Ignace Meyerson est un psychologue français, créateur de la psychologie historique, dont il a établi les fondements théoriques. Il écrit en 1934, « les fonctions psychologiques et les œuvres ». Non une œuvre, ce n’est pas seulement l’œuvre d’art ! Le terme œuvre est utilisé pas le courant culturaliste pour parler des APSA.
Extraits
Les actes de l’homme aboutissent à des institutions et à des œuvres. Elles sont pour lui à la fois un objet essentiel, une norme, une cause de souci ou d’orgueil ; elles remplissent, sinon toute son existence, du moins cette partie de l’existence qu’il considère comme la plus authentiquement humaine et que toute science de l’homme doit considérer comme la plus spécifiquement humaine. Le psychologue sait que c’est par un effort de l’esprit que l’homme a édifié ces œuvres, et même uniquement par un effort de l’esprit, car les mains ont été guidées, l’outil construit, la matière modelée par l’esprit. Il sait donc que l’esprit de l’homme est dans les œuvres.
(…) L’action, la pensée humaine s’expriment par les œuvres. Cette expression n’est pas un accident dans le fonctionnement mental. L’esprit ne s’exerce jamais à vide ; il n’est et ne se connaît que dans son travail, dans ses manifestations dirigées, exprimées, conservées.
Les états mentaux ne restent pas états, ils se projettent, prennent figure, tendent à se consolider, à devenir des objets. C’est à cause de cette aptitude fondamentale, de ce trait constitutif de l’esprit que son étude objective est possible. Nous ne sommes pas réduits au vain effort de saisir l’insaisissable. Nous avons devant nous des formes précises. Nous avons même beaucoup de formes précises ; leur multiplicité et leur variété poseront un problème nouveau.
Ces formes ont une signification ou des significations ; ce sont des signes. Le trait fondamental de toutes les expressions humaines est que leur signification dépasse toujours le moment présent, la situation présente. Elles signifient toujours une tranche d’expérience ou de vie, un morceau d’histoire. Les signes à la fois marquent et fixent les phases de l’objectivation. Ils en traduisent les aspects et les particularités, ils dessinent ainsi l’histoire de l’esprit. Ils expriment aussi la communauté de l’effort humain. Si l’aptitude à créer une œuvre implique un niveau, toute expression suppose la communication. Mais la communication elle-même est un niveau, et tous ses modes présentent des problèmes de niveau. Ainsi toute institution traduit un degré de l’esprit. Le signe pose devant nous, dans toute son ampleur, le problème des interactions de l’esprit et du social, de l’expérience sociale.
Ses créations, l’homme les veut durables et même perdurables. Il veut, il a toujours voulu faire des œuvres qui le dépassent en durée, en solidité, en dimension, en valeur, en intensité, en force et productivité. Il a dès l’origine voulu et fait la civilisation. Il a posé comme éternelles les valeurs essentielles et il a fait garantir par ces valeurs la durée et Immutabilité des autres ; qu’on pense à l’origine et au caractère sacrés attribués au langage, aux codes et aux tables de lois, et même aux inventions techniques.
(…) Enfin, le souci de transmettre. Les œuvres et les institutions, les valeurs, ne sont pas seulement conservées, elles sont expressément transmises par des actes solennels ; même les techniques font l’objet de rituels d’initiation.
(…) Objectivation, symbolique, civilisation : c’est ainsi que s’est présenté pour nous l’essentiel de l’effort traduit par les œuvres. Il faut saisir cet effort dans sa plénitude concrète et dans son devenir. Pour savoir ce que l’homme est, il faut voir ce que l’homme a fait, et ce qu’il a fait de meilleur.
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018