Bien que s’affirmant « culturaliste ». Mais c’est sur fond de divergences théoriques avec ce que porte le Centre EPS et Société. Raymond Dhellemmes (Professeur d’Eps puis Ipr, a piloté de nombreuses années le Cedreps, groupe de l’aeeps) pointe ici les principales controverses qui différencient selon lui le CEDREPS du Centre.
Rappelons dans un premier temps ce qu’est le collectif CEDREPS. Crée le 18 mars 1994, ce groupe ressource de l’AE EPS, est constitué d’une centaine de personnes structurées en groupes de régions et en collectif national. Sa filiation historique revendiquée, se trouve dans les mouvements et groupements qui ont contribué à la construction de notre discipline. Co-organisateur, avec l’AEEPS, entre autres, des 10 universités d’été de l’EPS (1984 – 1993), il s’inscrit dans la continuité des ambitions et des options qui, dès 1973, ont fondé les contenus et les perspectives pour l’EPS (stages de sports collectifs, Rencontres de l’EPS de Montpellier (BONNEFOY 2015). Cette filiation se reconnait dans une démarche qui consiste à analyser, communiquer la signification des innovations de praticiens réflexifs, à la fois experts d’APSA et en enseignement en EPS. Ce travail d’analyse recourt à divers champs théoriques, puis dans de multiples références, professionnelles (didactique de l’EPS), scientifiques (travaux du groupe EPS du département de didactique des Disciplines de l’INRP- 1985-1995), sciences de l’éducation et de l’évaluation. Au besoin, nous ne rejetons cependant pas d’autres métissages théoriques.
C’est un fait : nous ne partageons pas la conception qui voudrait que les APSA soient considérées comme des « œuvres »1, des entités théorisées, des objets posés en extériorité, comme « ce qu’il y a à enseigner ». Précisons avant toute chose que nous préférons aujourd’hui utiliser l’acronyme « Pratique Physique Sportive Artistique et de Développement » (PPSAD) plutôt que celui d’APSA. Pourquoi cette décision ? Parce que leur usage indifférencié est source de confusions permanente. Une pratique est un champ de contraintes sociales incitant à déployer une activité pour s’y adapter. On peut par exemple être dans une pratique apparente de volley et ne pas déployer une activité de volleyeur. Cela est bien connu des enseignants d’EPS. D’où l’intérêt pour eux de pouvoir inférer à partir des comportements des élèves, l’activité adaptative singulière que suppose la pratique d’une PPSAD. Cette inférence suppose une modélisation de cette activité2. Dès lors, ce qui est (ou devrait être) enseigné en EPS ce sont les conditions qui permettent aux élèves de développer une activité singulière, de la réorganiser autour de champs caractérisant une motricité spécifique : signification de l’engagement dans l’agir, activité perceptive, coordination, équilibration, propulsion, régulation tonique, intentionnalité …
Ainsi, il nous parait essentiel par exemple de différencier l’activité du nageur de la natation : la culture est incorporée « par l’agir », l’expérience. Elle n’est pas dans une « PPSAD » supposée être une œuvre. La notion d’œuvre ne nous convient pas. S’il fallait étudier « l’œuvre » il faudrait étudier par exemple et en acte (comme le fait la danse), le match de la finale de coupe du monde 1998, en vivre des tranches, les comprendre, etc. Or, tout match est unique, il ne peut se rejouer. La vidéo n’est pas le match mais un regard sur le match, lequel se dissout en même temps qu’il se réalise. On peut certes tenir un discours sur une représentation de pratique. Son étude sera in fine, une approche « post mortem3 ». Par ailleurs on sait que les PPSAD deviennent tellement plurielles que les œuvres s’additionnent : il existe des football, des rugby… Les pratiques hybrides se multiplient ! Leur réification devient improbable.
Selon nous, les PPSAD ne s’enseignent pas. Elles se pratiquent. Les enseignants mettent en place les conditions d’une pratique sous des formes scolaires. Leur intention est d’enseigner des éléments de savoir appartenant à ces PPSAD ou à des ensembles pouvant converger en expériences semblables. Vivre à l’école, « ce qui fait culture » dans une PPSAD, ce n’est pas vivre toute la pratique sociale4. C’est vivre l’expérience de ce qui la constitue essentiellement, en ciblant quelques « pas en avant » possible dans le contexte scolaire. Cela dit, nous avons les mêmes réticences que le SNEP devant une traduction molle des contenus spécifiques de l’EPS. Ces critiques nous paraissent justifiées mais ce ne sont pas pour les mêmes motifs. Ces motifs différents correspondent à des conceptions non explicites comme TESTEVUIDE S., et TRIBALAT. (2016) l’ont montré dans un de nos derniers cahiers. Conceptions du corps, du savoir, de la culture sur lesquelles il nous paraîtrait nécessaire de revenir. On sait par exemple que les modalités d’usage du corps sont de nature culturelle5. Entrer dans une pratique c’est forcément déployer une activité culturelle. L’universalisation du sport masque cet impératif, contrairement aux danses dont les ancrages anthropologiques sont fortement marqués.
