Sentir, dans son corps, le silence de la technique pour être dans le bruit tactique

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À l’occasion des internationaux de France de badminton qui se déroulaient à Paris en 2014, symbolisant la reconnaissance de la place désormais accordée au plan international au badminton français, Baptiste Carème sélectionné en double, et Philippe Limouzin, nouveau DTN à la Fédération, font part de l’évolution du jeu au plus haut niveau.

Comment caractériseriez-vous la pratique de haut niveau aujourd’hui et son évolution?

Baptiste Carème. Pratiquer au haut niveau, c’est d’abord consacrer un temps énorme à l’entraînement. Ce sport exige une concentration permanente tant au plan physique que mental afin de ne pas se laisser emporter par les émotions. On en arrive à vivre en pensant tout le temps à son sport, c’est un combat dans tous les domaines. Il requiert en même temps une habileté très élaborée tant la précision doit être grande pour prendre son adversaire de vitesse. Auparavant on assistait à de longs rallyes où on promenait l’adversaire aux quatre coins du terrain pour le fatiguer avant de conclure. Aujourd’hui le badminton est un sport de plus en plus physique au sens où les déplacements sont de plus en plus anticipés : il faut bouger encore plus, aller encore plus vite, taper encore plus fort. Les asiatiques réputés pour aller très vite et taper très fort se recentrent maintenant sur les aspects tactiques après avoir vu leur domination contestée par les danois notamment qui les gênaient considérablement dans leur jeu par leurs capacités tactiques. Aujourd’hui toutes les nations tendent vers l’équilibre de ce point de vue.

Philippe Limouzin. Aujourd’hui on en revient aux origines de ce jeu qui est un acte tactique. En effet on mesure maintenant les limites du technicisme ; certes, comme dans tous les sports les apprentissages techniques, la condition physique, la préparation mentale sont indispensables, mais ils doivent être mis au service des problèmes à résoudre et à poser à l’adversaire. C’est le sens du jeu.
Pour cela il faut acquérir beaucoup de rigueur : c’est un jeu d’adresse et d’explosivité qui exige énormément de temps d’entrainement.

Le bad est donc mixte et non communautariste, tout le monde s’y exprime, il y règne un Fair-Play exceptionnel

Comment gagne-t-on un match aujourd’hui ?

BC. En jeu il faut éviter au maximum les trajectoires ascendantes, c’est donner la possibilité de l’attaque à l’adversaire, or, tout se gagne à l’attaque. C’est un peu différent en simple et en double.
En simple il faut beaucoup de vitesse, d’explosivité, les joueurs sont très secs, légers, avec beaucoup de détente (le champion du monde a 1,05 m de détente).
En double aux mêmes qualités il faut aussi davantage de puissance, les deux joueurs se répartissant le terrain.
Donc les joueurs de double ont tendance à être un peu plus puissant que les joueurs de simple. Dans toutes les disciplines, il faut être le plus vite possible sur le volant mais en même temps rester en équilibre pour être précis et bien se préparer pour le coup d’après, construire le point mais en même temps terminer rapidement. C’est l’objectif, mais comme les joueurs ont progressé aussi en défense on peut assister à des échanges très longs.
Le principal en double c’est de faire la différence sur les quatre premiers coups : le serveur en double a une marge infime, il lui faut rechercher la précision au plus près de la bande du filet au service, pour éviter une trajectoire ascendante et donc se retrouver le premier en situation d’attaque. Chercher, dès le retour du service à viser la zone de divorce (entre les deux joueurs), les points faibles adverses ou leurs coups préférés afin d’avoir une forte probabilité d’un type de réponse et donc de pouvoir anticiper, sont des stratégies courantes à haut niveau.

PL. Je résume en une image : sentir dans ton corps le silence de la technique pour être dans le bruit tactique. Je n’ai pas peur, mon corps je ne l’entends pas et pourtant je suis sur un rythme terrible. Il faut voir la dépense physique que cela impose, c’est considérable, cet aspect est souvent méconnu peut-être parce qu’il est inimaginable.

Quant à la tactique, ça fait du bruit ! Mais revenons sur l’importance de l’habileté : par exemple, le service tel qu’il est conçu donne à l’adversaire l’occasion de te battre, comment faire ? On voit bien que l’habileté technique va permettre d’éviter au mieux de faciliter l’action de l’adversaire, mais c’est dans l’objectif de l’obliger à te mettre en situation favorable pour attaquer.

Les compétitions mixtes sont une grande spécificité du badminton. Qu’apportent-elles ?

BC. En double mixte, on a tendance à viser la fille. Mais c’est en même temps un piège, c’est un comportement un peu stéréotypé qui repose sur l’a priori que la fille est moins bonne en défense, qu’elle a de moins bons réflexes, en tous les cas qu’elle est moins puissante que le garçon. Ca devient un jeu très tactique qui nécessite de bien travailler les combinaisons avec son partenaire. Pourtant des fois c’est l’inverse et il m’est arrivé de chercher à déstabiliser plutôt le garçon que j’avais perçu comme moins performant ou moins gênant que la fille.

PL. Dans le double mixte je ne sais pas qui est meilleur, je constate que l’on cherche la fille, et celle-ci tend à poser le jeu, qu’on veut conclure sur elle, et elle remet sur l’ouvrage…la mixité au badminton, c’est la vie, la complémentarité des différences ! Faire vivre à des jeunes des défis de cette nature ensemble, ce ne peut être qu’un enrichissement. D’autant qu’à ce niveau la compétition est permanente, les joueurs sont classés, il leur faut sans arrêt se repositionner pour être mieux placés, c’est une vie terrible pour les athlètes.

Le bad est donc mixte et non communautariste, tout le monde s’y exprime, il y règne un Fair-Play exceptionnel au point qu’une banale bagarre lors d’une compétition a déclenché une réaction internationale pour sanctionner les auteurs. Dès le plus jeune âge ils partent en Asie, ils jouent devant des milliers de spectateurs, dans des stades bourrés. Tout cela leur donne à voir une diversité du monde, tout en pratiquant le même sport. Ils en reviennent plus tolérants. J’aime la bienveillance dont ils sont capables.

Entretien réalisé par JP Lepoix et paru dans le Contrepied Hors-Série n°8 – Badminton