Quelle éducation physique, sportive et artistique (EPSA) pour l’avenir ?

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Contribution de Jean-Françis Gréhaigne, professeur honoraire des Universités en STAPS. 2020.

Les débats actuels sur la définition de la discipline m’incitent à apporter une contribution, en tant que chercheur en Staps et ancien vice-président de l’Association Internationale des Écoles Supérieures d’Éducation Physique. Une éducation physique, sportive et artistique (EPSA) de qualité repose sur des expériences sportives et artistiques positives menant à des connaissances, des émotions et du plaisir…


On n’est plus au temps des facteurs de la valeur motrice et pas comme les Canadiens, en ce moment, « en éducation physique et à la santé ». On dispose désormais d’une quantité substantielle de recherches et de témoignages d’enseignant.es et de leurs élèves pour soutenir l’idée que l’éducation physique, sportive et artistique est une forme d’éducation physique précieuse et motivante. Il est important de noter que la recherche et les évaluations objectivées proviennent de différents niveaux scolaires et nous savons maintenant ce qui rend l’éducation sportive attrayante pour les enseignant.es et les étudiant.es. Nous connaissons également certaines caractéristiques clés de la conception et de la mise en œuvre. Pour de réels apprentissages, l’éducation physique et sportive est plus efficace si elle passe par un travail en petits groupes mixtes afin que chaque membre de ces groupes puisse profiter des aides des uns et des autres pour réussir. Dans ce cadre, il faut que l’EPSA donne aux élèves suffisamment de temps pour développer leurs compétences et apprendre.

Dans les emplois du temps actuels au lycée ou au collège, on va en « sport » !
Pourquoi a-t-on abandonné l’usage du vocable éducation physique et sportive ?
L’abandon de la dénomination EPS est-elle sans conséquence pour les profs, les élèves, les parents ainsi que nos détracteurs, prompts à s’engouffrer dans l’école considérée comme « une part de marché » ?
À l’école, lieu où on accueille tout le monde, qu’apprend-on et comment ?

Il faut d’abord situer le cadre : l’EPSA entre la sixième et la terminale, c’est 750 heures théoriques.
Cela paraît énorme mais en un an de club, avec deux entraînements et une compétition par semaine, on arrive facilement à 200 heures avec une seule activité.

Le temps solaire, l’éclectisme ou le zapping d’APSA, les classes trop nombreuses forment autant d’obstacles, aussi bien que l’inspection générale d’EPSA qui est incapable de proposer des programmes cohérents sur ce que l’on doit apprendre comme dans toute bonne discipline d’enseignement. Dire ce que l’on doit être capable au bout d’un certain temps, de faire ne dit pas ce que l’on doit apprendre et le chemin qui y mène.

Un peu d’histoire

Il y a 51 ans, un titre du journal «L’Équipe» du 8 novembre 1969 était évocateur à ce sujet : «Les professeurs d’éducation physique sont-ils périmés ?». Alors, dans cette conjoncture, que faire du professeur d’éducation physique ? En 1976, Robert Mérand répondait indirectement à cette question. « Très souvent, le moment de la recréation tient lieu d’éducation physique. Au mieux, une recréation prolongée et améliorée pourrait remplacer une séance d’éducation physique. Voilà̀ qui est devenu inacceptable dans le contexte pédagogique des méthodes nouvelles. C’est de surcroit irrecevable quand on sait ce que signifie, aujourd’hui, la conquête du «pouvoir d’agir», tout aussi exigeante que celle du «pouvoir lire». De même que l’on ne naît pas «non lecteur» et qu’on le devient, on ne naît pas davantage «non pratiquant», on le devient. Le «pouvoir d’agir» par contre est le fruit de toute une formation systématique et un niveau seuil doit être atteint pour que ce pouvoir nouveau entraîne l’apparition du gout de pratiquer (des activités physiques et sportives). Le pouvoir d’agir ne peut pas se réduire à̀ une simple acquisition instrumentale de savoir-faire, de techniques sportives ou corporelles. Il convient de mettre l’élève en possession des structures relationnelles essentielles qui font du corps un instrument d’action et donnent la possibilité́ d’en exploiter toutes les ressources. Il faut donc ouvrir chacun à l’activité́ créatrice du corps agissant ». Je m’inscris bien sûr dans le prolongement de cet extrait paru dans « L’école et la Nation » (263, 29-35).

