Les pratiques sportives en 2018 : d’une massification illusoire à la persistance des inégalités sociales.

Temps de lecture : 7 mn.

Par Dominique Charrier 1

 Les inégalités d’accès aux pratiques sportives sont largement influencées par le milieu social, le genre ou les situations de handicap. A fortiori par la précarité et la pauvreté, en dépit de la loi qui loi qui affirme que les acteurs publics, associatifs et privés « veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l’ensemble du territoire ».

Publicités proposant des salles de fitness à des tarifs plus ou moins « abordables », sportifs visibles dans les espaces urbains ou naturels, phénomène des « jeunes retraités sportifs », développement du coaching sportif, capacité des industriels et des distributeurs à inventer (et à vendre) des instruments sportifs « innovants » et connectés, « météo des neiges », juste après la « vraie » météo, indiquant les hauteurs de neige comme si ces informations concernaient toute la population alors que seuls 8% des français partent au ski au moins une fois tous les deux ans2, etc., de nombreux indices laissent à penser que tout le monde fait du sport ou, du moins, peut en faire !

D’ailleurs, ces éléments d’appréciation sont confirmés par les chiffres officiels, surtout si on n’en retient que les chiffres clefs, le plus fréquemment mis en avant : 89 % des individus âgés de 15 ans ou plus, vivant en France, ont eu une activité physique ou sportive au cours des 12 derniers mois précédant l’enquête ce qui représente 47 millions de personnes2 ! Par ailleurs, le ministère des Sports recense 16 millions de licences délivrées par les fédérations sportives.

Pourtant, les inégalités d’accès existent, persistent, se transforment, se complexifient voire se développent. Au final, depuis les années 1960, les pratiques sportives se sont développées (durablement ?) mais pas véritablement démocratisées, sous la double influence des inégalités sociales et territoriales.

Des inégalités persistantes.

Les sociologues du sport2 ont, depuis des décennies, montré qu’il était difficile, voire impossible, de comparer les données issues des rares études scientifiques et des sondages qui fleurissent régulièrement dans la presse. Sans rappeler ici les enjeux définitionnels et les différences de protocoles méthodologiques3, on peut isoler plusieurs tendances.

La première concerne la diffusion des pratiques sportives, toutes modalités confondues : selon le ministère des Sports, hors pratiques occasionnelles ou réservées aux vacances, 65% de la population de plus de 15 ans a une activité sportive régulière, au moins une fois par semaine. Mais, selon l’INSEE3, cela concerne seulement un tiers de la population. Ces points de repère, pour le moins différents, montrent que, en dépit de politiques publiques locales volontaristes, menées depuis près de 60 ans, et de stratégies fédérales relativement tournées vers le développement (la production de la performance restant la priorité dans les fédérations compétitives (même si elles ont développé d’autres types d’offre), une bonne partie de la population n’est pas véritablement sportive ! Ce constat est durablement posé et certaines études3 commencent même à confirmer l’hypothèse de la réduction des pratiques que nous avions osé envisager dès… 19923 !

La deuxième concerne les inégalités sexuées qui se réduisent : entre 2009 et 2015, le taux de pratique est passé de 40 à 45 % chez les femmes tandis qu’il demeurait stable chez les hommes à environ 50%3. Notons que l’écart est plus important chez les jeunes (50% des femmes et 63% des hommes de 16 à 24 ans) … et qu’il se renverse entre 50 ans et 64 ans. (48% pour les femmes contre 46% des hommes).

L’âge reste aussi un facteur de différenciation des modalités de pratique, à défaut d’impacter fortement les taux de pratique des différentes classes d’âges : au fur et à mesure que l’âge augmente, diminue l’engagement dans les formes compétitives et institutionnalisées.

Au-delà de ces variables traditionnellement étudiées, retenons que les handicapés4, en dépit des difficultés à définir les handicaps, ont des taux de pratique sportive très inférieurs à la moyenne : les personnes atteintes d’au moins une limitation fonctionnelle absolue ont une pratique sportive moins importante que celles qui n’en ont pas (respectivement 16 % de pratiquants réguliers contre 37 %)5.

Des facteurs socio-économiques à explorer davantage.

Dans le prolongement des études réalisées à la fin des années 1980, les niveaux de diplômes et de revenu influencent encore largement les taux de pratique sportive : 59% des non pratiquants ont un revenu mensuel inférieur à 1500 euros mensuels alors que 7% perçoivent plus de 3000 euros6. Ces données confirment l’intérêt qu’il y aurait à davantage questionner dans les prochaines études l’influence de plusieurs facteurs socio-économiques.

Le premier concerne le développement de la pauvreté. D’après les dernières données disponibles, la France comptait en 2014 près de 10 millions de pauvres (défini à 60 % du niveau de vie médian soit 1 008 euros par mois pour une personne seule en 2014). A noter que, la même année, 19,8% des moins de 18 ans vivaient dans une famille sous le seuil de pauvreté contre 17,3 % en 20087. Faut-il souligner que dans ces situations de dénuement, les dépenses pour les activités sportives sont quasi-impossibles, même si certains pourraient considérer que l’on peut faire du sport à moindre coût ! Faut-il souligner qu’il n’y a plus de projet sportif possible au moment où sont simplement posées des questions de survie ?

