Représentations et pratiques des loisirs des filles et des garçons dans l’animation enfance-jeunesse

Temps de lecture : 5 mn.

Les recherches de Stéphanie Constans 1 portent sur l’étude du développement en contexte et du processus de socialisation plurielle et active de l’enfance à l’âge adulte, au sein de différents milieux de vie (famille, école, structure de loisirs).

Entretien paru dans le ContrePied « EPS et loisirs » HSn°29, 2021

Quel est le processus de socialisation de genre à l’œuvre dans le cadre de structures d’animation, quelle égalité ou inégalités entre les filles et les garçons ? Pouvez-vous nous éclairer sur la place du jeu dans les loisirs à travers l’examen des représentations des loisirs des animatrices et des animateurs, des enfants et des adolescent·es ?

Il n’est pas aisé d’évoquer la question du jeu et de sa place dans le cadre des loisirs organisés des enfants et des adolescent·es dans le champ de l’animation, si l’on considère, d’une part, que le jeu, et plus largement le loisir, est un temps libre, non contraint, géré par l’enfant ou l’adolescent·e lui-même, échappant à l’initiative de l’adulte et, d’autre part, que le jeu est avant tout une affaire de sens donné à la situation. En effet, la pluralité des approches théoriques invite à retenir des points de repères concernant les caractéristiques du jeu, en concédant qu’elles puissent être plus ou moins présentes, plutôt qu’à le délimiter par distinction (Brougère, 2005 2) : le second degré (caractère de faire semblant), la prise de décision (succession de décisions qui organisent, construisent et transforment l’activité), la règle (implicite ou explicite, codifiée ou inventée, négociable et modifiable), la frivolité (absence de finalité du jeu, mise à distance des conséquences) et l’incertitude (de l’issue et du déroulement du jeu, qui découle des choix du joueur). Les structures qui encadrent les loisirs des enfants et des adolescent·es s’inscrivent (le plus souvent) dans une perspective éducative amenant à des formalisations du jeu au risque de réduire ou d’oblitérer les caractéristiques fondamentales du jeu.

Qu’indique votre enquête sur les représentations et les pratiques du point de vue des animatrices et des animateurs ? 

Il existe des représentations du loisir distinctes selon le genre des professionnel·les avec des représentations des animateurs orientées vers l’accompagnement éducatif des adolescent·es et des représentations des animatrices orientées vers les dimensions relationnelles et sociales des enfants. Même si les animateurs valorisent des méthodes participatives, ils conditionnent le loisir à un résultat en termes d’apprentissage et de développement, les amenant à une forme de gouvernance. Ils appréhendent également les loisirs comme un espace de socialisation (en particulier d’apprentissage de la citoyenneté) et de pratiques (plutôt physiques et culturelles relevant du domaine marchand), s’inscrivant dans un programme élaboré par l’animateur, en concertation avec lesadolescent·es et parfois autofinancées par ces dernier·es. Les animatrices appréhendent également les loisirs dans une perspective éducative mais dans une moindre mesure que leurs homologues masculins. Elles valorisent davantage les dimensions affective et sociale dans les loisirs et mettent en exergue la primauté des aspects relationnels (écoute, sécurité, etc.) dans les interactions avec les enfants, mais aussi en direction des adolescent·es, et accordent une place au jeu plus importante.

Et du côté des enfants et des adolescent·es ? Existe-t-il des représentations du loisir différentes entre les filles et les garçons ? 

