En guise de présentation de cette production originale, donnons d’emblée la parole à l’auteure, Jacqueline Marsenach !
Le texte qui suit est un retour sur des travaux anciens pour faire part de l’impression actuellement ressentie, celle d’une énorme déperdition des avancées qui ont pu avoir lieu, à un moment donné, tout se passant comme s’il n’y avait pas de cumulation avec la recherche du dépassement de ce qui a déjà existé, mais la survalorisation de thèmes momentanément à la mode, focalisant toutes les discussions et réflexions.
Les travaux sur lesquels je m’appuie s’échelonnent de 1970 à approximativement 2000. Ils couvrent essentiellement mon entrée dans les sciences de l’éducation et ma thèse, mon implication, au plan national, dans la formation professionnelle continue des enseignants d’EPS et ma nomination (en 1983) à l’INRP dans le département de recherches en didactiques des disciplines.Ce retour sur des travaux anciens a voulu éviter le risque du « c’était mieux avant » et se contentera donc d’un compte-rendu synthétique le plus objectif possible de ce qui a été fait pour le verser dans les réflexions actuelles.
On ne peut parler d’EPS discipline scolaire sans tenter de définir ses visées et ses contenus. C’est ce que nous tenterons de faire dans un 1er point. En effet, l’EPS ne dispose pas d’un programme de notions et connaissances à faire acquérir aux élèves. Nous tenterons néanmoins d’en profiler les contours même si sur ce point, le consensus n’est encore pas acquis.
Le 2ème point se centrera sur la formation professionnelle continue qui représente pour nous le maillon stratégique de la formation des enseignants d’EPS, mais aussi de l’évolution de la discipline.
Nous ne traiterons pas de la formation initiale que nous pensons bien sûr indispensable parce que nous n’avons pas été suffisamment impliquée dans ce domaine.
Ces réflexions et les propositions qui s’ensuivent reposent sur des analyses de ce que font les enseignants avec l’utilisation d’enregistrements audio et vidéo en situation d’enseignement réel. Cette obsession d’aller voir au plus près des pratiques effectives m’apparaît, encore aujourd’hui, comme déterminante, les pratiques pédagogiques étant rarement analysées in situ et pour ce qu’elles sont ; on préfère, en général, dire ce qu’il faudrait faire, à partir d’une idée du bon enseignement dont chacun est porteur, construite à partir d’expériences personnelles et d’une pédagogie idéale. Y. Chevallard le dit de façon radicale en affirmant que « les réalités existantes en matière d’enseignement apparaissent inintéressantes et ne sont généralement convoquées qu’à titre de repoussoir de la pédagogie idéale qu’il s’agit de penser et de réaliser ».
L’EPS : une discipline scolaire
A. Chervel souligne qu’à partir du 19éme siècle une discipline scolaire « vise non seulement l’acquisition de connaissances mais aussi le développement de capacités de jugement, de raisonnement, d’inventions ». L’Éducation est alors conçue : « comme la combinaison de l’acquisition de connaissances avec une formation et un développement personnel ». L’utilisation du mot élève, poursuit-il, au sens strict de celui que l’on élève remplace celui d’écolier. On enseigne à un écolier mais on éduque un élève. Notons encore que le terme « élève » n’est utilisé que pour une classe d’âge : les 6/17 ans, l’enseignement postbac se déroulant avec des étudiants.
On enseigne à un écolier mais on éduque un élève
L’EPS discipline scolaire ne peut donc se limiter à l’enseignement : apprentissage des APSA mais vise aussi explicitement à développer les élèves confrontés à ces pratiques.
Dans cette perspective nous avons toujours tenté d’être une discipline scolaire au sens que donne A. Chervel à l’expression. L’éducation est alors conçue comme la combinaison de l’acquisition de connaissances avec une formation et un développement personnel. L’EPS n’est pas seulement l’enseignement/apprentissage d’une matière (pour nous les APSA) mais vise aussi à développer les élèves de façon problématisée et systématique.
