Lettre ouverte à la déesse Asics

Temps de lecture : 16 mn.

David Jobard adresse une lettre ouverte à la déesse Asics et à travers elle, à toute la communauté impliquée dans la défense d’une EPS de qualité, ambitieuse et reconnue, au service de tous les jeunes.

Cette lettre est une contribution au séminaire du centre EPS et Société de décembre 2020.


Chère Asics, ma déesse,

Comme tu le sais si bien, je ne m’arrête pas à ton acronyme et son cortège de symboles discutables (marque, mode, marché….) mais à l’aphorisme qui s’y rapporte et qui a guidé ma vie professionnelle jusqu’à maintenant.

Si je m’adresse à l’EPS qui t’incarne et donc à sa communauté que tu inspires, c’est que je ne doute pas de leur amour pour toi. Je sais compter sur elle pour qu’au-delà des clivages idéologiques l’on puisse au moins s’interroger sur les origines des maux qui, aujourd’hui, t’agitent et ses conséquences pour ceux qui au quotidien te pansent.

Tu m’as toujours appris de n’entreprendre que ce qui pouvait participer à la construction d’un idéal d’Homme, ce fameux citoyen critique, lucide, autonome et physiquement éduqué.

A cette noble finalité, d’abord une condition nécessaire, hélas, pas toujours suffisante ou autorisée. Qu’en chaque professeur vive ce fameux citoyen, sans lequel à défaut d’être un passeur de promesses, il pourrait ne rester qu’un faiseur d’illusions.

Ensuite, une triple exigence pour notre jeunesse. Inviter à l’effort et au dépassement de soi pour découvrir de nouveaux possibles, proposer des contenus ambitieux de culture motrice diversifiée qui promettent altération des représentations et transformations émancipatrices et, enfin, définir une évaluation lisible, fonctionnelle et équitable qui permette, en un clin d’œil, d’apprécier objectivement l’atteinte des objectifs visés.

A relire cette triple exigence, j’ai l’impression de parler d’un autre temps, d’une EPS qui ne se reconnaît plus. Neil Postman dans « Enseigner, c’est résister » en 1981 explique que l’école a un rôle thermostatique et doit, en quelque sorte, prendre le contre-pied de la température ambiante. Presque 40 ans mais déjà sous surveillance médicale.

Peut-être suis-je simplement devenu réac? Je te rassure, j’essaie d’être un bon, de ceux qui ont un penchant pour la comparaison et le jugement de valeur. C’est vrai, tu as raison, cela est quelque peu anachronique en cette période où l’on fait de l’adaptation et du pragmatisme, des vertus cardinales; où les situations de crise gérées dans l’urgence assujettissent pernicieusement les individus à la politique du fait accompli. Mais surtout ne jugeons pas, avançons.

A moins que ce ne soit toi qui ait changé par le truchement de cette insidieuse EPS, sensible aux courants de l’instant et aux modes du présent, perfusée d’injonctions paradoxales, de solutions ineptes, d’évolutions inquiétantes, d’incantations prémonitoires….

Aussi, la colère et le doute m’habitent. Tu l’auras compris, il ne s’agit pas ici du doute qui construit, toujours accompagné de sa logique cohérente et claire au service d’une pertinence identifiée.

Les malaises de notre EPS ne sont pas récents mais ils s’aggravent.
Son pronostic vital est engagé.

Il n’est pas nouveau que l’EPS, après avoir fait le bon diagnostic, propose un remède qui accentue le mal pour lequel il avait été prescrit.
Trois exemples récents parmi tant d’autres qui ont évolué quelque peu ou évolueront avec les nouveaux textes……………

Le premier est relatif à la sémantique. Entre le dire et le faire, une dépression.