Il existe en effet des différences entre les filles et les garçons, mais il convient de distinguer dans un premier temps les représentations caractéristiques des enfants et celles des adolescent·es. Du côté des plus jeunes, les loisirs organisés sont considérés comme un mode de garde sur un temps contraint pour l’enfant (sur le temps de travail de leurs parents) ; pour autant, les enfants considèrent aussi que les loisirs offrent un espace de liberté par la pratique du jeu, marquant sans doute, ici, leur appropriation et leurs marges de liberté dans cette organisation orchestrée par les adultes. Cette seconde représentation, partagée de façon générale par les enfants, est toutefois davantage présente dans le discours des garçons. Les enfants envisagent également les activités de loisirs comme un vecteur d’apprentissages au travers notamment d’activités de réalisation de soi (de type manuel, créatif notamment). Ces activités sont davantage plébiscitées par les filles. Les adolescent·es, de leur côté, appréhendent les loisirs dans une double finalité de convivialité et de détente, se traduisant par des discussions entre pairs et avec les animateurs et les animatrices d’une part, et des pratiques informelles (babyfoot, billard, jeu vidéo, etc.) d’autre part. Par ailleurs, les adolescent·es envisagent également les loisirs comme un espace de pratique d’activités formelles, organisées et comme l’occasion de participer à des séjours, avec une préférence des adolescents pour des activités physiques et sportives (relevant du domaine marchand) et des adolescentes pour des activités favorisant la découverte et le lien social.

Quels sont les enjeux liés à la socialisation de genre ? Les filles et les garçons investissent-ils de façon spécifique ce cadre structuré des loisirs ? 

En effet, si les filles envisagent des activités ludiques dans le cadre de leurs loisirs, au même titre que les garçons, elles privilégient de manière plus marquée que ces derniers des activités sources d’apprentissages ou de lien social. Le jeu, sous ses différentes formes (jeu de rôles, construction de cabane, sport, babyfoot/billard, jeu vidéo, lasergame, etc.), semble plus présent dans les loisirs organisés des garçons que dans ceux des filles, et ce quel que soit leur âge. Par ailleurs, les garçons privilégient davantage des activités de plein air, des activités physiques, les filles des activités de réalisation de soi et de découverte (de type manuel, créatif). Ces pratiques de loisirs différenciées des filles et des garçons font écho aux pratiques et aux propositions des animateurs et des animatrices à leur destination, souvent genrées : valorisation de la performance et des pratiques physiques chez les garçons, des activités de réalisation de soi et du lien social chez les filles.

« Ces pratiques de loisirs différenciées des filles et des garçons font écho aux pratiques et aux propositions des animateurs et des animatrices à leur destination, souvent genrées. »

Les animateurs et les animatrices participent ainsi de façon spécifique, dans le cadre des loisirs organisés, au processus de socialisation de genre et de construction des identités sexuées, renvoyant probablement à leurs propres socialisations de genre et identité sexuée, en opérant des distinctions entre filles et garçons à partir de leurs conceptions des activités de loisirs. Comme dans d’autres milieux éducatifs (lieux d’accueil de la petite enfance, école, etc.), il est notable que la coprésence ne suffit pas pour créer de la mixité et de l’égalité entre les sexes (Rouyer, 2007 3, posant notamment la question de la déconstruction des stéréotypes sexués et de la considération des processus de construction identitaire et de socialisation de genre.

Ce dossier thématique dédié à l'égalité pourrait vous intéresser

Stéphanie Constans, Véronique Rouyer et Emmanuèle Gardair, « La place du jeu dans les loisirs et l’animation enfance et jeunesse : représentations des acteurs », Sciences du jeu, 12, 2019 [en ligne]. 

Véronique Rouyer, Stéphanie Constans et Virginie Régeon, « Construction des rapports au genre dans l’enfance : les points de vue des filles et des garçons sur les activités sportives », Le sujet dans la cité, Actuels, n°7, pages 151-163, 2018.

Propos recueillis par Claire Debars, EPS & Société, et paru dans le ContrePied « EPS et loisirs » HSn°29, 2021

  1. maîtresse de conférences en psychologie du développement et de l’éducation, Université de Rennes 1, Laboratoire de psychologie (EA 4139), Université de Bordeaux
  2. Gilles Brougère, « Jouer/apprendre », Paris, Economica, 2005.
  3. « Véronique Rouyer, La construction de l’identité sexuée », Paris, Armand Colin, 2007)

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