L’éducation, entrée dans la culture

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Jerome Seymour Bruner  (1915-2016) est un psychologue américain. Dans les années 50-60,  il fut l’un des pionniers de la réflexion sur l’activité cognitive, se démarquant du béhaviorisme d’un côté mais également du courant cognitiviste de l’époque qui assimilait le fonctionnement du cerveau à celui de l’ordinateur. Il est devenu une référence centrale pour le courant culturaliste, notamment grâce à son livre : « L’éducation, entrée dans la culture » d’où sont extraites ces lignes. Edition Retz. 1996

Extraits :

(…) Cela nous amène à une seconde approche de la nature de l’esprit humain que nous appelons culturalisme. Elle puise son inspiration dans cette constante de l’évolution qui veut que l’esprit ne puisse exister en l’absence d’une culture. En effet, l’évolution de l’esprit des hominidés est liée au développement d’un mode de vie où la réalité est représentée par un symbolisme commun à tous les membres d’une communauté culturelle, au sein de laquelle le mode de vie technico-social est à la fois organisé et interprété selon les termes de ce symbolisme (…) Ce qui compte, c’est que la signification fournit une assise à l’échange culturel. De ce point de vue, savoir et communiquer sont, par nature, éminemment inséparables. Même si l’individu semble mener seul la quête de sens, nul ne peut y parvenir sans l’aide des systèmes symboliques.

(…) La tâche du culturalisme est double : d’un point de vue macro, il considère la culture comme un système de valeurs, de droits, d’échanges, d’obligations, d’occasions de pouvoir… D’un point de vue micro, il étudie comment les exigences du système culturel affecte ceux qui doivent évoluer dans ce système.

(…) Les cultures ne sont pas seulement un ensemble de gens qui ont en commun une langue et des traditions historiques. Elles sont faites :

  • d’institutions qui déterminent rôles et statuts,
  • un système d’échanges très élaboré où ont cours des monnaies aussi variées que les égards, les liens, la fidélité, les services,
  • les systèmes d’échange sont légitimés par un appareil symbolique complexe tels que les mythes, les statuts, les coutumes, les manières de parler et de penser.

Une culture se présente comme un réseau de significations, représentations communes. Sans construction de la signification, il n’y aurait ni langage, ni mythe, ni art, ni culture. Dès la naissance nous nous intéressons à la façon dont nos congénères s’intéressent au monde : leurs états mentaux, leurs représentations… Non seulement nous prenons part à l’esprit d’autrui, mais nous avons une manière super-organique de conserver le savoir accumulé dans le passé. Il semble que nous institutionnalisions le savoir dans le folklore, les mythes, les archives historiques, dans les bibliothèques, dans les constitutions, sur les disques durs des ordinateurs. C’est un phénomène troublant mais le savoir entreposé, saturé, non seulement d’informations mais de prescriptions quant à la manière d’y faire appel, finit par donner forme à l’esprit.

Au bout du compte, tandis que l’esprit crée la culture, la culture donne forme à l’esprit.

Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018