Attali 1 rappelle que l’histoire de l’olympisme n’est pas un long fleuve tranquille et invite à regarder le phénomène avec lucidité.

Article issu du Dossier n°5 édité par le Centre sur les JOP 2024.

Rénovés au début de la décennie 1890, les Jeux olympiques modernes s’inscrivent dans un projet politique de redressement national susceptible de promouvoir de nouvelles formes de citoyenneté par l’intermédiaire de l’incorporation de valeurs comme de manières d’être à soi et aux autres. Il s’agit ainsi de promouvoir l’acception de la hiérarchie, du dépassement ou du progrès, sans autre contrainte que le mérite. Si les épreuves organisées constituent les supports, leurs mises en scène célèbrent un idéal dont l’olympisme se considère être le dépositaire. La cérémonie d’ouverture représente l’unité et l’harmonie entre les peuples, les cinq anneaux du drapeau olympique célèbrent son universalisme, l’allumage de la flamme l’inscrit dans un continuum historique depuis l’Antiquité, le relais est censé souligner la fraternité. Les symboles olympiques sont nombreux (hymne, remise de récompenses, etc.) et permettent de déployer un récit autour des valeurs incarnées par la devise « Plus vite, plus haut, plus fort » à laquelle a été récemment ajouté « ensemble ».

Le sport et sa déclinaison olympique seraient alors « naturellement » bons, conduiraient à moraliser les foules ou participeraient à renforcer l’unité nationale comme la compréhension entre les peuples.

Tout au long du XXe et XXIe siècles, les JO sont le théâtre d’un spectacle sportif planétaire tout en étant le vecteur d’une idéalisation. C’est bien par l’intermédiaire des valeurs que l’olympisme et son événement phare prennent leur sens et acquièrent leur légitimité. Bien que plurielles, il est remarquable de constater qu’elles vont rapidement relever du sens commun et constituer l’étayage idéologique de l’olympisme. Le sport et sa déclinaison olympique seraient alors « naturellement » bons, conduiraient à moraliser les foules ou participeraient à renforcer l’unité nationale comme la compréhension entre les peuples. Bien que les valeurs attribuées au sport ne soient pas dénuées de contradictions entre elles et que l’épreuve de la réalité puisse conduire à interroger la véracité de cet attachement, il n’en reste pas moins qu’elles participent à essentialiser le sport. Quoi que l’on en dise, il serait bénéfique pour l’individu, la communauté auquel il appartient, les territoires dans lesquels se déroulent ses événements et participeraient à améliorer les conditions de vie.

L’histoire de l’olympisme est pourtant riche de bouleversements, d’interrogations, d’instrumentalisations ou de paradoxes qui ont pu fragiliser sa place comme son rôle. Les valeurs fonctionnent alors comme un paravent qui permet de rappeler l’essentiel : l’olympisme est bon et nul doute qu’il se relèvera de toutes les crises qui pourraient le traverser. 

Parce que depuis les années 1990, l’olympisme connait une crise liée d’abord à l’avènement du professionnalisme, puis organisationnelle et enfin écologique, ses promoteurs s’attèlent à mettre en évidence de nouveaux facteurs de légitimité. En vue de faire le lien avec les prises de position de la fin du XIXe siècle, les retombées qu’il est censé produire dans les domaines sociaux ou politiques sont réactivées. Le terme d’héritage s’impose alors dans les débats comme une perspective de réinvention de l’olympisme. Intéressante à plus d’un titre, il s’agit d’en comprendre les fondements. En raison de la croyance aux vertus consubstantielles du sport, de la puissance d’attraction de l’événement, ses défenseurs soutiennent un modèle de développement considérant que les JOP peuvent conduire à améliorer les relations sociales, promouvoir la pratique physique ou façonner l’identité nationale… tout en soulignant à maintes reprises qu’ils ne peuvent se pervertir par un quelconque engagement politique, pourtant toujours latent et systématiquement en arrière-plan depuis plusieurs décennies. Mais cet héritage découle-t-il de l’organisation des JO ou est-il la résultante d’actions suivies sur le temps long, pouvant profiter de la caisse de résonance des JOP ? À n’en pas douter, depuis le début des années 2000, la première option a pris le pas sur la seconde. Parce que la croyance dans l’existence de valeurs consubstantielles au sport est tenace, les organisateurs s’attachent à penser que la seule exposition à celui-ci conduira les foules à pratiquer, à s’engager et à adhérer. Les programmes ambitieux sont rares et subsistent rarement au-delà de la cérémonie de clôture. Il est d’ailleurs remarquable de constater qu’on parle beaucoup de l’héritage des JOP avant les JOP, comme s’il était automatique et que l’on pouvait l’avérer avant leur déroulement.

… on parle beaucoup de l’héritage des JOP avant les JOP, comme s’il était automatique et que l’on pouvait l’avérer avant leur déroulement

Le plan Héritage et durabilité des JOP Paris 2024 est à ce titre captivant. À sa lecture, on mesure combien le sport serait capable de tout par sa seule capacité de conviction, de représentation et la croyance dans ses bénéfices évidents. De l’inclusion à la solidarité en passant par la santé, l’écologie, le développement économique, l’attractivité ou l’innovation, il y aurait un avant et un après qui permettraient de bouleverser l’existence. La prudence n’est pas de mise comme d’ailleurs la nuance. Pourtant, de nombreuses études y incitent et soulignent qu’en la matière la causalité entre l’événement et ses éventuelles retombées est complexe, souvent réduite et rarement au rendez-vous en raison des croyances à l’égard des pouvoirs du sport. 

Entre condamner des évènements parce qu’ils ne sont pas à la hauteur des effets attendus et croire éperdument à leurs effets magiques, la perspective doit être tracée avec raison et lucidité pour ne pas être réduite à des utopies d’autant plus décevantes quand on y a cru.

Texte issu du Dossier n°5 « Avenir de l’EPS » édité par le Centre sur les JOP 2024

  1. Michaël Attali, Professeur des Universités à Rennes 2, Directeur de laboratoire et spécialiste de l’histoire du sport et de l’EPS

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