EPS, sport et santé au regard des paroles de collégiens

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Des collégiens dont la santé est altérée par une maladie physique s’expriment sur l’EPS [[Les interviews ont été réalisées à l’occasion de deux films disponibles à l’INS HEA : L’éducation physique pour tous au collège (1999) et Une UPI pour élèves présentant une déficience motrice (2003).]] . D’où un questionnement sur le sens qu’ils y trouvent, éclairé par le point de vue de parents, sur une distinction entre les APSA et des activités physiques à visée thérapeutique, et sur la collaboration entre le professeur d’EPS et le médecin scolaire.


Sylvain présente une dystonie (trouble neurologique) : « Je me suis fait opérer, on m’a implanté des piles au niveau du bassin, avec des fils jusqu’au cerveau, ça commande mon corps. Maintenant je peux marcher, je peux faire comme les autres. J’aime le sport, maintenant que j’en fais j’aimerais en faire plus. »

Pour sa part, Elodie souffre d’une insuffisance cardiaque et pulmonaire sévère, au point d’avoir chez elle un dispositif d’assistance respiratoire sur lequel elle se branche quand elle est fatiguée. Son père met en avant la satisfaction qu’elle exprime sur sa pratique de l’EPS : « Elle est bien contente de faire les séances d’EPS (…). Elle participe à quelque chose d’important pour elle (…). Elle fait de l’éducation physique comme tout le monde, et ça l’aide pour s’affirmer comme ses autres camarades ».

De son côté, Julie cumule une grande fatigue, due à une épilepsie, un syndrome rotulien et une grande maladresse. Elle aussi aime bien les cours d’EPS : « Je m’amuse bien … ». Sa mère précise : « Elle me raconte un petit peu ce que ça lui apporte : être comme les autres. C’est très important, surtout à cet âge-là. Elle se sent comme les autres ».

Deux éléments se dégagent de ces propos. Le premier, c’est l’avis positif des adolescents sur ce qu’ils vivent en EPS, après avoir été longtemps, voire toujours, dispensés et bien que disposant de ressources personnelles qui les éloignent a priori d’une réussite dans cette discipline. Mais c’est bien parce qu’ils y réussissent qu’ils l’apprécient, comme en témoigne le père d’Élodie : « Après chaque séance d’EPS, elle nous raconte ce qu’elle a fait, ses progressions par rapport aux séances précédentes ».

Sylvain, lui, a un tel désir de progresser qu’il préfère les cours spécifiques aux élèves à besoins spécifiques à ceux avec sa classe : « C’est mieux. Comme on n’est pas beaucoup, elle (le professeur) m’apprend plus de trucs ».
Quant à Julie, elle trouve dans les adaptations qui lui sont proposées matière à réussite, enfin : « Je n’aimais pas le sport parce que je ne réussissais pas bien, je ne faisais pas les choses comme il fallait. Je perdais toujours dans les matches. Maintenant je peux faire des matches avec les autres…». Sa mère : « Le sport, ça a toujours été sa bête noire. Elle se sentait nulle. Et là, cette année, elle s’est vue en situation de gagnante alors qu’elle était toujours en situation de perdante ; elle s’est sentie valorisée. » L’acquisition de pouvoirs d’agir gratifiants n’est pas étrangère au travail des professeurs. Ils ont su en construire les conditions par une attention portée à chacun-e et des adaptations non dénuées d’exigence.

Le second élément à retenir des propos tenus est la référence aux autres. L’aspiration à être comme eux fait écho au désir d’inclusion : pouvoir accéder pleinement aux différents domaines de la vie sociale (école, emploi, loisirs…). Pouvoir notamment exercer son droit d’écolier à suivre l’enseignement de tou-te-s, autour d’APSA qui sont des pratiques sociales valorisées, potentiellement valorisantes, et qui, dès lors qu’elles sont pratiquées avec plaisir, sont susceptibles de trouver un prolongement hors de l’école. Il s’agit donc de ne pas cantonner l’élève dans des activités physiques à visée thérapeutique qui le renvoient à ses manques, à une identité de « malade » ou de « handicapé », de ne pas adosser le pédagogique et l’éducatif au médical.