Le législateur et les rédacteurs de la loi sont des éminences pour le sens des mots. Il n’y a donc aucune ambiguïté quant à l’utilisation, à la place de l’un ou l’autre. Chez eux, le mot est toujours au service d’une intention, d’une raison clairement identifiable à condition de prendre le temps d’en étudier sa polysémie.
En 30 ans, un petit qualificatif dans le texte, mais lourd de sens, utilisé pour définir la contribution de l’EPS aux grandes orientations de l’éducation s’est métamorphosé. De « l’EPS concourt à la formation d’un citoyen critique….. » nous arrivons à « l’EPS vise à former un citoyen épanoui….. ».
La critique, pour être audible et constructive, doit s’appuyer sur ce qui fonde l’enseignement, ses biens les plus précieux et les plus fragiles, le savoir et la connaissance. Des contenus ambitieux et exigeants qui ne peuvent faire l’économie du temps. Et nous le savons, le temps c’est aussi ……. de l’argent. Ainsi donc la critique est dans un état critique.
Qui veut former des citoyens épanouis, utiles, dociles au lycée siphonne des horaires disciplinaires réglementaires pour financer des gadgets pédagogiques (au hasard l’accompagnement personnalisé) donc voués à disparaître…
Qui veut former des citoyens épanouis, utiles, dociles en EPS siphonne les points de la prestation physique pour financer les AFL (Attendus de Fin de Lycée) n°2 et 3. De moyens douteux aux attendus vertueux, on risque le conformisme de façade…..
Enfin, qui veut mener à bien ces différentes missions, forme son personnel en conséquence. Il suffit de jeter un regard sur l’évolution des contenus des formations, initiale avec sa compétence d’allégeance à l’autorité supérieure et continue consacrée à convaincre la base du bien-fondé des réformes successives, pour mesurer l’importance de la dépression.
A l’école de la confiance tout a été prévu, aux maux du cynisme, les pansements de la bienveillance et de l’empathie.

Le deuxième traite des différences de genre au regard d’un écart trop important entre les moyennes des filles et des garçons au bac. La fin ne doit pas toujours justifier les moyens.

L’analyse des référentiels utilisés fut un bienfait. Ce travail permit de découvrir des options ineptes et de les corriger. La modification de programmations trop masculines ou la suppression d’une hiérarchie dans les modes de rupture de l’échange en tennis de table ou badminton à l’avantage des garçons sont des exemples parmi d’autres.
Mais des solutions artificielles, plus discutables, ont été appliquées afin de passer définitivement sous la barre du point d’écart de moyenne au bac entre filles et garçons.
Certaines épreuves barêmées ont été conçues manifestement à l’avantage des filles; quant aux activités appréciées, on n’a pas hésité à proposer des grilles différentes comme si l’apprentissage était sexué.
S’il était indispensable d’étudier ce phénomène, avons-nous tenu compte des pratiques sportives et culturelles de nos jeunes pour relativiser cet écart? De plus, alors que dans toutes les autres disciplines du bac, les filles ont une moyenne supérieure aux garçons, un examen général des moyennes nationales n’aurait-il pas permis d’accepter cette réalité voire même de se satisfaire que notre discipline pondère l’ensemble?
Mais comment condamner cette attitude zélée quand on connait l’intégration mouvementée et fragile de notre discipline corporelle au sein de l’école de l’esprit. L’incongruité est de taille, notre complexe « d’infériorité » ne l’est pas moins.
Le troisième et dernier exemple. Mieux vaut guérir que prévenir?!

C’est le nouvel antibio à large spectre qui fait des ravag……oh!!! Pardon des miracles.
Pour lutter contre la sédentarité, l’obésité, « les filles qui sont nulles en sport », l’inconfort de l’effort et du dépassement de soi pour les élèves, l’inconfort d’une éducation qui confronte, qui frustre, pour les professeurs, condition pourtant nécessaire aux transformations qui construisent, …. .la prescription comportera nécessairement des cures de CA (Champ d’Apprentissage) n°5.
Ainsi les ateliers de la cure proposent-ils la liberté de choisir son projet personnel d’effort a minima, sa note pour un maxima et son activité au plaisir immédiat.
Gare à sa posologie, c’est un dosage subtil où peuvent se confondre pédagogie et démagogie.
A l’âge de l’irresponsabilité est-il toujours bon de donner autant de liberté? N’est-ce pas déjà les abandonner un peu? Ont-ils déjà fait le tour du savoir et de leurs limites physiques pour, à leur jeune âge, les inviter à déjà les entretenir? Qu’ont à voir ces activités d’entretien avec ce public qui est en pleine croissance?

