Contribution signée Christian Couturier, Centre EPS et Société
Lors du dernier séminaire du Centre nous avons discuté pour partie des rapports entre le sport et l’EPS, sujet très ancien mais récurrent et remis au goût du jour par l’actualité (2S2C par exemple). Plusieurs problématiques ont émergé, qui traversent l’histoire de la discipline et dont on peut penser qu’elles en structurent les fondements.
L’EPS et le sport, stop ou encore ?
Une thèse fortement répandue revient sur la « confusion » de l’EPS avec le sport qui serait la source des problèmes actuels de la discipline. Notons immédiatement que dans notre « champ culturel de référence » seul le sport semble poser question. On ne lira nulle part que le problème de l’enseignement de la danse résulte de la confusion entre l’EPS et la culture artistique. Quant aux autres pratiques corporelles (difficiles à nommer tant elles sont disparates), elles font l’objet d’un tel militantisme institutionnel qu’on ne peut guère en parler.
Même s’il est impossible de démontrer que les problèmes de l’EPS d’aujourd’hui sont principalement liés cette confusion, l’idée perdure. Pourtant tous les textes officiels de l’EPS depuis maintenant 60 ans ont été écrits et conçus pour différencier l’EPS du sport, à commencer par les fameuses IO de 67, censées consacrer l’EPS sportive, qui énoncent déjà que l’EPS ne se confond pas avec les APS qu’elle enseigne !
Pour aller plus loin, nous voyons dans le rapport de l’EPS avec son champ culturel (pluriel) un triple problème.
Un problème qui part souvent de l’appétence pour ou contre tel ou tel objet culturel (l’escalade, je trouve ça bien, le step c’est super, la relaxation c’est cool). Un point de vue subjectif donc qui, selon les cas et au fil de l’histoire, peut se construire en idéologie plus ou moins étayée mais qui est basée d’abord sur son propre plaisir, passé ou actuel, à pratiquer telle ou telle activité. On trouve ainsi des militant·es de la danse, des sports co, de la musculation, du fitness, du yoga, etc. Mais ça ne vaut pas démonstration de l’intérêt voire de l’utilité de telle ou telle culture. Une approche plus objective consiste à appréhender les objets culturels pour ce qu’ils sont : une construction humaine, qui constitue l’environnement de développement des nouveaux humains. Ils sont à ce titre une mémoire de l’activité humaine, et une promesse de développement (qui peut ne pas être tenue en fonction du contexte d’ailleurs), à condition évidemment que l’humain ait une activité déployée sur cet objet. C’est tout simplement l’apprentissage.
Le deuxième problème est économique. Le pouvoir de l’argent lui, n’est pas subjectif, il est au cœur de notre système et donc au cœur de toute l’activité humaine. On ne peut que constater que le 2S2C est arrivé comme mesure pour « aider » le mouvement sportif dans un contexte d’arrêt complet des pratiques et donc des intervenants, alors que l’école recommençait à s’ouvrir. Constater également que la pression mise sur l’intégration des activités dites d’entretien est concomitante à la montée en puissance de ces APSA dans le marché des pratiques physiques, car, contrairement à ce qui se dit parfois facilement, ces activités ne sont pas nouvelles en EPS. Rappelons brièvement que le SNEP en 1975 cite dans une brochure intitulée « L’EPS, luxe ou nécessité », les 3 « champs » de référence : les sports, la danse, et les pratiques d’entretien. Elles ont toujours été toujours présentes mais de manière marginale en EPS et leur consécration récente ne vient (encore une fois restons sur les faits) que de l’imposition volontariste de l’IG (programmes lycée de 2010 et Bac) de ces activités. Ce qui nous amène au dernier problème : qui décide du contenu institutionnel de l’EPS ?
Le poids du sport, sur tous les plans, lui donne un certain pouvoir y compris sur les décisions qui sont prises au plan gouvernemental. La fonction « lobbyiste » du CNOSF par exemple n’est pas à sous- estimer. Mais a contrario et jusqu’à présent en EPS, c’est le poids d’un discours sur le refus de la confusion qui pèse dans les esprits et les textes officiels. A tel point que c’est devenu au fil du temps un contre argument pour le mouvement sportif pour signifier l’intellectualisation exagéré de l’EPS. Le poids sans cesse grandissant de tout ce qui n’est pas la « motricité » dans les examens est le miroir exact de cette volonté de se différencier du sport.
