Jean Pierre Lepoix questionne la signification de ces « nouvelles pratiques » dans leurs rapports à la culture, aux valeurs, au monde, et donc à l’EPS.
Depuis toujours les hommes se sont livrés à des activité ludiques afin de s’éprouver, faire l’inventaire de leurs capacités, en créer de nouvelles, à jouer avec leur corps, ou bien avec le milieu, jouer avec d’autres, contre d’autres, se jouer de … la pesanteur par exemple. Ces jeux, institutionnalisés pour nombre d’entre eux pour devenir sports, ne cessent de se développer.
Les sports urbains
La civilisation moderne s’est accompagnée d’une urbanisation frénétique, diminuant les espaces de jeu et privant, par la même, de possibilité d’expressions physiques multiples la majorité des citadins et notamment ceux dont les moyens financiers rendaient plus difficile l’accès aux pratiques organisées. Sont apparus alors depuis quelques années déjà ce qu’on a dénommé les sports urbains.
Les sports urbains interrogent les liens entre sport et ville, entre architecture et jeu, entre l’histoire urbaine et les nouvelles pratiques de l’espace public, donc entre les hommes et la ville. Les adeptes de l’entrainement urbain utilisent la ville et son mobilier pour s’éprouver, s’amuser, s’entrainer, performer aussi. Bancs publics, escaliers, trottoirs, rampes, terrasses, balcons, arceaux, murs, bornes et barres à vélo, mais aussi sols souples des aires de jeux… acrobaties, glisses, traction, sauts, courses, etc. gratuitement et à l’air libre, l’espace urbain est investi : l’exploit et la créativité sont recherchés.
Bike-polo dans les rues, inventé par les coursiers américains, street-golf où bancs publics, boites aux lettres, panneaux de signalisation deviennent les trous des green(balle semi dures ) ; slake-line pour les funambules avec toutes ses variantes; hockern où les pratiquants descendent des escaliers perchés sur l’objet et sautent des murs en l’utilisant comme «balle de jonglage» ; roller derby, la baston version féminine, chaussées de patins à roulettes, les athlètes se lancent dans une course-poursuite effrénée sur un terrain ovale, les attaquantes de chaque équipe, aidées par leurs coéquipières, essayent de dépasser le «pack» des bloqueuses adverses, qui jouent des bras et des jambes pour les en empêcher ; course d’escalier : gravir des marches et arriver le plus rapidement possible au sommet: des athlètes du monde entier se lancent à l’assaut des tours les plus célèbres du monde ; sans parler du skate-board devenu classique, ou du Parcours… gymnique d’un mur vers une terrasse, un escalier, avec acrobaties. Ou encore, autres pratiques qui consistent, à partir d’un sport existant, et à en modifier les règles, comme le plumfoot, évolution du badminton avec les pieds. Bien sûr cela ne va pas sans difficultés : apprentissage du partage de l’espace, dégradations du milieu, accessibilité confidentielle, etc. Il n’empêche qu’elles constituent néanmoins la manifestation de la conquête de l’espace urbain par une partie de la jeunesse, posant ainsi à leur manière le besoin d’activité physique et même sportive (quand on voit le niveau d’engagement et de réalisation des pratiquants), comme celui d’une ville avec des lieux de « respiration ».
Ce qui caractérise ces pratiques c’est la simplicité de leurs règles, c’est la facilité d’accès par l’utilisation du mobilier urbain existant, pas de formalités, ni d’autorisations, ni de cotisations… par contre cette culture de la distinction par le détournement des lieux et des objets qui le composent exige dextérité et audace, donc entrainement, pour y vivre les émotions recherchées. Un certain goût de la transgression et de la prise de risque y sont aussi généralement présents, tenant, de ce fait, une certaine frange de la population à l’écart, mais réunissant, parfois, au-delà des appartenances sociales, même si les lieux de pratique restent différents, un peu comme certaines danses urbaines d’ailleurs.
Leur développement, initié par les pratiquants, intéresse pourtant les institutions au point qu’un guide pratique du ministère J et S publie des ressources documentaires sur le sujet passant en revue l’ensemble des activités connues, aux fins de déboucher sur des projets, voir des emplois. De son côté l’Association des Maires de France rend compte d’une enquête, en 2011, mettant en évidence l’intérêt de ce qu’ils appellent « l’outil sport » à utiliser dans quatre directions : pour l’insertion et l’intégration, la prévention et la citoyenneté, la santé et l’environnement, enfin l’évènementiel. Nous sommes ici en plein malentendu : alors que les jeunes s’adonnent à des pratiques pour elles-mêmes, pour ce qu’elles offrent comme promesse de plaisir voir de développement, elles ne sont guère pensées ici que par utilitarisme.
