Courir 1500 mètres au concours PE : si un barème était plus qu’une histoire de chiffres ?

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En tant que responsable du dossier formation « premier degré » au SNEP, Claire Pontais a dû traiter de l’épreuve de 1500m au concours du professorat des écoles1. Le bilan de l’opération montre que l’élaboration d’un barème n’est pas qu’un problème technique, loin de là ! Cela pose des questions de fond, notamment celle de l’équité garçons-filles. Tout semble relativement simple lorsqu’on en reste à des généralités, mais tout devient rapidement problématique quand on rentre dans le détail et qu’on souhaite prendre en compte le contexte : le cadre du concours, la population concernée, les objectifs de l’épreuve, la comparaison avec les autres épreuves…etc.

Cet article est paru dans le numéro 19 de la revue Contrepied dédié à l’Athlétisme en EPS

La valse des barèmes  

En 2002 une des épreuves du concours de recrutement des professeurs d’école (CRPE) était un 2000m dont le barème avait été critiqué car il désavantageait les filles. Le SNEP et le Centre EPS et Société avaient proposé une étude approfondie des performances, JP Cleuziou avait alors construit une nouvelle proposition visant l’équité 2. Le nouveau barème avait été bien accueilli. 

En 2005, les épreuves d’EPS du concours changent et n’offrent plus que deux choix : courir un 1500m ou présenter une chorégraphie en solo (suppression de l’épreuve de badminton). Le Ministère impose alors un barème critiqué cette fois-ci parce qu’il aurait attribué une note entre 18 et 20 à 60% des candidat-es. Le SNEP sollicite à nouveau JP Cleuziou pour proposer un nouveau barème. 

Un sentiment d’injustice ?

Or dès sa publication, ce barème est contesté par certains étudiant-es et collègues parce qu’il désavantagerait fortement les garçons. Pourtant, à l’issue du concours, une étude portant sur 3000 performances recueillies en juin 2006 a montré que la moyenne garçons-filles était quasi équivalente (0,45 point en défaveur des garçons). D’où vient ce sentiment d’injustice ? Du fait que les garçons n’ont pas de choix réel ? De l’épreuve elle-même, qui représente un type d’effort particulier, qui ne comporte plus de contrat censé récompenser un certain entraînement ? De l’exigence de performance, « pour être enseignant du primaire, on n’a pas besoin d’être sportif » ? Du fait que les garçons, plus sportifs que les filles, devraient selon toute logique, avoir de meilleures notes ? Pourquoi ce barème a-t-il été critiqué alors que celui du 2000m ne l’a pas été ? Ce sont ces questions que nous avons tenté d’élucider lorsque nous avons demandé, encore une fois, à JP Cleuziou d’étudier de nouveaux barèmes pour faire des propositions éclairées au Ministère. 

Les objectifs de l’épreuve 

Nous avons eu des discussions avec le syndicat du premier degré, le SNUIPP, sur les enjeux de l’épreuve d’EPS par rapport aux autres disciplines. Dans toutes les disciplines, les épreuves ont deux volets : la moitié de la note sur les connaissances, l’autre moitié sur des questions didactiques et pédagogiques. 

En EPS, la pratique est liée à l’entretien. Il s’agit de vérifier des connaissances (en acte), une aptitude à concevoir son entraînement et la capacité de l’analyser. Le tout pour dire ce que l’on retire de sa pratique pour soi-même et pour l’enseignement.

En EPS, les connaissances se vérifient lors d’une prestation physique en danse ou lors d’un 1500m. Comme en maths ou en histoire, avoir 20 doit être révélateur d’un haut niveau de connaissances. On ne peut donc pas « brader » le 20 en EPS qui est censé prouver une maîtrise importante dans la discipline. 

C’est un premier débat : l’EPS n’a pas le même statut que les autres disciplines dans les représentations des gens. Ça ne choque pas qu’un enseignant ne sache pas nager alors que ça choque qu’il ne sache pas faire une division ! Ensuite, il faut définir le niveau. Dans le précédent concours, il était admis qu’un niveau régional dans l’APSA de l’épreuve donnait 20, un niveau départemental 18 et qu’un bon lycéen avait au dessus de la moyenne.

Ça ne choque pas qu’un enseignant ne sache pas nager alors que ça choque qu’il ne sache pas faire une division !

Mais avec une seule épreuve de 1500m, ce repère ne convient plus, on ne peut pas réserver le 20 aux spécialistes de demi-fond ! Il paraîtrait inconcevable que, dans le cadre du concours PE, un très bon sportif ou une bonne sportive (quelle que soit sa spécialité) ne puisse atteindre la meilleure note.