Le deuxième concerne le développement de la flexibilité (18% des salariés soit 4,2 millions ont des horaires de travail variables d’une semaine sur l’autre en 20167) qui désorganise les emplois du temps personnels et familiaux, surtout des ouvrières et des employées, et interdit d’avoir une pratique sportive programmée et régulière.

Enfin, le troisième concerne le développement de la précarité (définie par le fait de travailler dans des formes différentes d’un CDI). Ainsi, par exemple, 18,8 % des personnes en emploi travaillent à temps partiel. Remarquons que ce taux monte à 43,4 % pour les employés non qualifiés et à 30,1% pour les femmes (contre 8,2 % pour les hommes)7.

Ces trois facteurs, qui concernent particulièrement les femmes et les jeunes, accréditent l’hypothèse de la réduction durable des pratiques sportives. Finalement, tout se passe comme si ces deux catégories, largement responsables de la massification brutale des pratiques sportives entre 1970 et 1985, étaient discrètement en train d’abandonner les activités sportives !

Que faire ? Les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 peuvent-ils constituer le levier de la révolution culturelle du système sportif ?

En dépit de la Loi qui affirme que les acteurs publics, associatifs et privés « veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l’ensemble du territoire »8, force est de constater que les processus de détermination sociale des goûts sportifs et les inégalités d’accès aux pratiques sportives sont durablement inscrits dans la société française. 

Les caractéristiques de l’offre marquée par les inégalités territoriales notamment dans les quartiers relevant de la politique de la Ville (on parle maintenant de territoires « ultra carencés » en équipements sportifs9), la situation inégale de l’EPS, et du sport scolaire et universitaire10, la saturation quasi-généralisée des équipements sportifs, la réduction des subventions aux organisations sportives, etc. interrogent les politiques publiques nationales et locales dont on a pu, pourtant, démontrer le caractère structurant dans les dernières décennies11.

L’attribution récente des Jeux Olympiques et Paralympiques à Paris permettra-t-elle de développer des politiques sportives ambitieuses, avec des équipements plus nombreux et adaptés aux pratiques de chacun, des moyens humains et financiers plus importants et pas seulement concentrées sur les pratiques compétitives ou sur le sport de haut-niveau ? Permettra-t-elle de faire réfléchir et agir contre la sédentarité par le développement de véritables contenus sportifs, au-delà de l’injonction à bouger qui, de manière perverse, contribue aussi à éloigner certain(e)s des « véritables » pratiques sportives, porteuses d’enjeux culturels, éducatifs et sociaux ? Ces questions seront au cœur des actions citoyennes et des décisions politiques dans les prochaines années. Une seule certitude, les réponses apportées, ou non, influenceront, au-delà de la seule capacité à bien organiser l’événement, la réussite des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018

  1. Économiste, Maître de conférences HDR responsable du Master 2 « Politiques Publiques et Stratégies des Organisations Sportives ». Équipe « Sports, Politique et Transformations Sociales » (SPOTS-CIAMS EA 4532), UFR STAPS. Université Paris Sud.
  2. Crédoc. (2010). Un désir de renouveau des vacances d’hiver. Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français ».
  3. Pour les sondages publiés dans la presse, il est souvent difficile de repérer avec précision la définition des pratiques sportives.
  4. Les limitations fonctionnelles correspondent à une diminution ou à la perte de fonctions physiques, sensorielles, métaboliques, psychiques ou cognitives. Elles sont dites « absolues » ou « graves » lorsque la personne déclare ne pas pouvoir du tout réaliser l’activité ou lorsqu’elle éprouve souvent des difficultés.
  5. B. Chardon  (2017). La pratique sportive en Ile-de-France, sept ans avant les jeux. Institut régional de développement du sport. Cette étude est réalisée régulièrement depuis 2007 : 3 000 franciliens âgés de 15 ans et plus sont interrogés par téléphone sur leurs activités physiques et sportives au cours des douze derniers mois (fréquence, lieu, moment, disciplines, attentes, freins…) avec des questions depuis 2014 sur la durée et l’intensité des activités, en relation avec les problématiques de santé.
  6. Enquête CNDS /Direction des Sports. INSEP, MÉOS. Déjà citée.
  7. Tableaux de l’économie française. (2017).
  8. L’Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les associations, les fédérations sportives, les entreprises et leurs institutions sociales contribuent à la promotion et au développement des activités physiques et sportives. Ils veillent à assurer un égal accès aux pratiques sportives sur l’ensemble du territoire.
  9. Note N°2018-DSE-01. CNDS. 5 février 2018.
  10. Chardon B. (2017). Déjà cité.
  11. Lapeyronie B, Charrier D, (Ouvrage collectif sous la dir.). (2014). Les politiques sportives territoriales. Savoirs et questionnements. Éditions Kréaten.

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