On souligne souvent les particularités de l’EPS discipline scolaire, arrimée aux STAPS (sciences et techniques des activités physiques et sportives associant des pratiques sportives, des disciplines scientifiques et une formation professionnelle) et non à une discipline universitaire au sens strict du terme. P. Perrenoud insiste cependant sur le fait que toutes les disciplines dépassent les savoirs à acquérir pour y ajouter « des compétences, des postures physiques ou intellectuelles, des attitudes, des valeurs, des pratiques etc. » pour conclure que « les disciplines sont des ensembles flous et mouvants ».
En France, nous avons, à la suite de Demeny, une longue tradition d’EP au sens où l’on fait des mouvements ou des activités dans l’objectif, certes de les faire correctement mais aussi de développer et d’améliorer un certain nombre de capacités fondamentales.
Cela a été le cas en 1967, date d’instructions officielles de rupture, qui exigent du prof de gym de viser l’acquisition de savoir-faire des différentes pratiques sportives et artistiques mais lui demandent aussi de se préoccuper explicitement du développement de capacités générales.
Cette orientation a été bien formulée par R. Delaubert, Inspecteur Général, dans sa présentation des IO de 1967 : « considérer le sport comme un moyen privilégié en justifiant cette place par une analyse précise des rapports qui apparaissent entre la pratique sportive et les progrès d’un développement organique et moteur de l’enfant et de l’adolescent ».
Les mises en œuvre ont fait émerger des problèmes
Le choix des APSA
Le premier concerne le choix des APSA que l’on va proposer aux élèves dans les séances d’EPS. La tendance dominante toujours présente étant celle de la modernité (activités nouvelles).
Cette question, très importante, mérite qu’on s’y arrête. Même si on peut comprendre que, sous la pression, les enseignants informent les élèves sur ces activités, un choix mieux fondé s’impose. Un certain nombre de critères nous sont donnés par la notion d’œuvre :
- la pérennité : une œuvre est une création de l’esprit humain qui se retrouve tout au long de l’histoire, gardant ses caractéristiques fondamentales même si les formes changent.
- la totalité : c’est tout l’être humain qui tend à s’objectiver et à se projeter dans une œuvre
- nous ajoutons qu’une œuvre enseignée à l’école doit être compatible avec les valeurs de l’école et disposer d’analyses, de formalisations qui la rendent intelligible et enseignable.
Si l’on tente d’appliquer ces critères aux différentes pratiques sportives, il nous semble qu’il faut choisir celles qui s’enracinent dans l’histoire. Ici les travaux de B. Jeu et notamment « le sport, l’émotion et l’espace » sont particulièrement utiles parce qu’en mobilisant ces critères, l’auteur démontre la pérennité non de leur forme mais de leur signification.
Nous ajoutons que pour être enseignable, une APSA doit disposer d’études, d’analyses auxquelles l’enseignant va pouvoir se référer (critère qui rend particulièrement problématique l’enseignement des APSA nouvellement crées).
Ce que l’on va enseigner dans une APSA
Le 2ème problème concerne le choix de ce que l’on va enseigner dans une APSA. La plupart des propositions (et elles ont été nombreuses autour des années 80) proposent de permettre aux élèves dans le temps restreint de l’école de se confronter aux problèmes fondamentaux de chaque APSA.
Ainsi A. Catteau en natation, propose pour l’école deux objets d’étude : le plongeon de départ et le crawl parce qu’ils permettent aux élèves d’être confrontés à l’ensemble des problèmes fondamentaux de la locomotion humaine dans l’eau .
En sports collectifs, l’accent est mis sur les choix que doivent faire les élèves devant la complexité du jeu. Les propositions didactiques s’attachent alors à des modélisations du jeu, facilitatrices du recueil d’informations.
La référence aux techniques constitue le 3ème problème.
Les techniques corporelles, d’après G.Vigarello « correspondent à des manières de faire, des procédés visant l’efficacité ; un ensemble de repères stables permettant répétition et affinement de l’action ». Cette 1ère définition est bien illustrée par un certain nombre d’ouvrages techniques dans lesquels des entraîneurs (parce que, dans la plupart des cas, ce sont les auteurs de ces ouvrages) décrivent ce que les pratiquants doivent faire pour réussir. Mais G.Vigarello poursuit : la technique : « est un ensemble de constructions ou de stratégies motrices susceptibles de perfectionnement ». Ces deux niveaux emboîtés nous semblent indissociable. Cependant, il impose un programme de recherches techniques peu développé actuellement, compliquant, de ce fait, le développement de l’EPS.
