Pour le livre « EPS et culturalisme » (2018) nous avons publié ce compte rendu rédigé par Alex Majewski des interventions de Catherine Kintzler1, et de Nico Hirtt2 au colloque du SNEP-FSU en novembre 2016. Le problème évoqué est récurrent et continue de partager les acteurs de l’Ecole.
Ce forum avait une double ambition : celle de contester la conception utilitariste du système scolaire à savoir que l’école, depuis les années 80, doit former des jeunes capables de s’adapter le mieux possible aux contingences de la société économique et celle de démontrer qu’une approche centrée sur les savoirs, serait la voie de formation à privilégier pour les futures générations.
Ces deux voies ne devraient, en principe, pas s’opposer. Le problème est qu’aujourd’hui, la première a le monopole tandis que la seconde est considérée comme élitiste, ringarde. La réforme du collège, par exemple, met au-devant de la scène la transmission de valeurs citoyennes, considère l’approche par compétences comme le graal pédagogique et relègue les savoirs à l’état d’accessoires. En tant que professeurs, concepteurs critiques de notre enseignement et plus largement citoyens soucieux de l’avenir de la société, nous nous interrogeons : quelle est la conception de l’école qui pilote ces réformes ? Pour quelles raisons ? Quels contenus faut-il enseigner pour viser la démocratisation et l’émancipation ?
Catherine Kintzler a apporté un regard philosophique sur la question de l’école en faisant référence à ses travaux sur la modernité de la pensée de Condorcet. Elle a réactivé, ce qu’elle considère être la théorie la plus puissante de l’école républicaine : une pensée nécessaire pour résister et créer, faire des propositions. Condorcet nous apprend en effet que « les citoyens ne peuvent être libres qu’en s’appropriant les objets du savoir désintéressé formant l’humaine encyclopédie. Il appartient à la puissance publique d’organiser cette appropriation afin que chacun puisse se soustraire à l’autorité d’autrui et cultive sa perfectibilité, afin aussi que les décisions politiques qui s’imposent à tous ne soient pas le fruit de l’ignorance. La finalité de l’école n’est pas l’adaptation sociale ou économique, mais la liberté en chaque individu : l’école publique doit instruire et non imposer une éducation qui tend toujours à une sorte de conformation ».
La finalité de l’école n’est pas l’adaptation sociale ou économique, mais la liberté en chaque individu : l’école publique doit instruire et non imposer une éducation qui tend toujours à une sorte de conformation
Pour elle, en Éducation Physique et Sportive, nous pouvons retrouver les grands principes du concept d’instruction développé par Condorcet :
- La liberté qui suppose qu’on échappe à l’asservissement et accède à des pouvoirs avec et sur son corps.
- L’élémentarité qui consiste à ordonner les savoirs, les rendre intelligibles à l’élève qui doit comprendre pourquoi il exécute tel ou tel mouvement, pour accroître le plaisir de l’effectuer.
- La perfectibilité qui renferme et traite un paradoxe : plus l’instruction s’étend, plus elle favorise la liberté ; plus aussi elle fait apparaître des inégalités qui ne se seraient pas révélées en son absence. Cependant, toutes les inégalités n’ont pas à être pourchassées (force, beauté, …). Seules celles qui entraînent une dépendance d’un groupe d’homme à un autre sont à condamner et à réduire. L’instruction doit favoriser le déploiement maximal de l’excellence, pourvu que personne ne soit tenu dans un état de dénuement intellectuel (ou physique pour ce qui nous concerne) qui le livrerait à la tutelle d’autrui.
Nico Hirtt explique que les pays capitalistes ont imposé l’approche par compétences, comme un outil destiné « à armer le futur producteur de cette capacité d’adaptation aux savoirs nouveaux qui doit assurer son employabilité tout au long de la vie ». L’enseignement doit donc s’adapter à une double évolution des marchés du travail : la flexibilité et la polarisation des qualifications (croissance des emplois à faible niveau de qualification d’un côté et à très haut niveau de qualification de l’autre). Dans ce contexte, il est jugé irréaliste de poursuivre sur la voie de la démocratisation d’un enseignement général. L’OCDE confirme : « Tous n’embrasseront pas une carrière dans le dynamique secteur de la »nouvelle économie » -en fait la plupart ne le feront pas -de sorte que les programmes scolaires ne peuvent être conçus comme si tous devaient aller loin ». Le rapport Thélot de 2006 commandé par Jacques Chirac va dans le même sens : « la notion de réussite pour tous ne doit pas prêter à malentendu. Elle ne veut certainement pas dire que l’Ecole doit se proposer de faire que tous les élèves atteignent les qualifications scolaires les plus élevées. Ce serait une illusion pour les individus et une absurdité sociale, puisque les qualifications scolaires ne seraient plus associées, même vaguement, à la structure des emplois. »
C’est clair. Pour nos dirigeants, la finalité de l’école est « l’employabilité ». Opposons leur l’accès de toute une génération au plus haut niveau de culture et de savoirs.
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018