Pour le numéro « EPS et Culturalisme » (2018), Jean Lafontan1 est revenu sur les rapport Ecole/Hors-école, rappelant que ce sujet est toujours présent dans les réformes scolaires. Il revient ici sur beaucoup d’idées reçues, en reprécisant les enjeux.
L’école est l’enjeu d’une lutte permanente entre diverses forces qui tentent de l’instrumentaliser selon leurs propres intérêts au détriment de sa mission d’intérêt général. Cette conflictualité s’étend jusqu’à entraîner des confusions, mettant en péril son rôle spécifique.
Du point de vue de notre histoire syndicale, l’EPS a eu à affronter une concurrence organisée par les ministres successifs de l’éducation, qui diffusèrent (et diffusent) l’idée, qu’au nom de la culture sportive, cet enseignement devait être co-partagé avec le mouvement sportif. C’est le débat des CAS dans les années 70 et celui durable autour des rythmes scolaires. Est-il possible d’envisager une circulation des savoirs entre milieux porteurs d’expériences culturelles différentes ? Un intérêt commun peut-il être dégagé ?
Les ministères successifs, depuis les années 60, ressassent l’argument de la nécessaire liaison entre le scolaire et le hors scolaire, notamment sportif (clubs) : rythmes scolaires, extrascolaires nombre d’initiatives, toutes plus ou moins avortées. Généralement, le premier degré a été le champ expérimental ; les tentations dans le second degré, après 1981 ont été principalement guidées par un souci de compression des dépenses publiques (limitation des postes aux recrutements, appel à des contractuels). Alors, impasse des débats entre secteurs rendus concurrentiels ?
Rythmes et arsenal idéologique
Les arguments pour défendre les réformes sur les rythmes sont de plusieurs ordres. Celui d’une école publique inefficace (échec scolaire durable, éducation tronquée, trop d’école, manque d’ouverture sur la vie…) qui aurait besoin de partenaires (associations, CT) à qui peu d’exigences sont imposées. Celui de « l’intérêt de l’enfant », expression fétiche (nettement plus émotionnelle que « écolier » ou « élève », termes jamais utilisés) dont les opposants sont d’incontestables conservateurs.
Et tout un arsenal idéologique autour de termes rarement définis : complémentarité, continuité éducative, temps global de l’Enfant, accompagnement éducatif, responsabilité partagée, permettant de justifier à peu de frais des « rythmes », tantôt scolaires, d’apprentissage, chrono-biologiques ou naturels.
Les rythmes contre l’ambition scolaire
Qu’ont apporté ces initiatives ? Les bilans existants concluent à des changements d’ambiance, d’attitudes sans rien noter sur l’évolution des résultats scolaires, alors même que les réformes sont faites au nom de la réussite scolaire.
Par contre, on peut constater que les rythmes scolaires sont toujours contemporains de décisions plus importantes concernant l’école. Avec la décentralisation (début années 80), ce fut une tentative de reporter le poids de l’Ecole sur les collectivités territoriales. Avec la loi Peillon et ses PEDT, les rythmes ont permis de faire croire qu’on se préoccupait de l’École, sans re-augmenter le temps scolaire diminué par Darcos.
Au final, les rythmes, avec l’idéologie de « l’éducatif partout » visent surtout à installer l’idée que l’école n’a plus, seule, cette responsabilité non pas de l’éducatif, mais de l’instruction et, pour l’Etat, son financement. Une telle orientation, non seulement active l’appétit associatif, mais va bien au-delà : elle ouvre les portes de tout un secteur privé commercial voire religieux ou sectaire qui procède déjà à ses expériences.
Pour l’EPS, trois constantes dans ces initiatives : une tentative de sortir l’EPS de l’école en déportant son enseignement vers des structures hors scolaire (clubs) ; une dénaturation du sens de l’EPS, soit assimilée à un enseignement sportif ou à une animation sans contenu ; un refus de l’évolution des horaires d’EPS et une mise en cause des qualifications.
Cela évite de repenser des réformes ambitieuses pour le service public d’éducation : scolariser jusqu’à 18 ans, repenser les contenus d’enseignement, les qualifications des personnels et l’organisation des cursus et des structures en connexion avec une autre vision de la société.
Quels partenaires de l’école ?
Trois acteurs sont présentés comme incontournables au ministère de l’éducation nationale : le ministère des sports, le mouvement sportif et le potentiel associatif local, les communes. D’ici peu, il faudra y ajouter le privé.
