Performer c’est être vivant !  

Temps de lecture : 4 mn.

Jacques Gamblin est acteur et auteur. Dans les pièces de théâtre qu’il a écrites : Quincailleries, Le toucher de la hanche, Entre courir et voler il n’y qu’un pas papa, Tout est normal mon cœur scintille et la dernière, actuellement en création , 1heure 23’ 14’’ et 7 centièmes, il raconte ses histoires autant avec son corps qu’avec ses mots.

Entretien réalisé par Claire Pontais et paru dans le Contrepied HS N°10 dédié à la Performance

Extrait du spectacle 1 heure 23′ 14” et 7 centièmes de Jacques Gamblin et Bastien Lefèvre

Quel rapport entretenez-vous à la performance ?

Performer, c’est se perfectionner. C’est être vivant. C’est ce qui permet de se lever le matin, de passer les barrières, les obstacles. C’est acquérir de la confiance en soi, pour soi.
Et dans le théâtre ? On associe souvent ce mot à la virtuosité. La virtuosité au théâtre, c’est lorsque le spectateur y croit. C’est lorsqu’on ne sent plus le travail, lorsqu’on ne sent plus l’acteur jouer mais être, tout simplement.
Ce qui n’est qu’en partie vrai bien sûr.
En sport, il y a le désir de victoire. On veut montrer aux autres et à soi-même qu’on est le meilleur. Notre rôle au théâtre est de faire croire à une histoire, pas de « se montrer en spectacle ». On tente donc de s’oublier. Ne pas forcer le trait, même quand cela semble ne pas décoller avec le public.

Performer d’après moi c’est rechercher l’équilibre.

On doit suggérer pour que les gens viennent vers nous, leur offrir des cases vides pour leur laisser une part d’imagination. Et comme dans le sport et dans toute chose, on ne peut effacer le passé. Ce qui a été raté reste raté. Mais on a une porte de sortie pour le lendemain : faire mieux ! La vraie victoire est derrière l’échec. Elle est cette possibilité de faire mieux le lendemain, de recouvrir hier. Et à l’inverse, oublier la victoire d’hier pour enlever la pression de vouloir la reproduire. Être dans le présent, à chaque seconde. C’est une difficulté universelle. On traîne plus souvent l’échec derrière soi que le plaisir de la victoire, qui est extrêmement fugace, vite recouvert par la performance à venir.

Mais, contrairement au sport, il n’y a pas de compétition au théâtre ?

À une époque je ressentais une sorte de compétition avec le public. Je n’avais pas compris qu’il n’y a rien à gagner tout seul. Gagner quoi ? Et contre qui ? Contre le partenaire, contre le public ? S’il est là, c’est pour jouer avec nous. Une représentation réussie est une où on a joué avec, où on a joué collectif sinon c’est cuit.

On pourrait dire que la performance d’un acteur, c’est ne plus jouer.

C’est à chaque fois un nouveau voyage que l’on doit faire ensemble et pas l’un contre l’autre. Bien sûr j’ai la trouille, avant de rentrer en scène, et comme en sport la difficulté est d’éliminer les pensées parasites. Par exemple ce qu’on imagine que le spectateur attend. La « victoire » au théâtre passe par une représentation réussie, c’est à dire où la communion s’est établie entre public et artistes. à partir de là une forme de dépassement de soi est possible.

Quel est votre regard sur la technique ?

On a souvent tendance à considérer que la performance technique est comme dissociée d’un potentiel émotionnel, qu’elle est quelque chose de froid. C’est avoir une courte vue car il y a des tas de contre exemples ou la virtuosité nous renvoie une émotion.
Si un clown joue sur le fait qu’il ne sait pas jouer d’un instrument, ça nous fait rire, mais si à un moment, il joue vraiment et bien, une émotion nous parvient. L’émotion peut être aussi un grand écart entre deux états contraires.

Est-ce qu’au théâtre on s’entraîne ?

Bien sûr. Répéter, c’est s’entraîner. Il n’y a que le verbe qui change. Les conditions de la performance sont bien entendu dans la préparation. Travailler pour oublier le travail. Il faut s’affranchir de la mécanique pour s’investir émotionnellement. La technique à force d’être intégrée permet d’accéder à une liberté.
On doit être prêt physiquement. Les formes d’entraînement sont diverses selon le type de spectacle. à une époque, l’entraînement physique n’était pas très à la mode en théâtre. C’est moins vrai maintenant. Au fil du temps le sport lui-même a conquis sa nécessité et un acteur doit être formé à tout.

Le sport a beaucoup d’importance pour vous ? Le sport a toujours eu une vraie place dans ma vie. Il m’est nécessaire, il libère de l’énergie, il provoque des pensées positives, il fait du lien entre la tête et les jambes. Etre acteur c’est mettre le corps en mouvement, intérieur et extérieur. On observe, on étudie les comportements et leurs influences corporelles. On pense avec le corps, sans cesse, des orteils à la racine des cheveux. C’est ma sensation.

Dernière question : est-ce qu’il y a de la compétition entre acteurs ? De la concurrence sur des rôles comme partout, ni plus ni moins.

On est tous remplaçable mais en même temps singulier. Il faut savoir où se trouve sa singularité.
Quant aux partenaires, c’est comme au tennis, on joue mieux avec un adversaire qui est sur un niveau similaire ou supérieur au vôtre. L’adversaire devient alors partenaire car il nous apprend des choses sur nous-mêmes.

Entretien réalisé par Claire Pontais et paru dans le Contrepied HS N°10 dédié à la Performance

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