Julien Gout, enseignant EPS et entraîneur responsable de la préformation (13 à 15 ans) au FC Maisons-Alfort (94) choisit de valoriser la créativité collective pour favoriser les initiatives de chacun-e et leurs coordinations. Il a testé des règles qui permettent, par le jeu, de passer d’un jeu de grappe à un jeu étagé puis à un jeu de recherche permanente de déséquilibre du bloc équipe adverse à travers l’alternative verticalité-horizontalité.
Pourquoi jouer sur les règles ?
Cela peut paraître étonnant puisqu’en foot, contrairement au rugby, il y a très peu de règles ! Les règles que je propose concernent essentiellement la marque : elles permettent de marquer des points autrement que par les seuls buts, privilégiant ainsi le jeu collectif offensif.
En effet, la conception du football que je défends est en contradiction avec le jeu pratiqué par l’équipe qui fait référence dans le football français : l’équipe de France championne du monde en 1998. Ces joueurs ont été habitués et engagés dans un jeu offensif restrictif basé sur un ou deux joueurs dont les capacités techniques et physiques individuelles leur permettaient de faire la différence en attaque grâce au travail collectif défensif de leurs coéquipiers.
Si on se focalise sur l’immédiateté du résultat, il est plus simple pour une équipe de défendre à plusieurs et d’attaquer à deux ou trois, plutôt que l’inverse, la maîtrise technique en football étant importante. C’est le choix de beaucoup d’équipes, cela permet de surcroit de valoriser un ou deux joueurs et de s’inscrire à travers eux, dans la logique du vedettariat du « système ballon d’or ».
À l’inverse, je m’inscris dans la conception de Gourcuff ou Guardiola qui mettent l’accent sur la créativité collective offensive, c’est à dire la capacité des joueurs et joueuses à créer ensemble des coordinations dans les déplacements et les transmissions pour déséquilibrer la défense adverse. Le jeu en possession permet à chaque joueur, chaque joueuse de s’épanouir dans une création collective.
Pour résumer cette manière d’envisager le football, Wenger déclarait en 2005 : « Je sais que nous vivons dans un monde où l’on ne retient que les gagnants et les perdants. Mais lorsqu’un sport encourage les équipes qui refusent de prendre des initiatives, ce sport est en danger ».
Les règles développées ici concernent une classe de 6e mixte lors d’un premier cycle.
Le premier jeu
Je démarre par du jeu.
L’organisation
– 4c4 plus un gardien.
– Terrain de 30 m x 20 m.
– 2 buts de 3 m x 1,50 m.
– Les gardiens-nes tournent au temps. J’utilise des ballons de taille 5, donc de taille adulte car plus faciles à manœuvrer, parfois dégonflés, ou des ballons de futsal avec un effet anti-rebond qui laisse plus de temps.
Le terrain est en herbe synthétique.
La compétition
La classe est divisée en 4 clubs comportant chacun 2 équipes de niveau, homogènes entre elles et en leur sein. Mais comme la classe ne compte pas 32 élèves, les joueurs considérés de niveau moyen appartiennent aux 2 équipes du club.
Je me laisse une séance pour éventuellement rééquilibrer les équipes. La compétition se fait par niveau et par club.
Durée des matchs : 6mn
Chaque équipe joue 2 matchs.
Deux arbitres
Les règles du jeu
Au cours du jeu, aucune règle ne diffère du football sauf :
– pas de hors jeu
– remise en jeu : le ballon est joué au pied de la ligne là où le ballon est sorti. Le joueur a le choix de faire une passe ou rentrer dans le terrain avec une conduite de balle parce que son équipe, étant en infériorité numérique, risque de se faire intercepter facilement le ballon par la défense adverse.
Si l’attaque est performante, la défense peut décider de sortir la balle des limites du terrain pour se donner le temps de se replacer. Alors, je supprime le droit de rentrer dans le terrain avec le ballon, la passe est obligatoire. Cela rétablit un rapport de force moins défavorable à la défense.
– la relance du gardien se fait obligatoirement avec la main.
Les règles de la marque
– Lors du tournoi : 3 points par match gagné, 2 points par match nul et 1 point par match perdu.
– Pour orienter les joueurs vers un jeu offensif, les équipes qui marquent au moins 3 buts ont un bonus de 2 points.
Si le score des verts contre les rouges est de 4 – 2, les verts marquent 3 points pour match gagné + 2 points de bonus = 5 points, les rouges : 1 point pour match perdu.
Si le score des verts contre les rouges est de 5 – 4, les verts marquent toujours 5 points (3+2), mais les rouges marquent 3 points : 1 point pour match perdu + 2 points de bonus.
Je m’inspire là du rugby où dans les matchs de haut niveau, les équipes ont des bonus en fonction du nombre d’essais marqués. Cela favorise le jeu offensif, les équipes continuent de jouer et restent motivées même si elles savent que le match est perdu.