Le poids sans cesse grandissant de tout ce qui n’est pas la « motricité » dans les examens est le miroir exact de cette volonté de se différencier du sport
L’EPS d’aujourd’hui est le reflet d’un pouvoir exercé en EPS par l’institution et un certain nombre de personnes « autorisées » qui a multiplié les injonctions dans un seul sens. Il semble que le discours change aujourd’hui (voir article V. Eloi-Roux dans la revue EPS n°389), c’est tant mieux. Mais tout ça montre que le ou les pouvoirs ne sont pas forcément ceux qu’on croit, et que le mouvement sportif n’a pas l’initiative de l’itinéraire de l’EPS.
A corps perdu ?
L’EPS aurait un second problème : elle ne serait pas (assez) centrée sur le corps ! Mais qui récuse aujourd’hui la place du corps en EPS ? Peut-on imaginer le sport sans le corps ? Les seuls à poser la question réellement sont les lobbyistes de l’e.sport. Et encore jouer à un jeu électronique ne peut se faire actuellement sans corps, même a minima.
Peut-on imaginer le sport sans le corps ? Les seuls à poser la question réellement sont les lobbyistes de l’e.sport.
Évidemment la question de la définition du corps se pose. Qu’entend-on par là ? Une revue de littérature ne nous aidera pas beaucoup, ce qu’est le corps est rarement défini, même dans des ouvrages où c’est le sujet principal. On se retrouve face à deux possibilités : ou bien le corps est défini par la matérialité de l’être, et on va vite buter, dès lors qu’on parle éducation, sur un dualisme assez classique. Car identifier le rapport que j’entretiens avec mon corps revient mécaniquement à distinguer le « je », ma personne, de mon corps, lui conférant ainsi une forme d’extériorité qui pose problème autant au plan scientifique qu’au plan pratique.
L’autre possibilité est de considérer l’être humain comme un tout, complexe et unique, dont l’existence est conditionnée par sa matérialité, le corps. Être sans corps est un non sens (sauf pour celles et ceux qui se situent dans une religion), l’inverse étant aussi vrai puisqu’un corps sans Être est un cadavre. Dans ce cas de figure, le corps se confond donc avec l’être, la personne, le sujet. Parler du corps, c’est donc parler de la personne.
Finalement à quoi cela nous sert-il de parler du corps ? Dans la littérature, la référence aux « usages du corps » nous pousse vers l’idée d’un corps outil, d’un corps instrument. Il y a donc quelque part un siège de la commande (qui n’est pas corps ?) et un outil que l’on doit contrôler. Ce qui peut être concevable dans le langage courant pour parler vite, mais pas au plan scientifique : nous ne sommes pas un ordinateur qui pilote une machine.
Il n’est pas question pour nous évidemment de refuser de parler du corps, dans le langage courant, y compris avec des élèves pour leur parler du rôle de leurs bras ou de leurs jambes à tel moment… Mais dès lors que l’on travaille sur la définition de l’EPS, ça pose des problèmes qui ne nous permettent pas de parler « mieux » de notre discipline, tellement c’est évident (qui pense aujourd’hui que le corps est absent en EPS ou dans le sport ?), ni même pour se différencier : on étudie aussi le corps, y compris pratiquement, en SVT !
Qui pense aujourd’hui que le corps est absent en EPS ou dans le sport ?
Il n’est donc pas du tout sûr que forcer le trait sur le corps apporte quelque chose de nouveau à l’EPS. A moins que ça soit une ruse pour, rejoignant ainsi le précédent sujet, l’opposer au sport ?
Les finalités, une valeur refuge ?
S’il y a un souci partagé, c’est bien celui des finalités de l’EPS. Sujet « patrimonial » de l’EPS, largement présent dans les formations, ayant fait l’objet d’épreuves de nombreux concours, au-delà de l’accord de surface (voire de désaccords dans les priorités), il bute immanquablement contre un mur, celui des mises en œuvre. Car pour être réaliste, il faut passer les finalités au crible de la faisabilité et de l’efficacité. Comment forme t-on à la citoyenneté ? A la responsabilité ? Peut-on réellement penser qu’en faisant passer un jeune dans le rôle de « coach » (si tant est que ça soit possible pour tous et toutes dans le cadre d’un cycle), pendant quelques minutes, le rendra responsable ou altruiste ? Ne peut-on penser qui plus est qu’il existe des coachs humainement détestables ?