Diversité des APSA et cohérence de l’EPS
Un dernier problème doit être évoqué : celui de la cohérence de l’EPS au travers de la diversité des APSA pratiquées. Les discussions autour des classifications des APSA, nombreuses et vives autour des années 70/80 témoignent de ce souci de cohérence.
Résumons l’enjeu du débat : la recherche d’un dépassement de la juxtaposition des pratiques au profit d’une coordination en vue du développement le plus complet possible des pratiquants. Dans cette perspective, différents auteurs ont recherché une unité en envisageant chacune d’entre elles d’un point de vue dominant : une dimension du développement et en les combinant dans un programme.
Ces tentatives ont donné lieu à de vives polémiques théoriques mais ont eu peu d’impact sur les pratiques enseignantes ; la raison étant vraisemblablement la diversité des situations d’enseignement tant au point de vue des installations disponibles, que des élèves et des équipes d’enseignants.
Comment ça marche ? Quelles perspectives d’évolution ?
Nous nous fondons, pour la description de l’enseignement usuel de l’EP, sur le décryptage d’enregistrements vidéo de séances d’EP.
L’enseignant d’EPS est un animateur
L’enseignement de l’EPS, comme pour les autres disciplines est un enseignement verbal et la démonstration, au centre de l’enseignement à un moment donné, n’est qu’un lointain souvenir.
Notons d’abord le grand nombre de communications verbales bien qu’existent des différences individuelles.
Nous schématisons ci-dessous les résultats obtenus, en gommant les différences individuelles pour faire apparaître nettement les traits essentiels.
- L’enseignant d’EPS est un animateur. Après une présentation souvent assez courte de ce qu’il va falloir faire, les élèves entrent rapidement en action. Ce primat de l’animation est une constante dans notre histoire et être bon en pédagogie c’est essentiellement être un bon animateur, qui sait maintenir dans sa classe « une ambiance tonique et joyeuse ».
- L’enseignant d’EPS enseigne essentiellement en corrigeant les tentatives en acte des élèves, et souvent de chaque élève, lorsque le dispositif (par exemple la colonne) le permet.
- Ces corrections en direct et rapides présentent quelques caractéristiques ; elles se réfèrent à un modèle gestuel de la technique et elles portent essentiellement sur les parties mobiles des actions des élèves (les bras et les jambes)
La tendance lourde est de faire que les élèves entrent en action le plus rapidement possible, de maintenir un climat dynamisant, d’observer les élèves et de les corriger. Cette façon de faire a des avantages : l’ambiance est tonique, la quantité de travail est constamment maintenue et chaque élève est conseillé. Mais les interventions restent enfermées dans ce que font les élèves dans l’ici et maintenant et donc centrées sur l’action immédiate.
L’inconvénient est que la création de ce climat a des conséquences sur les apprentissages qui en restent à la forme extérieure et immédiate des actions à réaliser ou plutôt des gestes à copier. En outre le modèle mis en perspective rassemble le plus souvent quelques traits des pratiquants au plus haut niveau et est donc inadapté. (on peut encore retrouver quelques traits du technicisme). Ces caractéristiques constituent une tendance plus ou moins présente chez chaque enseignant, selon l’APSA et selon les circonstances.
Cet état des lieux nous permet d’affirmer que ce 1er temps, est indispensable à nos yeux. Il confère à l’EP ses caractéristiques propres ; il plaît aux élèves et plus fondamentalement il leur permet, en acte, d’accéder à un 1er niveau d’appropriation technique. Il constitue pour nous, une des spécificités de l’EPS. Mais il doit être dépassé parce que l’EPS, discipline d’enseignement, vise aussi par cette même pratique la transformation des pratiquants aux différents plans de leur personnalité.
