Le grand écart, une figure qui a de l’avenir…

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Christian Couturier 1, en conclusion du Dossier n°5 sur les JOP 2024, pose la question de l’héritage et de l’EPS et rappelle qu’un investissement dans l’éducation, au regard des sommes investies, serait tout à fait possible… question de choix politique !

Ce dossier ne concerne pas directement l’EPS… mais comment ne pas penser, quand même, à l’EPS ?

Les JOP arrivent. La campagne médiatique s’intensifie pour en faire une « fête populaire » comme le clame Tony Estanguet. Du monde, il y en aura, mais du « peuple », sans doute pas, vu ce qu’il faudra débourser. La campagne a comme fonction de gommer tout ce qui pose problème et qui est rappelé dans ce dossier par les différentes contributions. Mais ça fait beaucoup, tous les articles convergent vers des critiques puissantes… le CIO le sait depuis longtemps et a dû inventer cette idée d’héritage : on vend l’après pour faire supporter l’avant et le pendant. Ingénieux. 

En attendant, une fenêtre médiatique s’est ouverte l’an dernier dans laquelle s’est engouffré le SNEP-FSU pour mener une campagne sur le besoin de 4h d’EPS pour tous et toutes. Pour créer un courant d’air, cette fenêtre doit rester ouverte le plus longtemps possible. Car quelle autre organisation porte aujourd’hui une ambition sportive, concrètement, pour toute la jeunesse ? Aucune.

Ce qui est le plus frappant, le plus choquant, le plus insupportable dans la façon dont le gouvernement organise sa campagne, c’est le grand écart entre la valorisation des JOP et tout ce que ça comporte en terme d’investissements : financiers bien sûr mais au plan sportif et donc humain, le niveau de contraintes que ça nécessite pour les sportifs et sportives pour se développer et pouvoir rivaliser avec d’autres, et le niveau d’exigences que l’on met en avant pour tous et toutes, où « bouger 30mn » est devenu en quelques mois le nec plus ultra de la politique pour l’école.

Bien sûr les propagandistes de cette vision diront que « c’est toujours mieux que rien ». Certes. Mais comment ne pas s’offusquer d’un côté du coût exorbitant d’un évènement aussi intéressant soit-il, et le niveau zéro de celui qui représente aujourd’hui le fleuron de l’action publique en matière d’éducation sportive ? (le coût principal d’ailleurs dans le « bouger 30mn » est celui des boîtes de comm…)

Notre ministre des Sports, passée quelques jours à l’Education Nationale, rappelle régulièrement dans les médias que le dispositif ne s’arrête pas là mais que dans le second degré, ils ont rajouté « 2h de sport » en plus ! 

Comment ne pas être là encore, indignés ! Car la publicité ici devient mensongère. Parlons chiffres. L’INJEP a publié en janvier une étude qui conclue que pour ce dispositif, uniquement proposé sur la base du volontariat, il faut le rappeler, « 9 volontaires sur 10 sont déjà impliqués dans des activités sportives en dehors de l’EPS ». En clair cette mesure touche dans les 500 établissements approximativement répertoriés, le ministère en vise 700 (il y a en France 6980 collèges), les élèves concernés étaient déjà dans des dispositifs existants localement. Enfin, cette mesure touche, en étant large, moins de 100 000 élèves contre 5,6 millions inscrits en collège en France… Autant dire que cette goutte d’eau devrait faire déborder le vase de toutes celles et ceux qui ont l’éducation populaire au cœur.

Restons sur la question des coût pour évaluer les grands écarts auxquels se livre le pays. Le passage à 4h d’EPS pour tous et toutes, du primaire au lycée, a été chiffré par le SNEP à environ 800 millions d’euros (essentiellement en postes d’enseignant-es). Pour environ 12 millions d’élèves qui seraient tous impactés par la mesure : plus 1h par semaine en primaire et collège, plus 2h en lycée (période où la chute de la pratique physique est importante). Le coût global estimé pour les JOP se situe autour de 11 milliards d’euros dont plus de 5 de dépense publique. Le budget du COJO se situant autour de 4,4 milliards.

Donc tout bien pesé, une augmentation significative du temps d’enseignement (et non simplement « bouger ») de l’EPS pour tous et toutes est loin d’être un investissement hors de portée pour un pays comme le nôtre.

Cet étalage de chiffres n’implique pas un choix entre l’un ou l’autre, nous aurions pu prendre comme repère les cadeaux faits aux entreprises qui laissent rêveurs… En 2019, 157 milliards d’argent public d’aide aux entreprises, chiffres de l’IRES. En 2023 la Cour des comptes estime à 260 milliards le soutien financier total. Ces ordres de grandeurs affichent un fait indiscutable : le gouvernement se fiche éperdument du bien-être « physique » de la population. On s’en doutait, mais ça va mieux en le disant. 

Mais, insistons sur ce « mais » tant la tendance naturelle est d’occulter la complexité, comment ne pas voir « en même temps » dans les JOP l’extraordinaire aventure humaine qu’ils constituent. Les quelques 4 milliards de téléspectateurs ne s’y trompent. Si ce n’était qu’un simple spectacle, il n’y aurait pas autant de monde. En fait la fascination pour l’expression des capacités humaines nous renvoie à des imaginaires multiples : la coopération, l’altérité, le jeu, l’effort, le dépassement de soi… Le possible et l’impossible deviennent alors les fondements d’une dramaturgie. Comme au théâtre, un lieu, des personnages, un début, une fin. Autant de choses qui ont à voir avec l’éducation. Au regard de l’histoire, et de la permanence des JO auxquels on a rajouté le P, contre vents et marées, montrent à l’évidence que l’héritage est d’abord éducatif. Que notre vision de l’évènement soit positive ou négative ou les 2, éduquons !

Texte issu du Dossier n°5 « Avenir de l’EPS » édité par le Centre sur les JOP 2024

  1. Membre du bureau du Centre EPS et Société

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