Le Ministère des sports,
Véhiculant une vision de l’EPS pensée comme propédeutique à l’engagement sportif, il a toujours agi, jusqu’en 1981, afin de « sportiviser » son enseignement. A partir de 1981, la stratégie a quelque peu changé mais est restée campée sur cette vision que le hors école est le carburant de l’école. La perspective de 2024 suractive cette option.
Le mouvement sportif
Confronté à la concurrence de nouvelles formes de pratiques et d’engagement qui éloignent de nombreux jeunes de la pratique sportive et des clubs, il souhaite faire de l’EPS son vivier de pratique (ce qui paraît normal) ce qui l’incite à garder un œil conquérant sur les programmes2. Pour cela il s’est engagé dans la voie du conventionnement avec le MEN, particulièrement bienveillant, de notre Inspection Générale (qui par ailleurs désportivise les programmes) visant à installer un partenariat durable pour pénétrer dans l’école.
Les collectivités territoriales
Depuis les premières lois de décentralisation (1982), leur rôle s’est accru en se substituant à l’État, non sans conflits, sur les grands dossiers économiques, sociaux, culturels, scolaires et sportifs. Les énormes différences de développement entre les communes rendent ce levier particulièrement inégalitaire pour traiter durablement des réformes, se réclamant de la démocratisation.
Aucun des secteurs, public, associatif, ne détient un quelconque monopole en matière de création, d’innovation, d’adaptation fonctionnelle. Loin de nous la croyance que la formation des jeunes passe par une voie unique, l’école. Mais si la question de la lutte contre les inégalités sociales est fondatrice de contenus émancipateurs, alors n’oublions pas que c’est le facultatif qui est le plus discriminant dans l’accès de toutes les couches sociales, des filles et des garçons, des milieux urbains et ruraux aux pratiques sportives. La question centrale demeure bien que l’école est la seule partie qui soit constituée autour d’une triple exigence : obligatoire pour tous, dispensant une formation commune, garantie par la qualification de ses personnels.
Fonder autre chose ? Quelle alternative ?
Les quatre acteurs identifiés ont des visions, des missions, des qualifications, et des modalités didactiques et pédagogiques spécifiques. Si l’on dit que l’enjeu est la lutte contre les inégalités d’accès à la culture sportive, la démocratisation doit être leur dénominateur commun
Cette démocratisation se décline en trois options :
La démocratisation liée à l’obligatoire (école)
Tous les jeunes sont concernés, c’est le pari du « tous capables » lié au service public de l’Education nationale. Le public est captif et l’impératif de faire réussir tous les jeunes est son défi majeur.
L’école a sa spécificité : elle s’adresse à des écoliers (un écolier est différent d’un enfant), dans des processus d’apprentissage fixés par des programmes, encadrés par des enseignants et engagés dans des pratiques omnisports, sur une durée limitée ; cela suppose des horaires suffisants (5 heures hebdo souhaitables), des qualifications, des installations, des programmes, c’est-à-dire un plan de développement de l’EPS qui doit donner corps à ces exigences. « L’Héritage des JO 2024 » devrait être élaboré dès à présent à partir de ces exigences.
Le sport scolaire fait partie de l’école et elle est son lieu naturel de développement. C’est le gage de sa prospérité. Il doit se développer dans le primaire, sur une base volontaire, avec des enseignant·e·s, doté-e-s de moyens adéquats (décharges par exemple). L’UNSS devrait en être un référent.
La démocratisation dans la perspective du sport de masse
Ici, cette démocratisation est liée à l’activité des fédérations et clubs qui cherchent à diffuser leurs spécialités sportives, à intégrer les pratiquants hors clubs et des nouvelles « pratiques libres3 ». Le CNOSF et les fédérations ont déployé de nombreux efforts pour assimiler ces nouveautés.
Les clubs ont leur spécificité : ils s’adressent à des personnes volontaires, ayant choisi une pratique spécialisée4, aidés en cela par des entraîneurs, dans une perspective de performance (dans le cadre fédéral, corporatif ou de loisirs), sur une durée souvent pluriannuelle pour celles et ceux engagés dans des compétitions régulières.
La démocratisation « sport pour tous »
liée à l’explosion des diverses pratiques, hors associatives et fédérales, nécessitant des ajustements pour les installations afin d’éviter la concurrence et les conflits avec les clubs. Elles peuvent être autogérées ou en connexion avec des politiques municipales ou privées.
Ces deux dernières démocratisations doivent relever de services publics du sport, avec un rôle particulier des communes pour le « sport pour tous ».