Peut-on réellement penser qu’en faisant passer un jeune dans le rôle de « coach »(…) pendant quelques minutes, le rendra responsable ou altruiste ?
Est-ce que cette question n’a pas été au bout du compte instrumentalisée pour, là encore, tenter de se démarquer d’une EPS sportive par définition ? A vouloir remplacer, petit à petit, les acquisitions pratiques, concrètes, techniques, par des apprentissages d’attitudes ou de comportements, on risque tout simplement de transformer l’école en outil de dressage comportementaliste.
A vouloir remplacer, petit à petit, les acquisitions pratiques, concrètes, techniques, par des apprentissages d’attitudes ou de comportements, on risque tout simplement de transformer l’école en outil de dressage comportementaliste.
Au passage on transforme le contenu d’une discipline, au sens scolaire d’organisation des savoirs, à une discipline qui « discipline » les individus.
Ne peut-on faire l’hypothèse que le rôle de l’enseignant, sa posture, son action, joue un rôle primordial dans la façon dont on aide un élève à se construire, parfois indépendamment du contenu même « disciplinaire ». Et qu’à vouloir (disons à ce stade que ça part d’une intention louable) faire rentrer dans les contenus, a fortiori dans l’évaluation, les compétences dites sociales (il faudrait revenir là encore sur les définition car il n’existe pas à notre sens de compétence « non sociale »…), on dédouane l’enseignant de s’interroger sur sa propre attitude et de ce qu’il porte, au quotidien, en terme de valeurs. D’une certaine manière et de façon paradoxale, chercher à inscrire certaines choses dans des tâches (coach, arbitre, aide…) déshumanise l’acte de transmission. Pour l’enseignant il suffirait de concevoir des tâches et de les évaluer, pour les élèves de faire et répéter…
L’enseignement, pour rendre l’humain plus humain, exige (entre autres) deux choses :
- Transmettre des savoirs, c’est-à-dire faire acquérir une polyvalence de connaissances suffisante pour appréhender le monde. De ce point de vue, tendre vers une forme d’encyclopédisme reste un objectif. Plus on a de connaissances, plus on dispose de pouvoirs d’agir. C’est cette volonté qui a historiquement bâti les disciplines.
- Transmettre des valeurs qui, faisant système, constituent une forme de déontologie de l’action. C’est l’enseignant qui organise, plus ou moins facilement, de façon plus ou moins explicite, cette transmission.
A titre d’exemple, porter les questions d’égalité filles/garçons ne passe pas, c’est notre expérience et notre thèse, par donner des contenus différents aux deux sexes. De même que faire des équipes mixtes ou non mixtes ne donne aucune clé aux élèves pour accéder aux valeurs d’égalité, de respect, etc. C’est bien l’enseignant, au quotidien, en étant attentif et en « chaussant les lunettes de l’égalité » qui pourra instruire et faire passer quelques messages. D’ailleurs on se souvient de ses anciens profs plus pour la personne qu’ils étaient que pour le reste…
Bref une fois qu’on a parlé des finalités, des valeurs, des comportements, des attitudes, on a tout dit, mais rien fait.
Le débat, lorsqu’il a lieu, en EPS, repose sur une certaine facilité, depuis très longtemps. En surfant sur la vague des généralités et des bonnes intentions, on passe sous silence le travail nécessaire pour comprendre, par exemple, comment devient-on solidaire ! Et sans doute aussi faudrait-il sur ces sujets faire preuve d’un peu de modestie. Un enseignant sait apprendre à quelqu’un à nager, mais apprendre à être citoyen, c’est une entreprise de longue haleine. L’Ecole dans son ensemble n’y arrive pas toujours…
Pour terminer on peut soumettre l’idée que dans un contexte où « bouger » devient la vitrine de la politique sportive du gouvernement, où le corps est désocialisé par les interdictions liées à la pandémie, et où la citoyenneté d’aujourd’hui est synonyme d’obéissance, peut être faut-il que l’EPS se replace sur des bases solides : l’étude des APSA permettant d’acquérir une culture sportive et artistique tout en la critiquant. Et peut être se poser la question de former non pas un citoyen ou une citoyenne, mais des humains… subversifs car émancipés ?