Il nous semble que c’est là que se trouve le problème majeur : comment dépasser cet enseignement usuel et le faire évoluer ? Comment faire passer les élèves de la recherche d’une conformité avec quelques caractéristiques des principaux gestes de l’APSA pratiquée à un système plus complexe de relations ? Cela exige de dépasser les simples réactions à la situation présente en relevant d’autres indices mais surtout en effectuant des déductions, des interprétations et in fine en prenant conscience de sa propre manière de fonctionner.
Nous relatons ci-dessous ce que nous avons tenté avec un certain nombre de classes, conscients cependant que les solutions n’ont pas encore été trouvées. Nous rejetons notamment les procédures qui consistent, sous prétexte de faire réfléchir les élèves, à organiser de longs moments de discussion.
Comment faire ? Rappelons le 1er temps incontournable, à nos yeux : l’apprentissage par le faire d’un certain nombre de règles motrices indispensables pour réussir. Ainsi avec une classe de 6ème, en cycle volley, l’enseignante régule les interventions sur la balle en conseillant de se placer sous la balle comme pour faire une tête, de placer vite les mains au-dessus de la tête, d’écarter les doigts paumes vers le ciel etc.
Enseigner la possibilité d’actions complexes
Dans le 2ème temps, pour lequel nous pensons que les solutions pédagogiques n’ont pas encore été trouvées, il s’agit de passer de ce concret immédiat à un système plus complexe de relations. Le but est d’ouvrir aux élèves des possibilités d’action plus nombreuses, moins immédiates et de portée plus lointaine.
…faire évoluer les élèves d’un faire intuitif à un effort de pensée permettant de dépasser les simples réactions.
Par exemple, en sports collectifs, au temps et à l’espace visibles et immédiats doivent se substituer un temps et un espace mental où la causalité ne soit plus seulement une observation de ce qui se passe mais une représentation qui englobe la diversité de ce qui pourrait se passer. (Passer, par exemple en volley de : je place vite mes mains au-dessus de la tête à : comment m’organiser pour garder une zone de renvois possibles et les transformer en renvois offensifs). Il faut faire évoluer les élèves d’un faire intuitif à un effort de pensée permettant de dépasser les simples réactions.
La recherche de la conformité à un geste doit céder la place à la prise en compte des stratégies et procédures utilisées pour arriver à un résultat.
Cette évolution impose : pour l’enseignant, de passer d’une observation spontanée à une observation armée portant sur des indicateurs autres que ceux habituellement utilisés. La recherche de la conformité à un geste doit céder la place à la prise en compte des stratégies et procédures utilisées pour arriver à un résultat. Ce changement de perspective s’accompagne d’une transformation des situations pédagogiques qui ne sont plus des situations d’essais et d’erreurs corrigés mais des situations qui confrontent à la complexité et à la recherche guidée des meilleures réponses possibles. L ‘attitude de l’enseignant dans ce contexte est de faire « décoller » pas à pas les élèves de l’ici et maintenant pour les faire entrer dans un monde de probabilités : transformation de la perception en faisant découvrir des indices temporels plus lointains et moins directement significatifs ; entrée dans le domaine de la rationalité par déductions et anticipations. Transformations donc des contenus comme de la façon de les enseigner.
Certains auteurs parlent de la nécessité d’adopter une « attitude expérimentale en pédagogie », expression intéressante à nos yeux parce qu’elle est prospective et met l’accent sur la démarche à adopter par les enseignants.
En quoi est ce « expérimental » ? Parce que l’enseignant se met en situation de recueil de données sur ce que font les élèves, propose des situations fondées sur des hypothèses (et non des certitudes) de transformation, évalue et transforme le cas échéant ces situations.
Ce problème n’a encore pas été complètement résolu. Ou bien on considère que les apprentissages techniques sont suffisants et entraînent forcément des transformations des élèves ou bien le changement d’orientation donne lieu concrètement à des procédures lourdes d’échanges et de comparaison entre les réponses des élèves (discussions, utilisation de dessins, de schémas etc) incompatibles avec le lieu et la motivation des élèves. Ou bien encore, mais nous entrons là dans un changement de paradigme, l’APSA pratiquée n’est qu’un prétexte ou un support et se met au service d’un développement formellement problématisé.
