Devenir plutôt qu’être, choisir plutôt que subir. Stéphane Diagana invite à la compétition… mais sous surveillance ! Ainsi, il invite l’école à prendre ses responsabilités en la matière.
« J’ai découvert la pratique de l’athlétisme, il y a trente ans. La compétition a façonné ma vie, mon être, mon âme. Pourtant, si je suis venu à l’athlétisme en 1979, ce fut plus par plaisir de l’instant rêvé, que par rêve de futur doré. Dans ce contexte, ma rencontre avec la compétition tient plus de l’inévitable, dans un sport dont la racine étymologique grecque invite au combat (athlos), que de la vocation. J’y suis allé, sans attente, ni angoisse. Je gagnais sans ivresse et perdais sans détresse. La compétition était juste pour moi une occasion supplémentaire d’assouvir ma passion et le plaisir de courir. Cela a peut-être retardé mon accession au plus haut niveau, mais cela l’a peut-être rendu possible.
Le temps faisant, les choses ont évolué, la compétition est devenu un choix, l’envie de devenir, plus que celle « d’être » un champion, s’est muée en objectif. Ma vie a fini par s’organiser autour de la compétition. Devenir plutôt qu’être. Choisir, plutôt que subir. Tout est là. C’est pour moi ce à quoi invite sans cesse la compétition. L’esprit de compétition, c’est avant tout pour moi la volonté de s’affranchir d’une condition non désirée. Ses fidèles serviteurs s’appellent réflexion et travail.
Que peut-on y voir ainsi, si ce n’est une formidable école de vie ?
L’esprit de compétition c’est vouloir s’affranchir d’une condition non désirée.
En effet, qu’a donc fait l’homme depuis des millions d’années si ce n’est de réfléchir et travailler à s’affranchir (avec plus ou moins de sagesse et de réussite) de sa condition, animé par sa capacité unique à se projeter dans un idéal paradisiaque. Qu’elle fasse l’objet de la plus grande théâtralisation sous sa forme sportive ou qu’elle prenne la forme plus triviale d’un concours administratif, la compétition repose toujours sur un désir de liberté, sur un refus des frontières.
La compétition est co-substantielle à l’homme et à la vie. Elle est l’alpha et l’oméga du meilleur mais malheureusement aussi, force est de le reconnaître, trop souvent du pire. Pour autant, condamner l’esprit de compétition et la compétition elle-même serait aussi vain que de condamner le couteau d’un meurtrier.
L’adversité inhérente à la vie a rendu nécessaire l’émergence de l’esprit de compétition, c’est un bien précieux, c’est un outil essentiel dans le développement des hommes et des sociétés.
C’est un couteau, il revient à chacun d’entre nous de l’affûter et d’en faire bon usage. Pour ce faire, il est indispensable de dompter cet instinct naturel dont l’évolution a doté la vie. C’est à l’éducation de s’emparer de toutes les occasions pour donner un cadre et un sens social à cette énergie vitale. Plutôt que de céder à la tentation idéologique de vouloir amputer l’homme de sa jambe droite, cherchons ensemble à le doter, dans un souci d’équilibre, d’une jambe gauche toute aussi forte. Cette démarche doit s’inscrire le plus tôt possible dans le projet d’éducation.
Je crois que le sport est un outil formidable pour aller dans ce sens, si l’entraîneur ou l’enseignant ne perd jamais de vue qu’il est un éducateur. Le sport a l’avantage d’une forte attractivité vis-à-vis du jeune public. Il permet ainsi d’aborder très tôt l’éducation des comportements individuels et sociaux sur une scène qui théâtralise magnifiquement le goût du dépassement, tout en confrontant clairement les individus à un cadre éthique et réglementaire, dans lequel celui-ci doit s’exprimer.
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Je sais ce que je dois à la compétition. La reconnaissance, une situation sociale appréciable et à l’évidence nombre des conditions nécessaires à une agréable existence. Nous sommes tous sensibles au regard des autres et en ce sens la quête de médailles constitue pour partie une quête implicite de reconnaissance. Le sport m’a cependant appris à m’affranchir en grande partie de cela, me poussant à trouver en moi-même le sens de mes efforts. Il m’a appris à être un 4e heureux et un 3e déçu, dans l’incompréhension la plus totale de la plupart des observateurs. Il m’a permis de comprendre qu’il n’existait ni sport individuel, ni excellence individuelle. Cette dernière naissant inévitablement de riches coopérations. Il m’a appris à ne plus opposer ego et humilité. J’ai compris qu’il fallait accepter ces deux dimensions de l’être comme des forces. J’ai également compris que l’excellence de mes adversaires m’aiderait à m’approcher de la mienne. J’ai appris à admirer et à respecter ceux qui m’en semblaient dignes et à accepter les autres. J’ai su rejeter la haine et l’artifice au profit de l’exigence pour construire ma carrière… Ceci n’a été possible que grâce à mes parents et à mes entraîneurs qui n’ont jamais failli à leurs missions d’éducateur. Je ne leur serai jamais assez reconnaissant de m’avoir guidé sur ce chemin du succès.
Dans le quotidien l’esprit de compétition n’entrave en rien la solidarité, il peut la servir si celui qui le porte en fait un objectif. Le sport de compétition est un outil d’éducation puissant. Il n’est donc pas à mettre entre toutes les mains. En refusant toute notion d’éducation à la compétition dans l’enseignement de l’éducation physique, l’école risque de laisser à d’autres le soin de s’en charger pour le meilleur et pour le pire. Je pense qu’elle doit absolument éviter la politique de l’autruche et prendre ses responsabilités en la matière »
Article de Stéphane Diagana paru dans contrepied n°23 – mars 2009 – La compétition et l’EPS puis dans Contrepied HS N°20/21 – mai 2018 – EPS et Culturalisme