La quantité d’épreuves

Le nombre d’épreuves est déterminant. Le ministère en les limitant fabrique de l’injustice ! Lorsqu’il y avait cinq épreuves, personne ne contestait les barèmes, chacun choisissait son activité et celui qui ne courait pas vite pouvait prendre escalade ou volley. Celui qui avait zéro avait fait un mauvais choix et/ou ne s’était pas préparé. Nous avons donc demandé en priorité, avant de revoir les barèmes, de rétablir au moins une troisième épreuve. Pour des raisons économiques, le Ministère refuse.

Les garçons, avec la danse comme seule alternative au 1500m, se sentent lésés parce qu’ils ont l’impression de n’avoir, de fait, pas de choix. Certes, il faudrait faire évoluer les représentations, mais en attendant, la quasi-totalité (90%) choisit le 1500m. Comment le barème peut-il en tenir compte ? Les plus faibles doivent pouvoir « entrer » dans le barème (le zéro est exceptionnel dans les autres disciplines), et le 20 doit être accessible. On a donc à penser les deux extrémités du barème, en plus de la stricte moyenne mathématique.

Le choix de l’épreuve

Mais qu’est-ce qu’être sportif·ve quand l’épreuve est un 1500m ? La seule explication du Ministère sur ce choix a été : le 3000m c’est trop long, le 1500m est une épreuve olympique !

…qu’est-ce qu’être sportif·ve quand l’épreuve est un 1500m ? La seule explication du Ministère sur ce choix a été : le 3000m c’est trop long, le 1500m est une épreuve olympique !

Une course plus longue serait certainement plus adaptée. Cela dit pour la majorité des candidat-es, l’effort est à dominante aérobie. L’étude des performances montre que pour plus de la moitié des femmes l’épreuve dure de 7’30 à 13’ et qu’elle dure pour plus de la moitié des hommes entre 5’40 et 9’.  

Le 1500m est une épreuve à dominante énergétique qui privilégie des qualités d’endurance et de résistance. Si le ministère avait choisi le pentabond, qui nécessite des qualités de vitesse et de détente, les « bons sportifs·ves » ne seraient pas les mêmes ! Un footballeur aura plus facilement 20 au 1500m qu’un judoka ou un kayakiste. Comment déterminer l’échelle de notes dans ce cas ? Faut-il que le champion régional de volley-ball s’approche du 20 au 1500m ? Comment déterminer les équivalences ? Ne sommes-nous pas face à un problème insoluble si l’on ne pense qu’en terme de barèmes ? 

Le contenu de l’épreuve

Le barème ne pouvant seul résoudre tous les problèmes, il faut, a minima, prendre en compte le contenu de l’ensemble de l’épreuve. L’entretien d’EPS étant basé sur ce que le pratiquant retire de son entraînement, celui-ci doit être révélé par l’épreuve. 

Une première possibilité est de jouer sur un projet de course (course) qui prendrait tout son sens dans cette nouvelle épreuve où l’entretien est en rapport avec la pratique. A condition de proposer un contrat qui révèle la maîtrise d’un comportement tactique sans pervertir l’épreuve ou inviter à la tricherie. Celui de l’ancien concours consistait à annoncer son temps avant la course et avait incité les candidats (plus que les candidates !) à utiliser des subterfuges pour connaître leur temps et des ralentissements stratégiques devant la ligne d’arrivée. Pour ne pas dénaturer l’activité, un contrat doit permettre de « battre son record » tout en vérifiant la capacité à se fixer un projet adapté à ses possibilités et le réaliser avec une marge d’erreur acceptable 3

Une autre façon de rééquilibrer l’épreuve pour les sportifs-ves, c’est de jouer sur l’entretien lui-même. En limitant l’exposé à la pratique du 1500m et de la danse, on empêche les sportifs-ves de mettre en valeur leur expérience réelle (de hand-ball, de skate, de badminton, etc..). Leur permettre d’en parler lors de l’entretien participerait à un rééquilibrage : au lieu d’être en décalage pour l’ensemble de l’épreuve (pratique et entretien), les sportifs-ves ne seraient désavantagés que pour la pratique imposée. 

Si tous ces arguments permettent d’affiner les choix pour le barème, il ne règle pas fondamentalement la question de l’équité garçons-filles. 

Problèmes de l’équilibre garçons-filles 

Quand peut-on dire qu’il y a équité garçons-filles ? Quand les garçons et les filles ont des notes équivalentes ? Mais qui décide de l’équivalence ? Comment sait-on que 5’29 pour un garçon vaut 7’31 pour une fille ? 

Les tables de cotation classiques sont établies à partir de performances de populations entraînées et ne conviennent pas pour des non spécialistes 4. Pour établir des barèmes adaptés aux non spécialistes, il faut mieux connaître leurs performances à partir d’études sur des grands nombres. On peut alors construire des barèmes permettant l’équivalence des notes entre les garçons et les filles. C’est dans cette optique que le barème actuel a été construit. Et l’étude de juin 2006 sur 3000 performances montre que les notes des garçons et des filles sont très proches. 