L’EPS : une approche des APSA spécifique et originale et de ce fait indispensable
Nous comparons ci-dessous deux types de propositions : celles proposées pour des débutants benjamins par un entraîneur fédéral et celles proposées ci-dessus pour des élèves sensiblement du même âge dans le cadre d’un cycle de basket d’établissement scolaire.
La 1ère différence, et elle est de taille, concerne la quantité de pratique : 2h semaine toute l’année en club plus une série de matches le dimanche, un cycle de 20 h environ pour des collégiens. Le niveau des pratiquants est très hétérogène dans une classe ; les sections de club présentent une certaine homogénéité.
Passons aux contenus des séances de pratique :
En club, il faut apprendre le plus rapidement possible « les fondamentaux techniques », techniques que l’on retrouve quel que soit le niveau : le pivot, les tirs (organiser son équilibre en fixant la cible, agir sur le ballon), le jeu de passe etc. La pédagogie vise la réussite la plus rapide possible et la performance. La notion d’équipe est essentielle car les compétitions ponctuent la saison.
Dans un cycle scolaire, il faut confronter les élèves au sens profond de l’activité pratiquée. Les enseignants répondent à cette exigence, en général, en proposant aux élèves de se confronter d’emblée aux exigences fondamentales de l’activité, situation souvent aménagée pour que tous les élèves, quel que soit leur niveau, puisse s’y intégrer. Les « fondamentaux techniques » enseignés sont ceux qui sont indispensables à la réalisation de cette situation.
La pédagogie fait un pas de côté par rapport à la pédagogie de la réussite rapide. Le droit à l’erreur est possible et les tâtonnements valorisés. On peut momentanément oublier la performance au profit des apprentissages. Mais surtout ces apprentissages font évoluer les élèves vers une prise de conscience de leur propre fonctionnement pour maîtriser les techniques. La discipline, de ce point de vue, dépasse la matière enseignée pour viser la transformation organisée de celui qui se confronte à la discipline.
La discipline, de ce point de vue, dépasse la matière enseignée pour viser la transformation organisée de celui qui se confronte à la discipline.
Pour conclure : dans une section de club, j’apprends à jouer au basket pour obtenir les meilleurs résultats possibles dans la compétition dans laquelle mon équipe est engagée. Dans un cycle de basket scolaire j’apprends comment fonctionne une équipe de basket et comment JE fonctionne moi-même pour répondre aux exigences des situations caractéristiques de ce sport. Il nous semble, en outre, que cette problématique rend possible la jonction avec les finalités.
La démarche proposée valorise des élèves qui ne le sont pas par la seule prise en compte des résultats de l’action, elle arme les élèves de connaissances nécessaires à la prise en charge de leur vie physique d’adultes ; elle les met devant la diversité des compétences et relativise de ce fait la performance. Elle permet en outre d’affirmer que l’EPS est indispensable et ne peut, en aucun cas, se confondre avec les pratiques extra-scolaires, les relations entre les deux étant plutôt des relations de complémentarité.
La formation professionnelle continue
Nous la posons comme la clé de l’évolution de la discipline et le maillon essentiel de la formation des enseignants.
Nous sommes d’accord avec A. Chervel lorsqu’il dit : « ce sont les maîtres et les élèves qui, par un incessant dialogue dans les classes, perfectionnent la discipline » mais nous ajoutons : à condition que leur formation soit appropriée.
Or, les stratégies de type vertical et hiérarchique sont toujours dominantes : un seul problème est important : celui des objectifs à atteindre et ces derniers sont, le plus souvent choisis par la hiérarchie. Tout doit se coordonner par rapport à ces objectifs, une voie pour les atteindre est suggérée, le plus souvent en restant générale et sans différenciation.
Cette stratégie est remise en cause par certains auteurs, notamment par M. Crozier et E. Friedberg qui montrent qu’elle est loin de provoquer les effets escomptés. Ils prônent un changement actif au sens où tous ceux qui sont concernés par le changement doivent participer à son élaboration et à sa mise en œuvre.
Tous ceux qui sont concernés par le changement doivent participer à son élaboration et à sa mise en œuvre. Cela n’est possible que par une implication des intéressés dans la totalité du processus.
