« A quelle conditions la compétition peut-elle constituer une expérience éducative ? Educative en quoi et pour qui ? » C’est la question que pose Patrick Lamouroux, CPD EPS du Tarn. Il propose aux élèves d’expérimenter une situation de relais au départ inéquitable, pour construire avec les enfants la notion d’équité, et faire vivre une situation de compétition où chaque équipe à une chance de gagner. Pour lui, c’est à cette condition que la compétition est éducative pour tous et toutes.
Ce texte est un extrait de l’article « Les « situations équitables » : une alternative à la compétition ? » paru dans le ContrePied n°23 – mars 2009 – La compétition et l’EPS
Une compétition est une confrontation, définissant dans le cadre de règles un rapport gagnant / perdant pour la quête d’un but, d’un enjeu. Pour espérer être positive, cette expérience doit réunir un certain nombre de conditions pédagogiques. En premier lieu, l’enjeu doit être désiré par chacun.e et doit sembler, au départ, « atteignable » pour tous et toutes. En second lieu, tous les élèves devraient avoir les mêmes chances de gagner ou de perdre, soit initialement, soit après un processus d’apprentissage. Pédagogiquement enfin, il serait souhaitable que les gains et les pertes soient relativisés par la redistribution fréquente de cette « gratification ». En d’autres termes, que l’élève qui perd aujourd’hui puisse espérer gagner demain. Enfin, dans le cadre scolaire, il est indispensable que la règle collective qui préside à la confrontation soit « interrogeable », c’est à dire modifiable, au cas où les conditions décrites ci-dessus ne pourraient être remplies, de manière à rééquilibrer le rapport de force et permettre une nouvelle confrontation. Car ce que nous considérons ici n’est pas la compétition dans l’absolu mais celle que nous instaurons dans le cadre scolaire, c’est à dire dans un cadre de pratique obligatoire où quelle que soit l’appétence personnelle de l’apprenant pour celle-ci, la confrontation sera de l’ordre de l’imposé et non du choix individuel.
Le dispositif de départ de ce projet est simple : 4 équipes de relais s’affrontent, dans une cour de récréation. Chacune court sur son propre « chemin ». Le coureur part du départ pour aller ramasser un objet dans une caisse et retourner taper dans la main du suivant. Il y a autant d’objets que de coureurs et la première équipe à avoir ramené tous ses objets dans la caisse a gagné.
1ère étape : rendre les chemins équitables
Les « chemins » sont disposés au hasard dans l’espace, sans disposition orthonormée, ce qui rend leur comparaison visuelle impossible. Sur une distance d’environ 15 mètres, un des « chemins » fait 1,50 m de moins que les autres. Après chaque course, les équipes changent de « chemin ». Les enfants constatent que c’est toujours le même « chemin » qui gagne. Des hypothèses sur la cause sont émises. En général, c’est le nombre d’objets qui est mis en avant en premier puis après vérification, la longueur est incriminée. On vérifie ces hypothèses et on s’entraîne à mesurer avec un outil étalon. La classe élabore alors ce que l’on appelle désormais des « chemins équitables », de même longueur. Cette démarche, conçue par Jean Gay 1,, fait apparaître clairement que l’égalité des conditions de confrontation est en premier lieu à construire – et ce d’une manière explicite – et qu’elle n’est en aucun cas d’une nécessité évidente chez l’enfant. Instaurer au départ une situation d’inégalité manifeste est le meilleur moyen de la fonder.
2ème étape : rendre les équipes équitables
Le jeu est donc repris lors d’une séance ultérieure avec des « chemins équitables ». Comme on a laissé les enfants faire les équipes sans procédure particulière, on constate que c’est toujours la même équipe qui gagne. La classe formule l’hypothèse que, dans telle équipe, les enfants « courent plus vite ». On cherche à vérifier. La première proposition des enfants est de faire une course tous ensemble en ligne et de noter l’ordre d’arrivée. Cette procédure s’avère impossible. On s’oriente vers la 2ème proposition qui est d’utiliser un chronomètre. Il leur est donné des chronomètres digitaux (dont les dixièmes et centièmes sont masqués de manière à n’obtenir que des secondes entières). Le problème devient alors, après le recueil de données, de trouver une manière de rendre les « équipes équitables ». Une phase mathématique est réalisée en classe (classement des coureurs par encadrement, réalisation des compositions d’équipes par procédure d’échanges et vérification de la somme à l’aide de la calculette). Puisqu’il s’avère impossible d’obtenir la même somme (trois équipes ont en fait le même total et une a 2 secondes de plus. La somme des performances de la classe n’est en effet pas divisible par 4), les enfants proposent que l’équipe qui a la somme la plus forte parte 2 secondes avant. Ultérieurement, on stabilise cette procédure de calcul de la différence. Parfois, les quantités numériques obtenues font qu’aucune équipe n’a la même somme à 2, 4 ou 5 secondes près. On indique donc l’ordre de départ des équipes et quand on joue, les départs sont différés en fonction de la différence (en secondes) constatée entre les équipes.