On ne devrait donc plus dire qu’en EPS, « on enseigne les PPSAD », comme s’il s’agissait « d’objets en soi ». Si c’était le cas, l’EPS serait-constituée d’une succession d’initiation aux sports considérés comme éducatifs en eux-mêmes. D’un autre côté, tenter de faire entrer toute l’EPS dans un cadre formel construit à priori constitue à terme, une impasse. Cette tension entre deux approches : d’un côté ce qui relèverait d’ un culturalisme rigide et de l’autre, d’un formalisme curriculaire6, doit et peut être dépassée. On re-questionne ainsi la conception du progrès en EPS qui ne peut plus se superposer à la notion de niveau de pratique ne serait-ce qu’au regard du coût des apprentissages. Notre intention n’est pas de former des handballeurs, footballeurs, volleyeurs, des danseurs étoile, gymnaste ou athlète de performance élevée. Elle est de permettre l’étude des aspects les plus saillants de PPSAD organisées autour de cohérences éducatives. On poursuit ainsi un double objectif. D’un côté, on crée les conditions de l’incorporation de « ce qui se joue » dans une PPSAD, l’activité qu’on y déploie, de « ce à quoi on joue ». « Vivre une tranche de handball » disait avec pertinence Maurice PORTES. Expérience, ressentis, émotions répondant à des ressorts profonds. D’un autre côté, on permet l’accès à une compréhension de certaines propriétés corporelles, des moyens d’agir sur elle. Ces contenus correspondent à la formalisation de règles et principes d’action conduisant à progresser vers une pratique autonome.
Enfin, le monde des sports, de l’affrontement, du dépassement ne peut plus demeurer aujourd’hui l’unique référence des pratiques sociales à transposer dans le monde scolaire. Aujourd’hui, le développement massif de toutes les formes de pratiques, leur hybridation, leur métissage7, interroge les finalités même de l’EPS, alors que ses missions n’ont jamais été aussi évidentes, notamment pour tout ce qui touche à l’éducation en acte, pour la santé. Au-delà de ces missions, la question de la transmission culturelle des PPSAD se pose différemment. La culture c’est à la fois ce qui unit et sépare, ce qui libère et enferme. Pour ces motifs, nous recourons aux notions de « mondes » proposée par TRIBALAT (2010), d’expériences corporelles culturelles (cahiers N° .14, 15).
On dispose aujourd’hui d’un matériel théorique remarquable pour traiter ces questions de fond qui se posent à l’EPS considérée comme une discipline scolaire disposant d’une cohérence interne. Nul besoin de recourir à des formalisations abstraites. Les soubassements théoriques qui nous paraissent pouvoir éclairer la construction de notre discipline d’un jour nouveau sont méconnus voire ignorés des universitaires, des responsables institutionnels de la discipline, des militants du SNEP et probablement de leur encadrement. Ce matériel théorique est celui sur lequel s’appuie la didactique et l’épistémologie des disciplines scolaires. C’est celui avec lequel avance le CEDREPS.
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018
- NDRL : cette thématique est traitée aussi dans le chapitre « Etude » en EPS.↩
- Ce point est particulièrement développé dans le dernier article de Maurice Portes (2015): « expertise technologique dans les spécialités sportives et décisions didactiques et méthodologiques du professeur EPS : quelques rappels, cahier 14↩
- Proposition de Tribalat T.↩
- Partis pris par le CEDREPS, développé dans le cahier N°7 (COSTON A., UBALDI J. L., 2007)↩
- Nous pourrions ici multiplier les références dont une des principales serait le texte de Marcel MAUSS sur les techniques du corps↩
- Voir propositions de R DHELLEMMES dans les cahiers 14 et 15. « EPS : Quelle matrice disciplinaire aujourd’hui ? Quelles (s) alternative(s). Première partie, Elucider les matrices disciplinaires de l’EPS. Seconde partie : Éléments pour un renouvellement de la matrice disciplinaire↩
- De nos jours, de nouvelles PPSAD se créent quotidiennement. On ne peut plus aborder la question de la référence comme nous le faisions il y a quelques temps : encyclopédisme et réification. Le risque de « dilution » de notre objet disciplinaire est patent. Des choix sont à opérer. Nous travaillons cette question de fond qui conduit à un renouvellement de la matrice disciplinaire.↩