Cela n’est possible que par une implication des intéressés dans la totalité du processus. Ce dernier n’étant pas une série de mesures à mettre en œuvre mais une orientation ouverte permettant au système de se réorienter. Les réorientations sont consécutives à des mises en œuvre tâtonnées mais aussi aux changements des intéressés eux-mêmes qui se transforment en utilisant de nouveaux modes de raisonnement, de nouvelles attitudes.
L. Legrand a opérationnalisé, à sa manière, ces grandes orientations. Il constate que les réformes, en France, sont le fait de commissions réunies à la demande du ministère de tutelle qui se posent à la fois comme des commissions d’enquêtes mais aussi comme des commissions d’élaboration d’un projet alternatif. Celui-ci est, en général, un compromis entre les opinions des différents membres de la commission. « Quand le projet devient public, il ne s’agit pas d’en débattre mais de le vendre. La propagande l’emporte sur la discussion ».
…remplacer les commissions de réforme par des commissions d’enquêtes, préparatoires à un débat à grande échelle entre tous les partenaires du système éducatif.
L. Legrand
L. Legrand propose de remplacer les commissions de réforme par des commissions d’enquêtes, préparatoires à un débat à grande échelle entre tous les partenaires du système éducatif. Ce débat débouche sur une incitation très ouverte et une problématique générale établie collectivement par des chercheurs et des enseignants. Cette dernière oriente les enseignants pendant une période donnée.
Comment opérationnaliser cette démarche ? Quelques suggestions pour la mise en œuvre.
Reprenant certaines propositions de L.Legrand nous posons en premier qu’une exigence de départ s’impose : savoir ce qui se fait réellement dans les établissements scolaires. . . . D’où la nécessité de grandes enquêtes nationales et des observations de séances dans un échantillon représentatif d’établissements de différentes académies avec procédures armées.
Cette enquête-recherche pourrait être menée par des « universitaires d’un nouveau type », à la fois chercheurs et formateurs, certes en formation initiale, mais surtout en formation continue . Ces chercheurs sont responsables du recueil et du traitement des données recueillies à grande échelle ; responsables aussi de la conduite d’un certain type de recherches à partir des données recueillies et de la formation des enseignants en exercice. L’ancrage fort dans la formation continue nous paraît déterminant pour éviter une déconnexion avec le monde des pratiques enseignantes et une dérive des problématiques de recherches.
Ce type d’enseignants (responsables d’enquêtes périodiques à l’échelon national et de recherches descriptives sur les données recueillies, formateurs des enseignants en exercice) n’existent pas aujourd’hui mais ils sont indispensables pour :
- Faire un bilan à période régulière des pratiques dans les établissements scolaires par des enregistrements de séances d’un échantillon représentatif de la diversité des régions et des établissements. La périodicité de ce type de recueil de données (que nous situerions entre 5 et 8 ans) intègre le fait que les pratiques enseignantes n’évoluent pas par destruction/reconstruction mais par « une lente germination » selon l’expression utilisée par certains auteurs.
- Ce bilan n’a pas pour objectif de réformer l’enseignement mais d’informer sur ce qu’il est à un moment donné.
- Cette information est préparatoire à un débat à grande échelle sur les aspects à faire évoluer. Ce débat doit rassembler tous les partenaires du système éducatif (enseignants d’établissements scolaires, universitaires, inspection, syndicats).
- L’objectif n’est pas d’aboutir à des directives d’enseignement mais à une incitation très ouverte à transformer certains aspects de l’enseignement majoritaire à un moment donné. (Notons que les orientations se trouvent déjà, en germe dans des pratiques novatrices).
- Le lancement d’innovations dans des établissements scolaires (gérées par ces universitaires-formateurs d’un nouveau type) et la fabrication d’outils destinés à aider les enseignants à innover. Ces outils ne répondent en aucun cas à la question : quoi faire ? Mais sont des aides pour faire évoluer les façons d’enseigner : guides d’observations/interprétation des conduites des élèves, analyses-critiques de situations pédagogiques évaluées etc.
