Claude ONESTA après avoir pratiqué la compétition et abordé tous les échelons d’entrainement, a conduit l’Équipe de France de handball aux titres les plus prestigieux, à plusieurs reprises. Il était en 2018 investi par la Ministre L. Flessel, d’une mission sur la haute performance.
Dans votre rapport vous dîtes vouloir remplacer « le plus par le mieux ». La situation n’étant pas précisément abordée, n’est-ce pas reprendre un air du temps qui explique, que dans tous les services publics, ce n’est pas un problème de moyen mais de répartition ?
Mon objectif n’est en aucun cas de vouloir faire mieux avec moins mais, dans un premier temps, de rendre efficients tous les moyens disponibles, de faire bien avec ce que l’on a. Ce n’est pas gagné car il faut convaincre tous les acteurs à cet objectif de haute performance, ce qui n’est pas totalement acquis dans les sphères fédérales dirigeantes. Il faut d’abord comprendre la situation, en faire une évaluation interne, afin de rendre tous les moyens disponibles efficients. C’est déjà un travail considérable d’unifier tous les points de vue, les décisions et comportements, vaincre toutes les résistances parce que la haute performance est un travail de grande précision et de permanentes remises en question. Au vu du travail mené et à terme, des demandes de moyens complémentaires peut devenir nécessaire. A priori, tout ne passe pas par les moyens mais éviter cette question peut s’avérer contreproductif par rapport à notre projet d’être au meilleur des exigences de la HP.
« La performance en soi on s’en fout » (Le Monde du 14-01-2016). Vous disiez préférer la relation des joueurs entre eux au résultat. Certes, mais le résultat arrive-t-il naturellement de ces relations ? En handball, la longue série de victoires n’a-t-elle tenu qu’à ce choix ?
La nature d’un joueur à ce niveau-là n’est pas d’être motivé, on n’a pas à chercher à le motiver. Il est là, cette question est réglée. Le problème est de leur donner les moyens afin de faire mieux, ensemble, pour réaliser leur objectif qui est de gagner. En HB, notre expérience de la pérennité de la réussite tient à deux facteurs. D’abord la recherche permanente d’innovation, c’est-à-dire être sur le terrain de solutions que les autres n’ont pas encore explorées, c’est aussi ce qui maintient leur curiosité et nourrit leur intérêt pour le travail d’entrainement. Ensuite, la recherche de l’épanouissement des joueurs et celle-ci ne peut fonctionner que dans un environnement de qualité qui soutient leur relation d’intérêt à la performance. Trop de personnes croient que cet intérêt est seulement financier. C’est un tort, car, dans des situations de souffrance, de douleurs, cette chaîne d’intérêt se rompra. Innovation permanente et épanouissement sont le cœur de cette dynamique.
Vous parlez de la haute performance pour personnes convaincues de son intérêt. Que diriez-vous à tous les détracteurs de la HP pour les convaincre de sa nécessité ?
Pourquoi ce besoin d’extrême ? Pratiquement, ce besoin est corrélé chez moi à la préoccupation importante de « l’être ensemble ». En compétition on fait avec les autres. L’autre n’est pas mon ennemi, il est ma chance. A mes débuts d’entraineur j’ai trop cru au langage guerrier. Je me suis départi de cette idée car pour un sportif de haut niveau l’idée d’ennemi ne lui parle pas, surtout que bien souvent, en équipes nationales, ils rencontrent des individus avec qui ils jouent ensemble dans tel club, se connaissent par leurs multiples confrontations, ont, parfois, des relations d’amitiés en privé…. Il faut comprendre que plus l’autre va être performant, plus il va être un être complexe plus il va m’emmener à m’améliorer ; il va m’enrichir des révélations de mes propres limites, de mes insuffisances. L’autre est un repère, un modèle et malgré tout, ils seront capables de s’empoigner sévèrement pour vaincre. Il m’est arrivé, d’ailleurs de magnifier l’adversaire afin que mes joueurs soient meilleurs que la veille pour être à la hauteur du combat.
Est-ce que le peu de rapports (ou de rapports insuffisants) des sportifs de la HP à la société n’est pas une cause de leur incompréhension réciproque ? Enrichir ces rapports ne serait-il pas une voie prometteuse pour peaufiner la mission nationale de ces sportif.ve.s ?
L’affichage public du comportement des joueurs est très important. J’ai toujours veillé à ce que, dans les hôtels où nous séjournions, ceux-ci n’aient pas de rapports socialement réprouvés. C’est important de ne pas fléchir sur ces questions bien que, du point de vue des dirigeants, cela ne soit pas toujours vérifié. Le traitement médiatique, que nous ne contrôlons pas, fait partie du système de la haute performance. Les achats, à prix d’or, des événements, contraint les journalistes à créer des réactions d’attraction par excès. Tout est surjoué, volontairement. Certainement de l’ordre serait à mettre en place. En attendant, le système fonctionne ainsi et nous devons, pour nos propres responsabilités, organiser au mieux notre image collective. La question médiatique parce qu’elle soutient le spectacle sportif est certainement à traiter mais c’est un cadre qui ne relève pas de notre autorité.
Peut-on parler de système, de mesures spécifiques pour les femmes ? La haute performance féminine est-elle traitée à égalité avec celle des hommes ?
Je n’ai jamais eu en charge d’équipe féminine, je suis donc sans expérience mais pour avoir souvent discuté avec mon collègue Olivier KRUMBHOLZ, il m’a toujours dit qu’il entrainait des athlètes, pas des filles. La haute performance féminine, dans la plupart des disciplines sportives, est très souvent moins bien dotée que les projets masculins. Le sport d’élite répond à des considérations économiques qui apportent la justification de ces différences. Le partenariat privé est moins dynamique et moins valorisé pour promouvoir les projets féminins et les droits de télévision pour diffuser les compétitions n’ont rien de comparable avec les investissements réalisés pour les masculins. La route est encore longue pour qu’il soit mis fin à cette forme de discrimination.
Mais certaines disciplines sportives ont avancé sur le sujet, la Fédération Française de handball est exemplaire puisque le projet fédéral ne fait aucune différence entre les secteurs masculins et féminins. Investissement et budget de fonctionnement similaires, niveau de rémunération des sélectionneurs équivalent, mêmes indemnités journalières versées aux sélectionnés (es), même prime de résultat à l’issue des compétitions internationales.
Sûrement à méditer pour d’autres…
Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018