Fondamentalement, l’EPS ne vise pas à « réparer », même si, incidemment, elle peut être pensée dans la perspective d’améliorer ou préserver une fonction déficiente. Plutôt que de se fixer sur ce qui fait défaut chez l’élève, elle le sollicite de telle manière qu’il mobilise la globalité de ses capacités face à des situations dont le sens principal n’est pas d’ordre médical, y compris aux yeux des intéressé-e-s. En judo, un hémiplégique ne mobilise pas seulement son hémicorps déficitaire. L’EPS ne saurait se substituer à une approche thérapeutique, et réciproquement.

Manifestement, ce point de vue n’est pas unanimement partagé. Ainsi, le CDRom ADAPT, « destiné aux étudiants, aux professionnels (enseignants…) » (Van Coppenolle & De Potter, 2004), produit à l’issue du projet THENAPA (Thematic Network Adapted Physical Activity – Educational and Social Integration of Persons with a Handicap through Adapted Physical Activity ), regroupant des universitaires de 23 pays membres de l’Union européenne, engagés dans le champ des APAS (Activité physique adaptée et santé), s’inscrit dans une perspective ouvertement thérapeutique. Il décrit trois types d’intervention : la « thérapie psychomotrice », la « revalidation » cardiaque, pulmonaire, etc., et la « thérapie », composée de la « thérapie du rebond » (pratique du trampoline…), la « thérapie par le jeu », qui est « une forme de thérapie psychanalytique », « l’hippothérapie, l’hydrothérapie », et la « thérapie par la danse ».

Sans se prononcer sur la pertinence de ces propositions en matière de soin et de rééducation, on peut la contester dans le domaine de l’EPS, en reprenant nos arguments précédents, et aussi du sport. En effet, les activités décrites ne relèvent pas du sport, entendu au sens de pratique sociale de loisirs[[ De loisirs, mais pouvant déboucher sur une activité professionnelle.

]], c’est-à-dire du temps libre[[ Dans ce sens, loisirs ne s’oppose pas à la recherche de performance et à la compétition.

]], qui n’est pas contraint par une obligation de travail, des tâches utilitaires ou une nécessité de soins. Et elles sont à l’opposé d’activités culturelles permettant à la personne de participer avec les autres à une pratique sociale reconnue et source d’identifications déstigmatisantes.

Avec l’avènement actuel du sport sur ordonnance, on est susceptible d’assister à une vassalisation du sport par le médical, comme en témoigne un article récent du magazine Déclic, édité par Handicap International, intitulé Sport sur ordonnance (2016, n°169). Tout son long, la dépendance de l’activité sportive y est explicite. On y découvre « l’idée d’une convention pluridisciplinaire qui pourra regrouper un kinésithérapeuthe spécialisé dans les tests physiques, un psychomotricien, un ergothérapeuthe, ainsi qu’un professionnel du sport », pour aboutir à «l’élaboration d’un programme d’activité adaptée » et à une pratique accompagnée « par un rééducateur professionnel, puis seul ou avec une association spécialisée travaillant en général avec des clubs sportifs ». On ne discutera pas le fait que cette démarche puisse être judicieuse dans certains cas, mais d’ici à en faire une ligne de conduite générale pour les jeunes ayant des troubles invalidants de la santé ou une déficience, il y a un pas dont le franchissement est discutable. Et avancer que « la pratique sportive est conseillée pour les enfants atteints d’une trisomie 21, surtout pour les améliorations à en attendre du côté de la coordination », c’est en voir l’intérêt par le petit bout de la lorgnette.