Asics met en garde ceux qui seraient tentés de justifier ce CA5 au regard du confinement actuel.
Il est surtout démontré que cette liberté, qui s’exerce dans un univers confiné, est manifestement apparente; que la recherche de son équilibre par le développement personnel est une gageure. Cela concerne, les pratiquants des activités de durée sous forme d’allers retours symboliquement en cage, et les adeptes de la musculation en salle où la dictature sociétale des formes du corps les invite à se reluquer le séant ou à s’inspecter les pecs (certes, les textes officiels ont opté pour des euphémismes de bon aloi et ont eu la prudence de faire parler les élèves).
Continuons à accompagner ce contre quoi nous devrions nous mobiliser.
La circulation « salvatrice » sur la toile et ses réseaux « sociaux » en toute immunité de ce CA5 est l’expression symptomatique de notre société malade.

………….et maintenant le coup de grâce.

Voici une des plus belles illustrations d' »anticipation coïncidence » de l’histoire de l’EPS et pour laquelle, pourrait bien sonner le glas.
La rencontre entre les derniers textes qui régissent notre discipline dans le cadre de la réforme du lycée et l’impact de ce covid 19 sur notre métier.
Ces derniers textes ne dérogent pas à la logique de l’illogique à moins que ne s’ourdisse un complot.
Que le cahier des charges des dernières commandes académiques et les ordres de marche en témoignent!

Commençons donc ce travail d’introspection par le cadre national proposé et ses critères de conformité.

Le préambule du programme d’EPS du lycée général et technologique de 2010 précisait:
« ….Elle (l’EPS) le (l’élève) confronte aux règles, us, coutumes nécessaires à l’acquisition d’un indispensable savoir « vivre ensemble » respectueux des valeurs de la République, déclinées selon deux dimensions. La première, sociale, comprend le respect d’autrui, de la règle, des valeurs de loyauté, d’effort collectivement partagé. La seconde, individuelle, vise le goût de l’effort,la persévérance, le dépassement de soi…… »
Le préambule du programme 2019, celui sur lequel nous travaillons, corrige son prédécesseur en supprimant, purement et simplement, toute référence au « vivre ensemble » et au dépassement de soi que ce dernier considérait pourtant essentiel et d’actualité. « .
Ma Déesse chérie, le développement d’un esprit sain peut-il se faire seul? Le développement d’un corps sain peut-il faire l’économie de l’effort?
Ceci dit, la vacuité du préambule à défaut de pertinence, à moins de scier les brancards sur lesquels nous sommes couchés, a le mérite de donner de la cohérence à la dilution des sports collectifs dans la CA4 et davantage d’aplomb à la CA5.

La finalité assignée à l’EPS est, désormais, définie comme suit. « L’éducation physique et sportive vise à former un citoyen épanoui, cultivé, capable de faire des choix éclairés pour s’engager de façon régulière et autonome dans un mode de vie actif et solidaire. »
Avez-vous remarqué? Plus aucune référence au physique. Le corps a-t-il quelque chose à voir avec la santé?
Qu’est-ce qui autorise l’EPS désormais, au regard de cette définition, à revendiquer une quelconque contribution à cette finalité?
Car, enfin, n’importe quelle discipline scolaire, n’importe quelle structure associative publique ou privée n’est pas moins légitime et…..à moindre coût!!

Enfin, les référentiels nationaux, gages d’une certaine égalité de traitement pour tous les élèves de France devant l’évaluation, disparaissent et sont remplacés par un cadre national à remplir localement?!
Les équipes de chaque lycée sont donc désormais invitées à prendre leur responsabilité quant à leurs conceptions. Généralement moins d’égalité et plus de responsabilités, c’est plus de liberté. Mais à l’école de la confiance, la reconnaissance des compétences ne peut s’accompagner, pour ce travail de réflexion collective à la conception de nouveaux référentiels, que de……….conformité.
Afin de s’assurer de la bonne conduite de l’opération, les autorités académiques, elles-mêmes mandatées, organisent, « accompagnent » ceux qui pourtant te pensent déjà au quotidien.
C’est tout dire de la considération qu’en haut lieu, certains ont de leur autorité ou de la nôtre. Si on avait voulu nous discréditer, nous infantiliser on ne s’y serait sans doute pas pris autrement.
Ainsi les inspecteurs et les professeurs se retrouvent-ils plus à formaliser qu’à finaliser, à guérir qu’à prévenir, à paraître qu’à être. Oui, hélas, à paraître parfois, dire et faire le contraire; une hypocrisie, un mal pour un bien. Une gangrène…