De leur côté les marchands ne restent pas inactifs par rapport à ce mouvement, leur action repose essentiellement sur une idéalisation de la réalisation personnelle illustrée par le « just do it » de la Pub de Nike, en vue de rentabilité financière. Les compétitions sont accompagnées d’annonces publicitaires, d’animation musicale branchée, de Pom-Pom girls sexy, à l’image des USA, d’où la plupart de ces pratiques nous sont parvenues. Autant de trompes l’oeil qui ne règlent en rien la nécessité de satisfaire les besoins du plus grand nombre en la matière.
Seule peut être, dans cette dynamique créative, l’UFOLEP présente un cadre pour leur développement associatif, en même temps qu’un réseau de partenaires, un appui technique par l’accompagnement à la formation.
Alors quel intérêt pour l’EPS ? Disons d’emblée que nous sommes intéressés et, dans certains cas, interpellés par ces pratiques, par leurs potentialités développementales par les besoins des élèves qu’elles semblent croiser. Comment répondre ? Sans doute pas dans l’idée de plaquer dans l’école des pratiques marquées par le cadre dont elles sont issues. Mais peut-être d’y trouver l’idée de faciliter les modes d’entrée en activité pour nos élèves dans les APSA, de proposer les mêmes exigences pour les filles et les garçons, de solliciter la place de l’imaginaire dans la représentation que se font les jeunes d’une activité physique, d’encourager à l’engagement enfin, sans lequel toute activité sportive perd vite de sa saveur, en sachant toutefois que l’école a ses exigences en matière de sécurité et de valeurs que nous ne saurions ignorer. Des questions qui interrogent la transposition didactique des APSA.
Les sports extrêmes
Nous venons d’évoquer ci-dessus l’engagement, la prise de risque, dans les sports extrêmes (la question qui vient d’emblée est justement de savoir si ce sont toujours des sports au sens d’Hélias ? Comme leur nom l’exprime sports extrêmes, avec entrainement, solidarité, coopération, recherche de maitrise du risque, engagement…, tout ce qui constitue à mes yeux des éléments constitutifs du sport) c’est le véritable enjeu. Jouer un instant sa sécurité ou sa vie, au risque de la perdre : à défaut de limites et de repères que la société ne lui donne plus (oui puisqu’on est entrés dans le monde de la démesure, entre autre financière, mais aussi de l’exploitation des sols de la mer et bientôt de l’air) ou qu’il refuse, enfermé dans une logique sécuritaire absurde, ne lui permettant pas de se confronter à la maitrise du risque, l’individu, fort de sa marge croissante d’autonomie, cherche (les limites du monde ou cherche à repousser de façon extrême ses limites ?) dans le monde des limites de fait, quitte à côtoyer la mort. Désormais le rêve d’Icare est devenu réalité, avec le base-jump, l’homme vole ! Cette conquête de nouveaux pouvoirs s’exerce dans tous les milieux : aérien, terrestre, aquatique, concerne tous les continents : les régions les plus difficiles d’accès deviennent les nouveaux stades de la modernité : jouer symboliquement son existence pour gagner ce surcroît de sens qui rend la vie plus passionnante. Surfer des vagues géantes, descendre des couloirs de neige au dénivelé dément, s’engager dans des trails ou raids dans des conditions de durée et de milieux inouïs, enchainer des escalades en solo sur des parois verticales, plonger sous la banquise, enfin voler… ! (sans doute sont-ils les explorateurs d’un nouveau « nouveau monde » avec l’espace?)
Ces sports (pratiques ?) si spectaculaires ne (peuvent) concernent qu’une minorité infime de pratiquants : niveau de pratique de très haut niveau, coût financier très élevé pour se rendre sur ces lieux d’où l’exploit deviendra possible et équipement sophistiqué, équipes de tournage pour restituer avec qualité, contexte, ambiance et performance. Ils rendent compte enfin de la quête inépuisable des hommes, d’inconnu, d’inventions et de sensations, sources d’un développement dont les limites sont sans cesse remises en question.
Sûr que ces activités ne peuvent constituer, en elles-mêmes, une référence pour l’EPS, mais elles attirent notre attention sur leur signification profonde que la discipline ne peut ignorer et dont elle doit se saisir. Celle qui met l’individu ou le groupe face à lui-même pour résoudre une difficulté authentique qui exige, qualité d’observation, donc concentration, intensité des efforts, exigence technique, donc durée d’entrainement, qui permettent de grandir et qui donnent alors tout son sens à cette pratique.
Cet article est paru dans le Contrepied HS N°20/21 – MAI 2018 – Sport et Culturalisme