- Poussons plus loin l’opérationnalisation, en nous appuyant sur ce qu’a été la formation professionnelle continue des enseignants d’EPS (en gros entre 1970 et 1980) qualifiée comme particulièrement novatrice par le rapport de Peretti.
- 1er niveau : le secteur, assurant une formation de proximité. Celui-ci rassemble 30 à 40 enseignants d’établissements proches géographiquement et fonctionnant en autonomie.
Que fait le secteur ? A partir d’échanges « locaux » sur les pratiques dans des établissements scolaires proches, chaque enseignant prend conscience de sa façon d’enseigner et la compare aux façons d’enseigner des autres enseignants. Ces échanges visent la dynamisation des pratiques de chacun. Cette première « mise en route » est personnelle et se fait plus par imprégnation des pratiques des autres que par volonté explicite de changer. L’axe de formation essentiel est la remise en cause du stéréotype constaté lequel parasite à la fois les contenus enseignés et la façon de les enseigner. La formation mutuelle semble, dans ce 1er temps la seule efficace. Nous avons constaté que les pratiques exemplaires importées sont, dans la plupart des cas suspectes aux yeux des enseignants.
Les niveaux d’analyse de leurs pratiques par les enseignants (niveaux issus de nos constats empiriques) sont : le récit, l’enseignant raconte ce qu’il fait puis justifie ce qu’il fait par les effets positifs qu’il relève. Ce 1er niveau reste ancré dans l’ici et maintenant. Une 1ère rupture s’opère lorsque l’enseignant utilise des observations armées pour valider ce qu’il a proposé aux élèves. Enfin, un 2ème pas déterminant est fait lorsque l’enseignant expose d’abord en le justifiant son projet et rend compte de la façon dont les élèves l’ont mis en œuvre.
Comme le dit Y.Clot « le professionnel [doit mettre] entre lui et son expérience une distance qui deviendra un moyen d’action sur le milieu et sur lui-même ».
L’équipe d’établissement et le secteur sont les lieux d’échanges entre enseignants, sur leurs pratiques et le lieu de décisions sur l’orientation des « transformations » à mettre collectivement en chantier.
Des échanges d’expérience par des moyens divers (rencontres, visio-conférences) sont à organiser. Le but n’est pas de « normer » les pratiques mais de les nourrir d’expériences diverses pour permettre à chacune d’entre elles d’évoluer.
Le but n’est pas de « normer » les pratiques mais de les nourrir d’expériences diverses pour permettre à chacune d’entre elles d’évoluer.
Pourquoi insister sur ce point : Une longue expérience de formation mais aussi des recherches nous ont montré que chaque enseignant véhicule sa propre façon d’enseigner faite de traits de personnalité, d’expériences et de connaissances personnelles diverses. Ces particularités lui font intégrer de façon originale ce qu’il reçoit car l’intégration est celle d’une personnalité originale qui doit se transformer pour transformer les pratiques.
Ce processus est lent (3 à 4 ans, dans nos expériences personnelles) car, répétons-le il exige que les enseignants se transforment eux-mêmes en transformant leurs pratiques.
- 2ème niveau : ce processus ne peut fonctionner en autonomie complète sous peine de tourner en rond. Il doit être nourri par des apports divers assurés par les universitaires-formateurs ci-dessus évoqués. (cf ci-dessus, la recherche nationale coordonnée par les universitaires formateurs FPC-chercheurs ).
Nous proposons donc de coordonner une formation horizontale (le secteur) et une formation plus verticale.
Le 1er niveau : le secteur permet à chacun, par comparaison, de prendre conscience de ce qu’il est, en tant qu’enseignant ; le 2éme niveau l’oriente vers des innovations et lui impose de se transformer.
Nous faisons quelques propositions pour ce deuxième niveau, seulement à titre d’exemples (cf rien ne sert de courir).
Nous proposons :
- une formation en acte où chaque enseignant enseigne dans ses conditions normales,
- une formation individualisée au sens où ce sont ses propres pratiques qu’il va essayer de transformer,
- une formation régulée par les échanges et des comparaisons entre les praticiens,
- une formation alimentée par des apports théoriques sur des sujets émergeant des pratiques (apports assurés par les formateurs-chercheurs évoqués ci-dessus).