Concernant les critères nationaux de conformité, on relèvera que le renforcement du pouvoir d’agir, la reconquête du pôle moteur, coeur du métier c’est à dire l’AFL1 n’est suturé que de 12 points maximum sur 20.
Concernant toujours l’AFL1, on relèvera qu’à part un repère de moyenne pour la CA1, la répartition des points pour ses épreuves barêmées reste à la discrétion des équipes de chaque établissement. Même logique pour ventiler les points entre les deux éléments à évaluer entre 4 et 8 pour les autres CA.
Les AFL 2 et 3, centrés sur le comportement et les attitudes, ont fière allure avec leurs huit points décontextualisés de l’action motrice. Pourtant, déjà avant, les situations de référence des épreuves au bac et leurs exigences imposaient, implicitement, ces dispositions pour réussir.
Ainsi, sont-elles passées de « moyens pour réussir » à « attendus à évaluer ». Ce changement de statut des compétences méthodologiques et sociales, pour satisfaire au contrôle du contrôle de soi, porte, en germe, le danger de fragiliser le développement de cet esprit critique tant annoncé en négligeant ce qui le fonde, la connaissance et le raisonnement.
Il ne manque donc plus, à la réalisation de cette obéissance masquée sous la forme d’un travail sur le moi et ses émotions, qu’à proposer la liberté de choisir. A l’âge de nos élèves, cet instrument du bonheur est d’une redoutable efficacité pour faire passer des vessies pour des lanternes.
Il est donc logique à l’école de la confiance, pour l’évaluation de ces attendus, de laisser l’élève choisir sa répartition de points entre AFL2 et AFL3. L’institution lui donne le pouvoir de contourner la difficulté. Elle permet ainsi à l’élève de s’affranchir de pans entiers de formation et de « capitaliser » adroitement mais à court terme, sur ses inaptitudes ou ses négligences.
Comment en sommes-nous arrivés là?

A la vue des choix possibles pour la répartition des points pour les différentes AFL, on pourrait conseiller à la commission d’harmonisation des notes de bac d’anticiper l’achat de paracétamol. Comment avec tant de latitudes pour chacune d’entre elles, ladite commission, va-t-elle relever le défi d’harmoniser?
Il ne manquerait plus, pure imagination, que, seul, le choix de l’élève dans les AFL 2 et 3 soit à l’origine des écarts de notes relevés. Alors que, précédemment, la commission avait le pouvoir de corriger à la marge les notes et donc indirectement les choix des collègues, pourra-t-elle décrédibiliser l’institution en balayant d’un trait de plume ceux des élèves?

Terminons ce travail d’introspection par le cadre régional et ses critères de culture commune.

Peut-être, lui aussi, étranglé par toutes ces questions existentielles inhérentes à la vacuité du texte national, le corps de l’inspection régionale a convoqué ses urgentistes en recherche et réflexion pour intuber ce corps moribond. En tout cas, quelle que soit la raison, l’initiative est plus que louable. Une intubation donc en cinq critères.

Tout d’abord, si l’on peut concevoir qu’en urgence on ne puisse inviter l’ensemble de la profession à réfléchir à la sélection des exigences et des ambitions à intuber, peut être, eut-il été souhaitable d’interroger clairement, lors des réunions organisées par la suite à l’initiative de l’inspection, les collègues sur le bien fondé des critères formulés localement?
Prendre le temps de s’expliquer et d’échanger, de débattre de ce qui est essentiel ou accessoire, c’est au moins se garantir le respect et la confiance.
Des principes qui fondent l’autorité et non l’autoritarisme.