Sportivisation et entraînarisation

La notion de scolarisation des entraînements est due à l’influence de l’EPSA sur les pratiques sociales de référence car bien souvent cette scolarisation a été introduite par des formateurs à la fois enseignants d’EPSA et entraîneurs de club. En sport collectif, à la place du footing et du jeu, les entraînements ont été conçus avec des plans de leçons du type : échauffement, partie technique puis tactique et enfin jeu. Cependant dans cette évolution l’enseignement de formes techniques (conduite de balle, slalom, tirs…) est resté dominant. Cela a fini par engendrer une confusion entre les didactiques de l’EPSA et les didactiques des « écoles » de sport. Pourtant les objectifs de ces didactiques diffèrent sur le fond avec un temps de pratique impossible à comparer (beaucoup plus court pour l’école) et une réalité : le sport n’est pas confronté à la nécessité d’accueillir tous les jeunes. Le fait d’avoir abandonné aux fédérations sportives la production des connaissances, au collège, comme au lycée, on est souvent confronté à une forme « d’entraînarisation » des leçons de sports collectifs en relation avec un éclectisme certain. Par manque de temps et avec des cycles trop courts, les élèves ont du mal à apprendre quelque chose. C’est la dure réalité avec un public scolaire où les comportements présentant une étendue très large avec une disparité très forte dans les acquis.

Les inégalités : cadre / ouvrier ; ville / campagne

Selon les données de l’Insee, la pratique d’une activité physique et sportive joue un rôle positif sur la santé, le bien-être et l’intégration sociale des individus. Néanmoins, des pratiques différenciées existent selon le niveau de diplôme, la catégorie socioprofessionnelle et le niveau de vie. Parmi les 20 % des plus aisés, 60 % ont pratiqué une activité physique ou sportive au cours des douze mois précédant l’enquête, contre un tiers des 20 % les plus modestes. En outre, les plus aisés sont non seulement plus nombreux à pratiquer une activité sportive, mais ils la pratiquent aussi plus régulièrement. Il est à noter aussi que les parents « orientent » en partie les choix de leurs enfants vers des pratiques qui leur correspondent, où ceux-ci se retrouveront pour partie entre milieux sociaux similaires. Toujours, selon les données de l’Insee, l’espace périurbain, même s’il est très loin d’atteindre les niveaux de vie des quartiers aisés de centre-ville, reste, en moyenne, largement favorisé. Les personnes aux revenus les plus faibles vivent en partie dans le monde rural éloigné et vieillissant ou dans les quartiers d’habitat social. Dans le rural, les gymnases sont rares, les piscines encore plus et les services ainsi que l’offre sportive y sont restreints surtout pour les filles (Prévitali, 2015).

Les filles et l’EPSA

Les pratiques sportives des filles et des garçons restent des activités stratifiées en termes socio-économiques, culturelles et genrées. De fait, filles et garçons ne pratiquent toujours pas les mêmes sports et, parfois, toute transgression suscite la suspicion. On admet trop souvent qu’en sport collectif l’affrontement, la compétition sportive et l’exploit sportif sont l’apanage des garçons et qu’une majorité de filles s’engageraient plus spontanément dans des activités de coopération, d’échange, d’entraide. Il ne s’agit pas de nier les différences mais de les relativiser et de comprendre dans quelle mesure différentes représentations conditionnent les rapports sociaux et les rapports d’égalité. Cependant, dans une perspective interactionniste, ce sont les rapports avec l’environnement et les autres qui vont orienter les goûts, aptitudes et aider à forger les traits de la personnalité des élèves. Avec les filles d’aujourd’hui éduquées de façon très genrée, les enjeux égalitaires nécessitent de dépasser les stéréotypes. Il est indispensable de faire évoluer les représentations et le vécu des élèves, mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas car cette déconstruction/reconstruction de ces habitudes prend beaucoup de temps. Du coup, on admet les différences filles-garçons voire on les fige.

Dès la fin du collège, les filles sont plus nombreuses que les garçons à abandonner l’exercice physique et c’est dans les milieux populaires que l’écart est le plus marqué. Souvent expliquée de manière hâtive par un déficit de motivation des filles, cette différence est en fait issue des perceptions collectives, en particulier médiatiques. Néanmoins, de nombreux garçons sont aussi en échec en EPSA et une observation attentive de ces phénomènes de classe montre comment ils sont absents des « radars » du professeur. Enfin, bien souvent, l’EPSA et l’UNSS sont la seule chance pour des jeunes filles d’avoir des pratiques physiques sportives et artistiques.

Ne pas confondre sport et EPSA

Il me semble que parler de sport quand l’EPS n’est pas menacée en tant que discipline d’enseignement n’a pas le même impact que lorsqu’elle est menacée. Aujourd’hui, la confusion sport-EPS contient le risque que l’on confonde jeunesse à éduquer avec le consommateur de sport guidé par un coach plus ou moins formé. Le milieu scolaire est un milieu spécifique : les fins poursuivies, les conditions d’exercice de l’activité physique, la jeunesse des acteurs commandent de refuser les analogies simplistes avec d’autres pratiques socio-techniques, même de référence.