Les sujets « théoriques » sur lesquels une formation est nécessaire sont indissociablement liés à la pratique et se justifient par les nécessités de l’intervention. Ils concernent :
- la technique à considérer non comme des gestes à réaliser mais comme des conduites complexes à décrypter. Notons que sur ce point, faute de productions techniques récentes nous sommes un peu désarmés. À titre d’exemple, en volley le dernier ouvrage technique est paru en 2008, alors qu’auparavant des ouvrages techniques paraissaient régulièrement, émanant d’entraîneurs français ou étrangers.
- les apprentissages, lesquels doivent dépasser la correction des gestes pour se centrer sur l’anticipation, c’est à dire ce qu’il convient de mettre en œuvre pour que le geste soit juste : quels éléments de la situation faut-il prendre en compte pour rendre possible une planification de l’action ? Où sont les obstacles etc ?
- ici, s’impose une profonde transformation de ce que va observer l’enseignant qui doit tenter de comprendre comment s’organise l’action en prenant en compte toutes ses composantes (domaines de la représentation et de l’affectivité notamment). Le rôle de l’enseignant est de ce fait profondément transformé.
- Plus concrètement, retenons ce que proposent des enseignants impliqués dans une recherche concernant une évolution de leur attitude pédagogique indispensable à une évolution des contenus enseignés. L’enseignant, disent-ils, doit se libérer de ses tâches d’animation pour se consacrer à l’observation des élèves. La nature de la situation proposée aux élèves est, de ce fait, déterminante (certains enseignants parlent de situations auto-gérées). Mais cette situation doit surtout être authentique, c’est à dire permettre aux élèves de se confronter aux exigences de l’APSA proposée (certains dont nous sommes préfèrent parler de problèmes). L’enjeu est d’approcher le fonctionnement des élèves, dans toutes ses composantes. Le rôle de l’enseignant, dans ce 1er temps, est, non de corriger mais de tenter d’observer et d’inférer les conduites des élèves avec l’objectif, bien sûr de les faire évoluer. Sur ce point, nous pensons que les solutions pédagogiques n’ont pas encore été trouvées.
Tentons, une nouvelle fois de dégager la spécificité des pratiques scolaires.
À l’École, on est confronté aux aspects fondamentaux de la PPSA enseignée (ce que certains ont appelé l’essence). Cette orientation remet en cause la conception usuelle de la technique (apprentissage de gestes) et des apprentissages.
Citons une dernière fois H. Wallon pour caractériser l’apprentissage des techniques à l’école et au collège, dans le cadre de l’EPS : « l’expérience offre plusieurs degrés qui vont de l’expérience courante à l’expérience savante ; l’une est plus immédiate et subjectivement plus réelle ; nous admettons que l’autre est plus vraie ». C’est ce passage du réel au vrai qui caractérise, pour nous l’EPS.
Conclusion
Rappelons notre projet de départ : rendre plus accessible des travaux anciens pour contribuer aux débats en cours sur l’EPS.
Rappelons aussi la thèse que nous défendons : l’exercice quotidien du métier est forcément la recherche d’améliorations et donc d’évolutions de la discipline. Ce foisonnement d’innovations spontanées devrait être pris en considération et nourri d’échanges et d’apports divers lesquels font cruellement défaut actuellement. Insistons sur ce point : nous ne disons pas que les orientations officielles, les informations et les actions de formation « classiques » ne servent à rien ; nous avons voulu souligner la force des façons d’enseigner personnelles. Chaque enseignant a une forte « personnalité » professionnelle qui filtre et interprète les informations avant de les intégrer ou pas de façon originale. Ce fait incontournable impose une formation d’un certain type.
Ce fait nous permet de dire que la discipline n’est pas en voie de disparition. L’EPS de demain se construit forcément dans certains établissements scolaires. Le problème n’est donc pas d’inventer une EPS nouvelle mais de repérer les « poches » d’innovation pour les analyser, les faire évoluer et les massifier. D’où l’importance stratégique de la formation professionnelle continue.
Par Jacqueline Marsenach