Pour la commune, deux possibilités se présentent :
- Développer une action omnisport, avec des animateurs ayant un statut établi. Son objectif est le développement du sport, sur une base volontaire, dans tous les secteurs de la ville et à l’intention de tous. L’enjeu est que tout enfant (et au-delà chaque citoyen-ne) qui veut pratiquer un sport (avec le projet qui est le sien) puisse le faire.
- Déléguer aux clubs une mission de service public, sur la base d’exigences claires.
La commune doit s’investir dans l’école pour les seules missions qui lui incombent, mais en aucun cas, combler les insuffisances de l’Éducation Nationale.
Les figures d’enseignants, d’animateurs et d’entraîneurs sont des figures types. Un enseignant bénévole dans un club peut devenir animateur ou entraîneur ; un entraîneur peut être animateur.
Les acteurs étant identifiés comment penser leurs réciprocités et quel crédit accorder aux notions telles que complémentarité, continuité éducative, mise en cohérence, partage et mise en commun.
Mise en cohérence, mise en commun ?
Cette exigence est-elle nécessaire ? La question essentielle reste de savoir qui fait quoi ? comment ? À quelle fin ? Si des convergences sont visées elles doivent être menées en gardant l’appartenance à des entités distinctes. La réalisation d’actions guidées par un objectif commun, la lutte contre les inégalités dans chaque champ, doit se décliner dans la spécificité des actions de chacun des protagonistes : réussite scolaire pour l’une (école), accès de tous et toutes aux pratiques (associatif et municipal) excellence (club); la réalisation successive de ces trois objectifs inscrit le jeune dans une dynamique qui le confronte aux exigences qu’il a à assumer, dans chacun des champs et nécessaire à son propre développement.
La complémentarité
Cette notion présuppose que l’incapacité des uns trouve, heureusement, son complément dans la capacité des autres.
Les trois acteurs école, commune, club, peuvent être confrontés à des problèmes comparables, sans que les réponses apportées soient identiques
Les trois acteurs école, commune, club, peuvent être confrontés à des problèmes comparables, sans que les réponses apportées soient identiques car elles dépendent des organisations politiques et sociales qui les commandent avec les obligations qu’elles induisent.
La continuité éducative
En quoi chacun des secteurs de la société civile doit-il se conformer à une injonction de continuité ? L’école, justement, n’a-t-elle pas été fondée sur la rupture d’avec la société, justement pour garantir l’égalité de réussite ? Cette continuité ne conduit-elle pas à une scolarisation de l’associatif, vite réduit, au rôle d’appendice, voire de supplétif, de l’école. L’issue est bien le risque d’une uniformité, mais l’uniformité contribue-t-elle mieux que la diversité, la controverse, à la coopération et à la formation de citoyens ?
Besoin d’une structure d’élaboration du commun
Il ne s’agit pas de faire du commun a priori mais , tout au contraire, faire le pari que les spécificités et différences créent les besoins de coopérations à partir du dynamisme des uns et des autres.
Il ne s’agit pas de faire du commun a priori mais , tout au contraire, faire le pari que les spécificités et différences créent les besoins de coopérations à partir du dynamisme des uns et des autres. Elle doit être souple et rassembler des personnes de chacune des structures et fonctions pour examiner les questions d’intérêt commun, qui peuvent être des questions de formation, de contenus, de moyens etc., dont la finalité est de faire avancer chacun sur ses propres pratiques. Cette structure, à l’aune de l’exigence commune de démocratisation, doit pouvoir s’auto-organiser, explorer pour chacun et ensemble, les types de difficultés, de solutions explorées, des voies et moyens d’avancer.
Les relations entre acteurs doivent être construites au niveau local, à partir des questions nées des pratiques elles-mêmes.
Enseignants, animateurs et entraîneurs doivent se rencontrer, sachant qu’un enseignant bénévole dans un club devient animateur ou entraîneur et qu’un entraîneur peut être animateur.
Enseignants, animateurs et entraîneurs doivent se rencontrer, sachant qu’un enseignant bénévole dans un club devient animateur ou entraîneur et qu’un entraîneur peut être animateur. L’intégration de perspectives communes n’est ni confusion, ni dissociation. Il faut socialiser, fédérer les problématiques et non les solutions, viser l’appropriation par les jeunes de la culture dans la perspective esquissée par Aragon, « rendre la culture d’hier au peuple et créer avec le peuple la culture de demain ».
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018