La promotion de l’éducation physique, sportive et artistique, discipline d’enseignement, jouant un rôle important pour la formation des jeunes implique une vraie vision en vue de former un futur adulte physiquement actif. Cette politique doit prendre en charge une réelle réflexion sur les questions d’articulation entre l’école et les pratiques sportives dans la société en relation avec une lutte permanente pour des moyens à la hauteur de ces ambitions. Enseigner l’EPSA consiste à mettre les élèves en situation de double activité : les amener à faire, agir, pratiquer des activités physiques et sportives, en interaction avec leur environnement et en même temps ou dans un autre temps, à réfléchir, à s’interroger, à raisonner sur ce qu’ils sont en train de faire ou ont fait. L’enseignement de l’EPSA, au-delà des connaissances propres à la discipline, met l’accent sur l’activité de l’élève, ses observations, sa verbalisation et sa capacité à bâtir des projets pour apprendre.
L’apprentissage ne peut pas se concevoir sans une pratique importante tout en nécessitant une prise de distance avec l’immédiateté de cette pratique. C’est bien l’idée d’un sujet actif au sein d’un groupe qui construit de nouvelles compétences ou connaissances reposant sur celles déjà en place.

Plus généralement, une des problématiques de l’école en 2020 repose sur l’augmentation du nombre d’heures de cours des élèves pour que l’école puisse jouer tout son rôle. Dans les années 1960, les élèves avaient 30 heures de cours par semaine. Alors, si l’on veut remonter dans le classement PISA (qui malgré ses imperfections montre un certain nombre de tendances), il faut que les élèves travaillent sur un temps plus long comme dans beaucoup de pays dans le monde.

Enfin, il serait indispensable que les acteurs proches du terrain (les enseignants, bien sûr mais aussi les IPR) se positionnent sur les choix d’activités à proposer aux élèves en s’interrogeant sur le développement de leur motricité, de tenir compte de leurs besoins en relation avec les apprentissages nécessaires avant de penser à leur niveau sportif qui peut simplement relever d’une pratique hors système scolaire.

Développer les recherches en didactique de l’EPSA

Le développement des recherches sur l’enseignement de l’éducation physique, sportive et artistique semble être l’une des conditions de vraies transformations de l’apprenant. En préalable, on doit distinguer, sans forcément les opposer, les recherches sur l’enseignement, conduites du point de vue d’une discipline constituée (la physiologie, la psychologie, la sociologie, par exemple) des recherches en enseignement qui visent à̀ comprendre la complexité́ des situations de classes et qui sont, le plus souvent conduites en collaboration avec les enseignants. Parmi celles-ci, les recherches en didactique centrées sur le processus de communication et d’appropriation des connaissances et des compétences motrices occupent une place importante. Ce type de recherches ne s’est développé que très lentement en France et dans le monde, au profit d’une réflexion sur la formation des maîtres. Des raisons institutionnelles sont, en partie, à l’origine de cet état de fait : statut des professeurs d’UFR STAPS, reconnaissance universitaire qui passe souvent par le développement de recherches expérimentales, l’objet «enseignement» étant de ce point de vue peu propice aux recherches expérimentales pures et dures.
Le dévoiement de la 74 ème section du CNU STAPS vers un sous-ensemble de la physiologie ou de la biomécanique n’a pas aidé au recrutement de chercheurs pour alimenter la filière « éducation et motricité ». Cependant, les travaux publiés dans l’eJournal de la Recherche sur l’intervention en Éducation Physique et Sportive (http://elliadd.univ-fcomte.fr/ejrieps)vont dans ce sens et quelques équipes de recherche en France et au plan international s’attachent à développer les compétences et les connaissances à apprendre en EPSA pour répondre aux besoins des élèves et surtout essaient de répondre à la question : comment les élèves apprennent car c’est bien l’enjeu si on veut réduire les inégalités.

Sans tomber dans un corporatisme étroit, l’action syndicale en EPSA doit, certes, rechercher des alliés mais aussi s’intéresser aux vrais problèmes de l’EPSA que sont les horaires, les connaissances, le chemin des apprentissages et les équipements. Ce n’est pas le CIO, la FIFA, l’UNESCO, les cadres des fédérations et les cadres de Jeunesse et Sport qui nous aiderons à développer une EPSA de qualité.

Références

Prévitali, C. (2015). Le sport à la campagne. Presses Univeau Franche-Comté.
Mérand, R. (1976). Éducation physique et conquête du pouvoir d’agir. L’école et la Nation, 263, 29-35.

Article issu du Séminaire EPS et Société 2020 ” l’éducation physique et sportive à un tournant ? “