Que l’hégémonie du paradigme thérapeutique, dont témoignent les exemples cités, appelle des critiques ne saurait disqualifier le travail entrepris, à l’Université et ailleurs, pour accréditer les bienfaits de la pratique d’APSA sur la santé et valider des modalités de pratique. Ses effets positifs sont aujourd’hui bien documentés, notamment pour des pathologies chroniques et même pour des cancers, mais leur efficacité est liée à un engagement suffisamment pérenne des intéressés. Il ne suffit pas de s’en tenir à une douzaine ou une vingtaine de séances d’activité physique prescrite pour escompter un bénéfice durable. Il faut que l’activité entreprise ait, pour celui-celle qui s’y livre, un sens suffisant, trouvé par exemple dans le plaisir de la mobilisation corporelle ou de la rencontre avec d’autres, qui le porte à maintenir volontairement son engagement.

Ces deux types de plaisir, on les a retrouvés dans les interviews de collégiens jusqu’ici dispensés d’EPS. Ainsi, Antony, atteint d’une forme de myopathie, a souhaité ne plus être dispensé d’EPS pour « être avec les copains ». Et Amélie, qui présente une infirmité motrice cérébrale et se meut avec précaution, répond, à la question de savoir ce qui lui plaît en EPS : « les sensations ». Il s’agit par exemple, précise son professeur, du plaisir mêlé de frayeur qu’elle a éprouvé quand, en escalade, elle est parvenue, avec une aide conséquente, à poser ses pieds sur des prises de la paroi à quelques centimètres du sol. Les sensations issues de l’effectuation motrice ont peut-être là, comme l’écrit Claire Carrier, « l’avantage de conforter le plaisir d’exister »[[ Carrier (C.), « Pratiques sportives et peurs adolescentes », Empan, n°51, 2004.

]].

Si le plaisir et la réussite des élèves que nous avons interviewés sont en partie une conséquence du travail de leurs enseignants[[ Nous en avons développé certains aspects dans l’article « Individualiser pour réunir : l’enseignement de l’EPS devant un paradoxe de l’intégration scolaire », dans J. Gateaux–Mennecier & M.-C. Mège-Courteix, Marginalisation, intégration, La Nouvelle Revue de l’AIS, n° 8, Édit.de l’INS HEA (1999), p. 153-165.

]], il faut aussi souligner le rôle essentiel du médecin scolaire, puisqu’il a permis à ces jeunes habituellement déclarés inaptes à l’EPS d’accéder à cet enseignement. Celui du collège où sont scolarisés Élodie, Julie et Antony explique son rôle à la réception d’un certificat médical donnant lieu à une inaptitude : « Je vois la pathologie de l’élève, ce que l’on peut lui proposer en EPS, en lien avec l’activité de la classe ou d’une autre classe (par exemple, un élève pour lequel on ne trouve pas d’adaptation satisfaisante en football pourra participer à un cycle de natation au sein d’une autre classe), et puis je contacte le médecin de famille, parfois le médecin spécialiste si on a besoin de précision. Quand je contacte les médecins, sauf les médecins du quartier qui connaissent bien le projet (le projet du collège prévoyant des modalités de pratique de l’EPS adaptées à tou-te-s les élèves), il faut expliquer à chaque fois, parce qu’un médecin qui a rédigé un certificat médical d’inaptitude a parfois du mal à accepter qu’on vienne en discuter. D’ailleurs, parfois, certains médecins le prennent mal. Mais en expliquant le projet, en expliquant que même des élèves handicapés peuvent participer, que c’est quelque chose qu’on a réfléchi, que l’élève ne fera pas forcément la même activité que les autres, on arrive à s’entendre et à proposer quelque chose ».

Cet engagement volontariste du médecin repose notamment sur des informations fournies par les professeurs d’EPS. Réciproquement, ces derniers conçoivent des adaptations de leur enseignement à partir des renseignements procurés par le médecin. On a là un travail d’équipe dont la fécondité tient à la complémentarité des apports et à un respect mutuel des connaissances et des compétences des différents protagonistes, au bénéfice des élèves.

Cet article est signé Jean-Pierre Garel, Chercheur associé au Laboratoire Cultures-Éducation-Sociétés, Université Bordeaux. Il est paru dans Contre Pied HS N°16 – « L’EPS est santé ».