Alors pourquoi les collègues ont-ils souvent estimé que les garçons étaient fortement pénalisés ? Parce qu’égalité ne signifie pas forcément équité. 

L’égalité de notes garçons-filles semble acceptable dans le cadre d’un examen (bac par exemple), avec l’argument de ne pas faire payer aux filles le fait qu’elles sont moins sportives (culturellement) que les garçons. Leur mettre une note équivalente aux garçons ne pénalisent pas pour autant ces derniers. Mais il faudrait alors même dans ce cas de figure étendre la réflexion à l’ensemble des épreuves : faut-il équilibrer les notes en français des garçons au vu de leur retard culturel en tant que lecteurs ?

Dans le cadre d’un concours, cette idée d’équivalence est plus problématique parce que les garçons étant plus sportifs que les filles (statistiquement) il serait normal qu’à un moment T (le concours), ils aient de meilleures notes, notes révélatrices de leur expérience antérieure (supérieure à celle des filles). Un concours n’évalue pas seulement une année de préparation mais l’ensemble de la scolarité ainsi aussi les expériences hors-scolaires. Mais cette question peut aussi être un piège si l’on ne discute pas dans le même temps du nombre et de la nature des épreuves : le 1500m est-il la meilleure épreuve pour révéler l’expérience sportive d’une population ? Est-ce d’ailleurs la bonne question à poser en termes d’évaluation ? L’épreuve doit-elle révéler une sportivité « globale » ? Si oui, le 1500m n’est certainement pas le meilleur choix d’APSA. 

Au même moment T, les filles qui ont une culture de lectrices plus grande, une culture artistique (arts plastiques) plus développée en profitent dans les autres épreuves du concours : on pourrait ainsi dire qu’une égalité de notes en EPS en garçons et filles avantage les filles car on ne les pénalise pas en EPS et elles sont valorisées dans d’autres épreuves ! Donc qu’une égalité de notes induirait en fait une iniquité au détriment des garçons.

S’ajoute à ce problème d’équité garçons-filles la question du métier de professeur d’école, fortement féminisé (85%) : l’EPS était jusqu’à présent une discipline qui permettait aux garçons d’avoir une bonne note et participait donc à une augmentation du nombre de PE hommes (là aussi il conviendrait de faire une étude sur l’impact de la note d’EPS sur l’ensemble du concours). Sur le terrain, les hommes font sans doute plus d’EPS que les filles (statistiquement)…

Alors quels choix ?

Ce cas de figure pose des questions d’ordre « politique ». C’est semble-t-il la première fois qu’une épreuve en EPS, produit une moyenne équivalente garçons/filles, ce qui correspond aux objectifs et aux attentes de la discipline. Il est troublant de constater que sitôt cette situation reconnue, elle soit contestée, justement parce qu’égalitaire. C’est donc la première fois aussi qu’est revendiquée par des collègues, explicitement, une différence de note d’un ou deux points en faveur des garçons. Pouvons-nous en tant que syndicat aller dans ce sens sans enterrer certains principes ?

Nous pensons, compte tenu des éléments à notre disposition actuellement, qu’il est nécessaire d’afficher une certaine équivalence dans les barèmes et ne pas reproduire les écarts constatés auparavant, tout en proposant une certaine réévaluation. 

Il y a donc plusieurs pistes pour faire évoluer l’épreuve d’EPS5 mais la question de l’équité garçons-filles est la plus épineuse, la plus discutée et discutable. Reste que l’étude sur 3000 performances réelles a été un outil déterminant pour sortir des discours idéologiques et s’appuyer sur des données fiables. Nous manquons d’études comme celle-ci, menée à l’initiative du SNEP et d’EPS & Société, dans une collaboration entre décideurs, usagers et spécialistes. 

  1. aujourd’hui l’épreuve d’EPS au concours ne comporte plus d’épreuve pratique, mais le sujet et son traitement intéresse les épreuves athlétiques en général
  2. Voir le site d’EPS et société www.contrepied.net  – étude sur le 2000m – 2003
  3. voir le site du SNEP www.snepfsu.net – étude sur le 1500m – 2006
  4. JPierre Cleuziou : les extrapolations sur des populations peu entraînées à partir d’observations faites sur des populations de spécialistes conduisent à des erreurs très importantes au plan de l’évaluation : ainsi la table Letessier (fondée sur ces extrapolations) est catastrophique pour évaluer les performances scolaires filles après la puberté en demi-fond.
  5. Cette épreuve n’existe plus aujourd’hui. NDLR

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