Après la méthode, les critères. Certes, même s’ils ne sont plus retenus pour la validation des référentiels, il n’est pas interdit d’échanger.
Si l’on comprend l’idée de « l’inédit », en quoi son érection en critère apporte-t-il quelque chose à l’épreuve puisqu’il lui est consubstantiel?
Passons sur l’évidence concernant les activités supports par nature incertaine et mobilisant des habiletés ouvertes et complexes. Pour les autres APSA, le stress de l’épreuve, l’absence d’un partenaire dans une production collective, les conditions climatiques, la présence de plusieurs professeurs voire de leurs camarades lors de l’évaluation, …………….., ne seraient-ils pas autant d’aléas suffisants à la création de contextes incertains permettant l’expression de l’adaptation et par là-même la mesure des compétences?
Ces contextes ne sont-ils pas suffisamment anxiogènes pour les candidats….?
Ne nous offusquons pas de la validation de certains inédits proposés qui, dans ce tableau clinique, a le mérite, parfois, de faire sourire.
Les critères « Amener l’élève à faire des choix optimaux en fonction de son potentiel » et « engager des phases de collaboration……quelle que soit la pratique physique support » pourraient être perçus comme des gardes fous répondant à une remarque précédente: « Ceci dit, la vacuité du préambule à défaut de pertinence, ………, a le mérite de donner de la cohérence à la dilution des sports collectifs dans la CA4 et davantage d’aplomb à la CA5 ».
Oui, ce sont bien des garanties essentielles mais pathétiques au regard du temps et de l’énergie dépensés par tous, à balader notre squelette dans le service des soins palliatifs.

Enfin arrêtons-nous sur l’évaluation des référentiels des équipes et leur validation ou non par les sous-commissions d’harmonisation.
On tentera d’honorer le critère « proposer un contexte exigeant qui traduit réellement la qualité de la préparation de l’élève » en l’illustrant de la démonstration suivante.
Puisque désormais n’importe quel(le) collègue a autorité pour juger de la validité des référentiels proposés par ces confrères, je vais donc me permettre d’invalider une validation de la commission d’harmonisation. Et cela pour deux raisons.

La première fait écho au compte rendu de la commission académique d’harmonisation d’avril 2020. En bas de la page 2, il est précisé : « Pour le premier critère qui renvoie à la présentation claire de l’épreuve….. Cependant sur cet item un deuxième élément d’analyse est à considérer. Plusieurs équipes formulent des propositions qui sont difficilement intelligibles, pour les membres de la commission d’une part mais surtout pour l’élève et sa famille. Sur ce premier critère il est important de simplifier la formulation sans pour autant simplifier l’épreuve en elle-même. ».
Sauf à considérer qu’une donnée m’ait échappé, ou à friser l’abrutissement ce qui est aussi envisageable, ou à être de mauvaise foi, voire à combiner les trois symptômes, à la lecture d’un de ces référentiels validés par la commission je constate qu’il faut que je consulte 5 pages, 5 tableaux qui regroupent 11 critères déclinés en 4 niveaux soit 44 cases…….?!?!
Certes, avec un travail de mise en page, on peut faire mieux. Certes, ce n’est pas tout à fait le sens de la remarque de la commission. Suffirait-il, alors, de consacrer plus de temps à l’évaluation?
Mais sommes-nous payés pour enseigner ou évaluer? Mais alors comment pourrons-nous évaluer ce qui irrémédiablement tendra vers du vide? Pour qui allons-nous encore passer?
Avec les collègues de mon lycée, nous avons toujours été sensibles à cette remarque. D’ailleurs on s’est permis de faire remonter deux propositions construites sur 4 critères et 4 niveaux soit 16 cases sur une page.
Avant tout, soucieux de la concision par la précision pour rendre nos fiches fonctionnelles, lisibles et équitables, nous nous efforcions de les concevoir sur 12 cases; là j’avoue on a un peu fayotté en créant un quatrième niveau afin d’accéder à la conformité nationale exigée. Nous espérons que la commission compétente sera sensible à nos efforts…..
…..hélas, nous pouvons rassurer les autres exclus, l’hôpital, débordé, saturé, s’est moqué aussi de notre charité.

