Samuel Joshua, didacticien des sciences, propose dans cet interview une analyse sur les liens entre l’école, l’étude et le savoir. De l’apprentissage immersif au défi démocratique de l’éducation scolaire, son regard explore les enjeux fondamentaux qui façonnent nos connaissances.
Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 _21 EPS et Culturalisme disponible intégralement sur ce site.
Nous avons mis l’étude au cœur de nos préoccupations en EPS. Y a-t-il selon toi un enjeu réel ou est-ce juste un slogan ?
Je vois deux grandes catégories de savoirs. Ceux qui s’apprennent par immersion. On ne peut pas distinguer le moment où on apprend. Il n’y a pas de moment particulier. Prenons par exemple le début de l’apprentissage oral, on ne peut pas identifier de moment particulier d’étude par le bébé. Dans la seconde catégorie, les savoirs ne peuvent être appréhendés sans une étude spécifique. Par exemple, le vélo. Quelqu’un apprend à faire du vélo en étudiant : des choses se mettent en place dans un temps didactique et avec une aide didactique (les parents la plupart du temps mais ça peut être d’autres personnes). Comment monter sur le vélo, est-ce qu’on tient la selle ou pas, combien de temps par jour, les aides répondent aux questions qui se posent, rassurent…
Est-ce qu’il faut une école pour ça ? Pas forcément. C’est la décision politique qui fait le choix. Est-ce qu’il y a des savoirs qu’on juge plus importants que d’autres ? Par exemple le savoir nager doit-il être acquis par tous et toutes ? Si on répond oui, alors il faut une école pour répondre à cet objectif.
Ensuite on met en place quelque chose qui n’est pas ou plus ce qui se fait à l’extérieur. L’école c’est la systématisation du système didactique :
- Quel est le meilleur moyen de…
- Comment faire pour…,
- Comment évaluer ce qui se fait…
Cet ensemble produit quelque chose de beaucoup plus efficace que de laisser tout ça à l’improvisation de chacun. L’école n’est pas la vie courante. Or on a souvent tenté de rapprocher l’école de la vie courante. Faire cela c’est dévaloriser le rôle de l’étude. L’école n’existe que parce que c’est une structure qui facilite l’étude. Sinon elle est concurrencée, et surtout on remet en cause son existence propre.
De plus, ce qui est en jeu, c’est le niveau d’exigence décidé par la société. C’est la différence entre l’étude dans et hors de l’école. Il y a un niveau d’exigence imposé. Si tu cours à l’école, tu le fais parce qu’il faut progresser, il y a un programme d’étude. Et tout le monde doit le faire…
L’enjeu principal de l’école, et donc de l’étude systématique d’un ensemble de savoirs, est un problème de visée démocratique. Aujourd’hui on estime qu’il y a trop d’école, pour trop de monde, et trop longtemps. On voit revenir l’idée que tout le monde ne peut pas. Or si, tout le monde peut accéder au complexe. Les enfants de CM2 aujourd’hui sont beaucoup plus performants que ne l’était Cicéron en son temps.
Rechercher le haut niveau pour toute une masse d’élèves n’est pas consensuel. Comme il n’y a pas consensus sur la sélection des savoirs, les débats sur les programmes le montrent. Pas de consensus non plus sur le comment s’y prendre. C’est un combat. Car la réalité est là : à Marseille, dans certains quartiers, la moitié des enfants ne savent pas écrire !
L’étude est donc là pour aborder des savoirs complexes, même si l’école ne fait pas que ça. Mais elle doit faire ça principalement. Pour qu’il y ait étude, il faut :
- Un programme. C’est -à -dire le choix des savoirs à étudier et une programmation dans le temps. En bref, un certain ordonnancement des apprentissages. Ça fait débat évidemment, il peut y avoir des divergences sur tout, par exemple pour rester sur vélo, le meilleur mode d’entrée : avec des roues stabilisatrices ou pas ?
- Des activités systématiques. Ce qu’on appelle d’un terme générique des exercices.
- Un directeur d’étude. C’est en général le professeur.
Il faut rajouter une chose pour terminer, qui peut paraître évidente, mais qu’il faut rappeler. On n’apprend à l’école que des choses qui existent déjà. Si l’écriture n’avait pas été inventée, on n’apprendrait pas à tous à écrire. Même chose pour les différentes techniques dans votre domaine. Les techniques n’appartiennent pas à une personne. Et c’est pour ça qu’on peut y accéder, par l’étude.
Entretien mené par Christian Couturier et à retrouver dans le ContrePied HS 20-21.