Dans ses travaux de recherche Séverine Depoilly, reconsidère les modes d’explication concernant les différences de réussite scolaire des filles et des garçons, en termes d’adaptation pour les unes et de rejet-résistance pour les autres, qui ne traduisent pas la complexité des processus mis en jeu dans la classe.
Le couple, docilité chez les filles, virilité-compétition, culture de l’agôn chez les garçons expliquerait les différences de résultats des unes et des autres.
Pourtant, la docilité, avantage dans un premier moment des scolarités des filles se renverse en son contraire au moment de leurs orientations scolaires, ces dernières choisissant des filières peu valorisées.
Si la culture agonistique des garçons constitue d’abord un désavantage, elle devient, à tout le moins pour les garçons des milieux favorisés, un atout au moment de faire les choix d’orientation. Pour les garçons des milieux populaires, le renversement ne s’opère pas, ils s’égarent et s’enferment dans l’échec.
Sans nier les constats, c’est l’interprétation qui en est faite qui mérite d’être revisitée.
Vous dites : ce ne sont pas les caractères, les propriétés qui seraient intrinsèques aux filles et aux garçons qui informent sur les parcours scolaires, mais les manières avec lesquelles ils prennent place dans l’école.
Les filles seraient plus « soumises » parce qu’elles sont socialisées comme des filles dans leurs familles, de la même manière que les garçons seraient socialisés selon une culture du défi, de la compétition. Mais le seul fait de se référer au mode de socialisation familiale ne suffit pas, il faut les confronter aux situations scolaires et à leurs enjeux ; les individus ne sont pas figés dans des propriétés une fois pour toutes, ils mettent en œuvre des manières d’être et de faire dynamiques, mouvantes.
Le mode coopératif, collaboratif des filles s’accommode de l’ordre scolaire ; le mode d’affrontement, de compétition des garçons le heurte. C’est ainsi que les logiques de socialisation juvéniles genrées s’accordent distinctement aux logiques scolaires… Pouvez-vous expliquer ?
Les manières d’être et de faire sont le fait d’une mise en œuvre de dispositions socialement construites mais elles ne s’importent pas mécaniquement dans l’école. Dans les différents espaces de l’école, les entre-soi masculins et féminins sont très présents. Si les normes de sociabilité juvénile féminine s’accommodent davantage des règles scolaires, les garçons prennent davantage le risque de la rupture. Alors que les filles rusent avec l’ordre scolaire, résistent en simulant la mise au travail, les garçons résistent de façon plus ostentatoire. Même pour ceux qui tentent d’entrer dans les activités scolaires, les manières de le faire ne répondent que rarement aux exigences de l’acte d’apprendre. Très souvent centrés sur le résultat, la bonne réponse, il leur est difficile d’entrer dans un véritable travail d’élaboration, de recherche, de tatônnement. J’ai conduit mon enquête dans un LP de la proche banlieue parisienne relativement paupérisée. Dans ces établissements, les filles et les garçons ont rarement fait le choix de leur orientation, une très grande majorité est issue des milieux populaires précarisés, ils-elles ont souvent eu des parcours scolaires chaotiques pourtant les différences filles-garçons persistent.
Je fais l’hypothèse que la manière dont les garçons de milieux populaires agissent, notamment ceux issus de ces territoires urbains souvent qualifiés de sensibles ou de difficiles, est aussi liée à la dégradation des conditions de vie et de travail dans ces milieux. Cependant, ce qui se joue dans ces milieux urbains n’est pas assimilable à ce que d’autres fractions des classes populaires, dans d’autres contextes économiques et socio-géographiques, peuvent connaître. C’est ce que l’enquête exploratoire par entretiens que j’ai pu conduire en Champagne tend à montrer. La condition ouvrière, l’habitus ouvrier y sont moins disqualifiés qu’en Île-de-France. Le travail manuel reste donc une perspective honorable de même que l’orientation dans les filières professionnelles qui y préparent. C’est une donnée importante si l’on veut comprendre ce qui se joue de différent pour les filles et les garçons à l’école.
Quand on envisage ainsi les histoires des filles et des garçons, on ne peut être dans des propriétés figées des individus, on est dans des co-constructions, des mouvements, des processus, des dynamiques à l’œuvre concernant filles et garçons mais distinctement.
Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix et paru dans Contrepied- Égalité ! – Hors-Série n°7 – Septembre 2013