3ème étape : chercher « les actions qui font gagner du temps »
Le jeu est donc repris sur des « chemins équitables » selon une « règle équitable ». L’enseignante instaure un nouveau trajet qui impose une transmission de relais par l’arrière. Les équipes arrivent souvent dans le même ordre. L’hypothèse est formulée que certaines actions font « perdre du temps » et d’autres font « gagner du temps ». Une observation conjointe des équipes est organisée et une liste des « actions efficaces » est progressivement réalisée. Les équipes ne s’affrontent plus simultanément mais successivement, en conservant la règle de compensation des différences de performance et la classe n’utilise qu’un seul chronomètre.
4ème étape : la tombola des équipes
Chaque enfant a complété une étiquette indiquant son prénom et le nombre de secondes de son évaluation en course. L’enseignante tire alors les équipes au sort. La vérification des sommes est faite et les différences sont alors énormes. Les enfants proposent spontanément de modifier les équipes mais l’enseignante refuse pour les amener à stabiliser la même procédure (calcul de la somme à la calculette, recherche de la différence, détermination de l’ordre des équipes et du nombre de secondes d’avance ou de retard). Dès lors, toutes les parties se déroulent selon cette méthode : tirage au sort, ré-équilibrage du rapport de forces (ce que j’ai précédemment nommé les « handicaps consentis ») puis jeu.
En guise de conclusion
La dynamique de la classe s’est trouvée métamorphosée en ce qui concerne la composition des équipes. Les enfants qui trouvaient difficilement leur place, parce que le groupe les savait (ou les pensait) peu performants, sont à présent mieux intégrés. Les relations garçons / filles sont transformées. Chacun.e sait que le collectif va bénéficier de « secondes en moins » si le tirage au sort réunit des individus moins performants. De fait, les arrivées se font dans un mouchoir de poche, ce qui renforce la recherche des « actions qui font gagner du temps » (donc les apprentissages). Il n’y a ni découragement ni sur-excitation puisque le brassage relance à chaque fois l’énigme du résultat. Il n’y a plus de moyen de comparer les équipes puisque celles-ci changent à chaque fois. Sur le fond, c’est la fonction de la règle qu’il convient d’interroger. Celle-ci est-elle l’élément imposé par l’extérieur (du fait que l’historicité actuelle la définit ainsi) ou est-elle le seul et fondamental moyen de vivre et faire ensemble, durablement ? En ce sens, elle est le ciment de la collectivité, l’expression de son souci de ne laisser personne sur le côté. Ce qui n’est en aucune façon incompatible avec le maintien d’un désir de progresser individuellement. De l’équité à l’éthique, il y a peu de lettres à changer. Nos formes de rencontres doivent se différencier radicalement de celles des lieux de pratique autres que l’Ecole (qui ont par ailleurs toute leur légitimité) pour porter nos propres valeurs. En ce sens, dans le contexte scolaire, chaque élève devrait passer au moins autant de temps à se mettre au service d’un intérêt collectif que de son propre intérêt, à coopérer avec les autres (pas forcément pour gagner contre d’autres, ni pour être charitable) qu’à s’opposer. Si nous incitions autant les plus forts à faire des efforts pour aider les plus faibles qu’à devenir encore plus forts, peut-être pourrions-nous contribuer à former des citoyens et citoyennes différentes pour demain. Et pour paraphraser Aristote, il convient de garder à l’esprit que rien n’est plus injuste que l’égal traitement des inégaux 2