Le SNUIPP a publié un ouvrage « Eduquer contre l’homophobie dès l’école primaire » (téléchargeable) qui contient des outils théoriques et pratiques pour aborder la question de l’homophobie au primaire. En 2018, cette initiative était une petite révolution. Entretien avec Daniel Labaquère, secrétaire national du SNUIPP-FSU, en charge du dossier égalité.
Propos recueillis par Bruno Cremonesi, Contre Pied – Égalité ! – Hors-Série n°7 – Septembre 2013
Pourquoi le SNUIPP a-t-il choisi de travailler sur cette question ?
L’élément déclencheur a été un stage organisé par le SNES-FSU il y a plus de 10 ans maintenant. Cette question était quasiment absente du champ syndical. Nous nous sommes alors rendu compte que des collègues subissaient du harcèlement ou de la discrimination liée à leur orientation sexuelle. Cela a aussi permis de faire remonter que de nombreuses blagues à caractère homophobe se faisaient sur le lieu du travail.
C’est également une question de santé publique liée au mal-être ressenti par les individus.
Être en bonne santé n’est pas limité à l’absence de maladie mais à un sentiment de bien être personnel. Ce qui n’est pas possible lorsque l’on vit des discriminations au nom de son homosexualité. Chez les enfants cela peut induire des comportements de repli sur soi ou plus dramatique encore chez les 15/20 ans, où cela explique plus de 30% des suicides.
Après avoir porté une parole pour alerter et aider les collègues pendant plusieurs années, nous avons constaté, que contrairement à d’autres pays, rien n’existait en termes d’outils pour l’école primaire. Nous avons donc accompagné nos déclarations de propositions de séquences d’enseignement pour que les enseignant-e-s s’en saisissent.
Lors du colloque que nous avons organisé en mai 2013 à Paris, l’enjeu était de montrer que des collègues ordinaires travaillent sur ce sujet avec leurs élèves.
Les élèves de l’école primaire ne sont-ils pas trop petits pour être éduqués à cette question ?
Les rapports réalisés par l’association SOS-homophobie ou les enquêtes de victimisation d’Eric Debarbieux mettent à jour ces problèmes chez les enfants et à l’école. Ils montrent que les atteintes à caractère sexuel sont très nombreuses, presque 1 élève sur 10, la majorité des cas par un élève du même sexe, comme par exemple, le déshabillage forcé, le baiser forcé…
L’insulte la plus répandue des cours des récréations est « pédé ». Les enfants comprennent très vite que cette insulte peut s’adresser à eux en fonction de ce qu’ils font. Ils apprennent que certains comportements seront jugés non conformes et surtout mauvais, puisqu’ils génèrent des insultes. La stigmatisation et l’insulte produisent très tôt des réactions de rejets, elles sont la partie la plus visible de l’homophobie.
Il y a un malaise à travailler l’éducation à la sexualité à l’école primaire, et il est vrai que ce n’est pas évident, mais cela révèle surtout un manque de formation sur ce sujet. Ne pas la traiter reviendrait à ignorer que les pratiques discriminatoires se posent très tôt. C’est un peu comme les stéréotypes de genre, certains disent qu’il faut laisser les garçons être des garçons et les filles être des filles, sans vouloir travailler spécifiquement cette question. Mais il y a alors une naturalisation de certains comportements, comme être fort pour un garçon et être douce pour une fille. Comme s’il y avait une force naturelle de la construction du genre.
Comment faire pour que la lutte contre l’homophobie ne soit pas réservée à un groupe lui-même caractérisé comme homosexuel ?
Tu as raison de poser cette question. Très souvent le fait de proposer de travailler sur cette thématique est qualifié par les autres comme révélant un problème non réglé ou réservé aux personnes elles-mêmes homosexuelles. Les sociologues parlent de contamination du stigmate. La seule solution est de se former pour pouvoir dépasser ses préjugés.
La question de l’homophobie n’est-elle pas une loupe pour travailler sur les discriminations en général ?
Je partage ton idée, mais dans le monde scolaire, la déconstruction des stéréotypes de sexes est plus facilement acceptée que par exemple, la discrimination ethnique en raison des origines migratoires des enfants. Les collègues veulent bien – en particulier lorsqu’elles-ils ont suivi une formation – regarder les discriminations liées au genre, que certaines de leurs pratiques ou le fonctionnement de l’école produisent, elles-ils ont beaucoup plus de mal à élargir leur réflexion à l’ensemble des discriminations. C’est, je pense, lié à une tradition républicaine de l’école. Les enseignant.es pensent ne faire aucune différence en fonction de l’origine des enfants et en conséquence, ne se posent même pas la question.
Propos recueillis par Bruno Cremonesi et parus dans Contre Pied – Égalité ! – Hors-Série n°7 – Septembre 2013