La deuxième raison se fonde sur la consultation du référentiel handball déposé dans la banque académique.
Pour le sujet qui nous préoccupe, à savoir un « contexte exigeant », j’aurais d’abord opté pour des effectifs plus conséquents (5 + le gardien et remplaçants). Ils permettent de faciliter le développement, en nombre et en complexité, de stratégies d’équipe; condition nécessaire à l’émergence de la tactique (adaptation en jeu).
Ensuite, si les équipes doivent être homogènes entre elles afin d’assurer un rapport d’opposition équilibrée, l’hétérogénéité en leur sein exacerbe comportement et attitude, expressions des compétences méthodologiques et sociales tant recherchées. En corollaire, la performance collective ne doit relever que d’un rapport entre le nombre de tirs déclenchés seul(e) face au gardien entre 6 et 9m et le nombre de possessions de chacune des équipes.
De ces deux dispositions contraignantes, deux évidences émergent chez les élèves. Premièrement, ils prennent conscience que pour développer voire automatiser des combinaisons de jeu avec leurs partenaires, l’assiduité, l’attention, la rigueur, la répétition, la patience sont les seules garanties de réussite pour toute l’équipe. Deuxièmement, ils ressentent rapidement la nécessité « de choisir et assumer des rôles qui permettent un fonctionnement collectif solidaire » ……
Nous constatons donc à la lumière de cette démonstration que tous les AFL sont fondus dans un savoir complexe en action. A noter que ce tout-en-un est viable si les victoires ne sont pas prises en compte dans l’attribution de la note de performance, et fiable si le jury garde la liberté de corriger le résultat brut de la performance collective en la majorant ou la minorant, en fonction des prestations individuelles pendant l’épreuve. Cette attention permet de réserver à la note finale, son reflet le plus juste et le plus équitable.
Oui, plus le contexte sera exigeant, plus il sera dérangeant, plus des tensions émergeront, porteuses de recherche de solutions et de transformations durables. Oui bien sûr avec nos 35 élèves par groupe cela est plus fatigant mais c’est aussi bien plus gratifiant.

Et tant d’autres choses qui interpellent………………

Doucement mais sûrement, notre discipline s’est désenchantée, désincarnée.
L’EPS a perdu son âme et son latin; ambition nationale et exigences éducatives en berne.
L’EPS a sacrifié le coeur de sa singularité, de son identité, un corps à développer.
L’EPS a permis la dilution de ses objets culturels.

Ainsi, avec cette EPS en lambeaux, le moment ne serait-il pas opportun de donner le coup de grâce, de profiter d’un virus qui sacre le virtuel, en solution d’avenir?

Aussi, en ces temps funestes, n’est-il pas dérisoire de s’acharner sur des référentiels de baccalauréat qui, demain, ne serviront, peut-être, pas?

Occuper du temps de cerveau disponible, une stratégie éculée qui reste d’une efficacité redoutable. Futile, servile, utile, voilà bien une trithérapie de co-morbidité.

Si nous ne voulons pas de cette déesse, désormais, drapée d’oripeaux, la profession devra se mobiliser pour sauvegarder ce qu’elle croit juste et bon pour l’avenir des générations futures.
Sans réaction de notre part, pourquoi le ministère de l’Education Nationale continuerait-il à financer « généreusement » une discipline qui, depuis quelques années, est « soigneusement » étranglée?
L’argent du contribuable ne pourrait-il pas être mieux redistribué en cette période de crise?

Chère Asics, nous savons bien que tes incarnations sont mortelles; depuis le temps que tu en uses. Que ce soit EPS, CAS ou 2S2C peu t‘importe.
Nous espérons juste que tu sois restée insensible aux sirènes……des urgences, que tes sages leçons de vie soient toujours protégées par tes idéaux sacrés. Des idéaux qui ont fait le dévouement et la fidélité de celles et ceux qui t‘animent.
Pardonne nous ce sacrilège de l’insolence, chercher le mal derrière le mot, ce vecteur variant si galvaudé dont nous devons nous assurer afin que notre dernière question reste saine de sens.

Voilà, la seule interrogation qui vaille, aujourd‘hui :
voulons-nous défendre une EPS de qualité, ambitieuse et reconnue, au service de tous les jeunes, voulons-nous rester une discipline obligatoire dans le système scolaire français?