Comment les programmes scolaires pourraient-ils réellement impacter l’apprentissage ? Devant des programmes actuels contestés, Claire Pontais1 expose comment le Syndicat National Education Physique construit des propositions alternatives qui soulignent l’importance des contenus matière et des APSA.
Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme, 2018
Face à l’indigence des programmes imposés par l’administration à la discipline en 2015, le SNEP s’est lancé dans l’écriture de programmes alternatifs. Au-delà du résultat, toujours discutable dans le détail, quels sont les enjeux qui ont déclenché cette opération collective ?
Le premier concerne l’utilité même des programmes scolaires : à quoi pourraient-ils bien servir s’il manque l’essentiel ? C’est-à-dire les contenus-matière, les APSA dans ce que leur pratique impose comme transformations. Pour l’institution, les APSA ne sont même plus des moyens, ce sont des « prétextes » (terme en vogue). Ce qui signifie très précisément qu’il n’y a rien à apprendre dans les APSA. Notre approche culturaliste nous amène à l’opposé. Mais même si les APSA étaient présentes, ça ne suffirait pas car nous pourrions n’y avoir qu’une référence formelle ou encore techniciste. La lutte contre le formalisme et le technicisme a fait partie des combats historiques de l’EPS 2.
C’est entre les années 60 à 90 que la « révolution » s’est opérée dans l’analyse des APSA, en passant d’une analyse descriptive, cumulative, séquentielle des pratiques qui avait amené ce qu’on a appelé le technicisme, à une analyse fonctionnelle et dialectique : pour progresser le pratiquant doit résoudre des problèmes et gérer des contradictions imposées par le règlement historiquement construit et le milieu physique ou humain dans lequel il s’applique. Le travail de Raymond Catteau sur la natation est certainement l’un des plus exemplaires car, parmi les premiers de cette avancée considérable qui a ensuite donné naissance à la didactique des APSA. Ainsi en natation, les formes gestuelles qu’il faut enseigner, mais le rapport entre équilibre/respiration/propulsion, chaque élément du système étant en tension avec l’autre. Cette révolution dans l’analyse de la natation s’est traduite par une révolution pédagogique : au lieu d’enseigner des gestes précis identifiés comme « bons », on fait construire une motricité de nageur totalement inversée par rapport à celle du terrien. Cela a également modifié le rôle de l’enseignant qui ne se contente pas de proposer un milieu favorable, mais doit piloter les apprentissages pour que l’élève mette en relation ses tentatives avec les exigences du milieu.
D’autres exemples ont été historiquement marquants : les sports collectifs et l’analyse dialectique des rapports de force attaque/défense, la gymnastique avec la tension entre prise de risque/maîtrise du risque pris et la gestion du « ROV » (risque/originalité/virtuosité) etc.3. Plus tard, le groupe Spirales de Lyon a décliné cette approche dans de nombreuses APSA (lutte, volley, tennis, danse…).
Que reste t-il de tout ça dans les programmes officiels ? quasiment rien.
Ce serait pourtant nécessaire pour répondre aux besoins des enseignants et des élèves. Bâtir des contenus d’enseignement à partir des tensions, des contradictions contenues l’APSA permet de confronter les élèves à des problèmes à résoudre qui sont de réels défis à relever et pas seulement des tâches à réaliser pour répondre à la demande de l’institution. La démocratisation auprès des enseignants des savoirs accumulés dans toutes les APSA est un défi pour l’école de la réussite de tous telle que nous la rêvons…
Le deuxième enjeu de l’opération lancée par le SNEP était donc de remettre en avant ce qui constitue notre patrimoine théorique et pratique et donne aux enseignants (et donc aux élèves) les enjeux d’apprentissage.
Un troisième enjeu était présent, pour avancer vers une clarification de ce qu’il y a à apprendre : essayer d’identifier, de préciser quels sont les « savoirs » à acquérir lorsqu’on tente de résoudre le problème posé par la pratique. Ce fut un réel défi parce qu’il est extrêmement difficile de mettre la complexité de l’activité de la personne en mots. Lorsqu’on s’y risque en EPS, on est vite brocardé sur la place publique à cause d’un jargon jugé inacceptable par les médias. Ces savoirs correspondent à différents registres : technico-tactique, contrôle moteur, maitrise des émotions, valeurs et motifs d’agir, potentiel énergétique, relationnel. Les programmes alternatifs ont cherché à définir les savoirs essentiels dans ces registres à transmettre dans le cadre de la scolarité obligatoire.La production est inachevée et inégale 4. Mais comme le SNEP l’a écrit, c’est un processus qui a été lancé et qui doit permettre, progressivement, de bâtir des programmes professionnellement consensuels.
Article à retrouver dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme
- EPS et Société, ancienne formatrice↩
- Cf Paul Goirand, ContrePied N° 1 et 2↩
- Au fil du temps, on trouvera une filiation dans toute une série de terminologie pour parler de ça : logique interne, essence de l’activité, problème fondamental, contradiction fondamentale…↩
- Retrouvez l’ensemble de la publication sur : https://pedagogie.snepfsu.fr/programme-eps/↩