Que produit ce jeu ?
Les débutant-e-s
Les équipes cherchent à se diriger vers la cible et le premier joueur qui a le ballon tire même s’il/elle est loin. Et si un joueur de son équipe arrive en premier sur le ballon, il/elle tire à nouveau vers le but.
Si un joueur adverse récupère le ballon, lui aussi tire vers le but adverse.
Cela donne ainsi de grandes trajectoires de ballons vers les buts. Les joueurs ne sont concernés que par le ballon. Mais comme ils/elles tirent fort, la difficulté est grande pour récupérer le ballon. Il y a beaucoup de pertes de balle.
Les plus fort-e-s
Ils/elles cherchent à faire des passes rapidement vers l’avant qui sont aussi difficiles à récupérer, en destination de joueurs isolés dans la défense adverse. Ces joueurs, joueuses directement mis-e-s sous pression des défenseurs essaient de tirer malgré un rapport de force défavorable au moment de la frappe.
La marque
Pour les 2 niveaux, très peu d’équipes marquent des points de bonus car il y a très peu de maîtrise collective du jeu.
Les scores sont assez équilibrés.
Il faut donc faire évoluer les règles de sorte que les élèves puissent marquer des points au delà des buts en fonction du type de jeu que je veux les voir développer.
Quel type de jeu développer et quelles nouvelles règles ?
Pour l’étape 1 : valoriser un jeu en progression maîtrisée vers la cible adverse.
Pour l’étape 2 : valoriser le déséquilibre de la défense adverse en alternant progression axiale et progression latérale.
Les règles étape 1
– Un joueur qui récupère le ballon a la possibilité d’immobiliser le ballon en le mettant sous sa semelle. Il/elle ne peut plus avancer, mais peut seulement transmettre.
L’ensemble de l’équipe adverse, en défense, devient alors figée sur place tant que le ballon est immobilisé, pendant 5 secondes maximum.
Dès que le ballon est frappé, l’équipe en défense peut bouger.
– 5 zones sont délimitées.
à chaque fois qu’on transmet le ballon à un-e partenaire dans une zone plus proche de la cible adverse, et qu’il/elle bloque le ballon avec sa semelle : 1 point de zone.
Des observateurs sont postés entre chaque limite de zone pour comptabiliser les points.
– Les points de bonus : l’équipe peut obtenir des points bonus en marquant plus de 3 buts et/ou en totalisant au moins 10 points de zone.
Comment se transforme le jeu
L’objectif est de trouver l’étagement et donner autant d’importance aux observateurs qu’à l’arbitre pour centrer les élèves plus sur la qualité de leur jeu plutôt que résultat.
Moins de pertes de balles et une progression vers le but adverse
Ce qui se passe au début : le PdB arrête le ballon sous sa semelle. Son partenaire se déplace vers l’avant, mais reste proche de l’alignement défenseur/PdB. Le PdB essaie de lui faire la passe, le ballon est intercepté. Cela arrive à plusieurs reprises.
J’utilise alors l’arrêt flash : je siffle et tout le monde s’arrête comme des statues. Les arrêts flash permettent aux élèves de prendre conscience de la situation au moment où celle-ci pose un souci.
Je demande au partenaire s’il est bien placé. Il se rend compte alors que non. Je lui demande de se déplacer et prendre la position la plus judicieuse pour éviter la perte de balle. Tous les autres joueurs sont arrêtés. Au coup de sifflet, le PdB déclenche la passe et le défenseur ne peut chercher à intercepter le ballon qu’à partir du coup de sifflet. Le ballon arrive dans les pieds du partenaire, cela me permet de montrer que le ballon se déplace plus vite entre les 2 attaquants que le défenseur. Même si le réceptionneur est à l’arrêt et face au PdB car en football la difficulté technique est que le ballon est manipulé par les segments de déplacement (les pieds).
Parfois un joueur se déplace rapidement vers l’avant puis revient vers son/sa partenaire pour lui demander le ballon. Il/elle reçoit donc le ballon dos au but.
Les réactions explosives sur le ballon sont moins nombreuses parce que la règle permettant de le bloquer sous la semelle pour immobiliser les défenseurs contraint le/la porteur de balle à une meilleure maîtrise et un meilleur contrôle du ballon et le/la rassure. Ils/elles osent enfin s’approprier la maîtrise du ballon sans risquer de se le faire prendre immédiatement.
Le porteur de balle commence à prendre des informations sur ses partenaires et ses adversaires grâce au temps que lui donne l’immobilisation du ballon.
La combinaison des 2 règles (points de zone ET immobilisation maximum 5 secondes) permet ces transformations : meilleur contrôle et étagement.
Complexification possible.
Lorsque le ballon est immobilisé sous la semelle, les adversaires ne peuvent plus bouger sur un plan vertical (ni avancer ni reculer) pendant 5 secondes, mais ils peuvent se déplacer dans l’horizontalité (de droite à gauche d’une ligne de touche à l’autre, faire barrage).
Cela pose un nouveau problème aux attaquant-e-s, aux partenaires du PdB qui devront accélérer leurs déplacements, avoir un timing plus précis : se déplacer pour être le plus à l’aise possible dans l’espace libre avant que le défenseur ne vienne se positionner en barrage entre le PdB et lui. Ils/elles vont devoir réaliser un déplacement d’un côté (appel) puis un déplacement vers l’autre côté (contre appel) pour se démarquer du défenseur.
Là encore, j’utilise l’arrêt flash : j’insiste sur la capacité du PdB à faire la passe dans l’espace libre avant que son partenaire n’y soit totalement démarqué pour gagner du temps sur le défenseur. La passe se fait à un joueur en mouvement.
Caractéristiques du jeu en fin d’étape 1
Les joueurs sont collectivement étagés.
Ils/elles se déplacent face au PdB dans des espaces libres.
Ils/elles parviennent à contrôler le ballon pour favoriser la continuité du jeu vers l’avant.
Mais les défenseurs vont vite comprendre ce jeu, se déplacent vite dans le couloir de jeu direct et il va falloir investir la zone avant en largeur pour piéger les défenseurs.
C’est le moment de passer au niveau 2.
Les règles étape 2
– Pas de règle technique (ballon bloqué sous la semelle), mais points de zone.
– Jeu au sol, les passes peuvent être longues mais toujours en contact avec le sol.
– Règle supplémentaire : quand un joueur fait une passe vers l’arrière, le ballon ne peut être intercepté.
Par exemple, si un joueur passe le ballon dans la zone 3 à un joueur qui se retrouve bloqué et qui repasse le ballon en arrière à un joueur dans la zone 2, l’équipe obtient 2 points de zone (le ballon est arrivé momentanément en zone 3), mais pour obtenir des points de zone supplémentaires, il faudra amener le ballon en zone 4 en repassant par la 3 ou même en jouant directement une passe en 4.
Le fait de protéger les passes vers l’arrière favorise le fait que le nouveau PdB sera face au but adverse et aura une vision périphérique sur le jeu. Donc, comme les défenseurs vont se regrouper entre lui et le but, dans le couloir de jeu direct, il aura la possibilité puisqu’il est face au jeu de réaliser des passes en dehors du jeu direct.
Comment se transforme le jeu
Comme les points de zone sont favorisés et comme les défenseurs sont dans le couloir de jeu direct, pour faire avancer le ballon, la solution devient : jouer une balle sur la largeur avant de jouer vers l’avant.
Moins de pertes de balles
Au début, le jeu est maîtrisé vers l’avant, mais les défenseurs l’ont compris, il y a beaucoup de pertes de balle. C’est là que j’introduis le rapport entre le nombre de possession de balle par équipe et l’efficacité de la progression.
Je fais part des résultats aux élèves en pourcentage : le nombre de zones de progression par possession de balle.
Les élèves comprennent que chaque possession est importante, cela les questionne sur la nécessité de progresser vers l’avant tout en réduisant le risque de perdre la balle.
Les solutions se construisent avec les arrêts flash : lorsqu’il y a une succession de passes en longueur et en largeur, je siffle, ils s’arrêtent, je leur demande de décrire la séquence de jeu qui vient de se dérouler. Cela permet d’élucider une phase de jeu réussie et de construire progressivement les cheminements et des configurations de jeu.
Et on commence à voir un-e partenaire avancé-e, qui en cas de blocage va trouver un joueur en arrière, décalé (triangle) qui va lui même passer en avant à un-e autre qui arrive et qui est face au jeu, c’est à dire face au sens du jeu, donc face au but à attaquer.
Cette recherche du joueur/de la joueuse face au jeu est valable aussi au plus haut niveau.
C’est l’alternative de Guardiola : la succession de verticalité et d’horizontalité c’est à dire la verticalité pour progresser vers la cible et l’horizontalité pour trouver un joueur en déplacement face au jeu. Or il est très difficile de trouver des joueurs face au jeu ET en zone avancée.
Cette alternative permet la continuité des actions et de la progression du ballon tout en ayant un paramètre sécuritaire : le ballon progresse en limitant le risque de perdre la balle.
Les élèves se retrouvent ainsi à construire dans une situation donnée, à leur niveau, des constructions collectives, des coordinations entre eux/elles dont la problématique est finalement la même que celles des joueurs et des joueuses de haut niveau pour peu qu’ils, elles partagent cette conception du jeu.
Cet article est paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football