EPS et pratiques sociales de référence, la révolution Spirales

Temps de lecture : 6 mn.

Par Paul Goirand. La revue SPIRALES initiée et animée par un groupe d’enseignants de Lyon, de 1985 à 1995, a concentré ses efforts sur la définition des contenus d’enseignement pour le collège et participé à la réflexion devant mener à la rédaction des programmes pour le collège. Paul Goirand trace une voie pour l’EPS.

Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 _21 EPS et Culturalisme

Comment l’EPS pratique polyvalente des APS peut-elle garder son identité en prenant les pratiques sociales sportives comme référence ? Comment se démarquer du technicisme en pédagogie sans retomber dans un formalisme désuet ? Tels étaient les enjeux principaux des débats dont SPIRALES s’est fait l’écho1.

La gymnastique sportive est ici prise en exemple2

Signification anthropologique contre technicisme

Dans les années 1985-95, face aux problèmes rencontrés par nos élèves, nous étions sommés par la pratique de prendre des distances vis à vis des formes sociales dominantes des sports que nous connaissions en tant que techniciens. La pratique des très jeunes enfants, le recours à l’histoire des techniques de chaque sport, la référence à certains auteurs (G.Vigarello, B.Jeu,…) nous ont alertés et inclinés à reconsidérer notre conception mécaniste de la pratique sportive. Il fallait comprendre que l’activité sportive n’était pas que de l’efficience mais aussi et surtout du sens. Nous avons alors distingué les formes sociales d’existence du sport et l’essence de ces mêmes activités. Si la forme sociale pouvait se caractériser par la durée, l’intensité, la technicité, la sociabilité de la pratique, l’essence était à rechercher dans la signification humaine, la signification anthropologique de l’activité. 

Programmer en EPS une APS, la gymnastique par exemple, n’était pas reproduire une forme d’existence de cette APS mais construire une forme scolaire actualisant sa signification anthropologique. Choisir l’option culturaliste en EPS n’était pas reproduire mais d’abord déconstruire pour amener les élèves dans la forme qui leur convient, à construire le sens. 

La gymnastique activité technique ? 

La gymnastique, activité de mise à l’épreuve de soi par le rapport acrobatique à l’appareil est d’abord à forte charge émotionnelle. La prise de risque est constitutive de la gymnastique. La culture gymnique est faite de cette audace qui tutoie le danger. Mais dans le même mouvement cette culture est faite d’une technique maîtrisée qui élimine toute manifestation émotionnelle. Il ne faut pas se tromper, la gymnastique n’est pas une activité expressive mais une activité technique exigeant prise de conscience et décentration affective et sociale. Les élèves viennent en gymnastique pour apprendre à prendre des risques et maîtriser leurs émotions

En gymnastique l’objectif des séances n’était pas prioritairement d’exécuter tel ou tel geste technique. Être en activité gymnique c’était « entrer dans un processus de codification du rapport acrobatique à l’appareil ? Ce rapport acrobatique pouvant se décliner en quelques domaines d’actions, par exemple : voler, se renverser ou encore tourner.

Approche fonctionnelle contre formalisme ?

La référence aux APS pour fonder la discipline était sous le feu d’une double critique : critiquée par les techniciens qui ne reconnaissaient pas leur sport (ce n’est pas de la gymnastique que vous enseignez, nous disaient-ils) … et incomprise des enseignants fidèles à la conception formaliste (LeBoulch, Delaunay…) qui nous demandaient de croire que le système finalités – capacités – compétence pouvait fonctionner dans ce sens. Comme s’il nous était impossible d’envisager un développement capacitaire de l’élève par la pratique intelligente des APS ! Intelligente voulant dire adaptée au public scolaire mais avec le respect scrupuleux de la signification essentielle de l’activité. Nous étions centrés sur les compétences à acquérir et nous nous efforcions de les mettre en rapport avec les motifs de l’activité et avec les opérations à mobiliser pour réussir les actions. Sans cela le technicisme pouvait refaire surface. (Exemple : faire de la structuration spatio-temporelle sans la finaliser pour l’acquisition d’une action gymnique). 

L’option culturaliste porte une exigence : celle de respecter en un tout dynamique les relations fonctionnelles entre les trois pôles de la structure : motif de l’activité, buts des actions et opérations pour les réaliser. 

Se dégager de la forme gestuelle pour accéder aux contenus de l’activité

L’option acrobatique en gymnastique signifie mettre du désordre dans l’organisation habituelle de l’équilibre du gymnaste. Désordre qui entraîne de l’émotion allant de la peur à la panique et au refus de s’engager. Le progrès à envisager pour tous les élèves est de passer de l’émotion, née du risque pris, à la maîtrise d’un exploit à répertorier dans le code. 

Deux voies non contradictoires, s’offrent à l’élève pour se construire comme gymnaste : l’identification-imitation à des modèles techniques significatifs de l’activité et/ou la réorganisation spatio-temporelle de la réponse. 

Le rapport acrobatique à l’appareil peut être illustré ici par deux situations typiques: le corps aérien et le corps renversé

Le rapport acrobatique à l’appareil se manifeste par une exploration de l’espace en se libérant du déterminisme gravitationnel. Être en gymnastique c’est apprendre à voler, c’est à dire coordonner un envol, un vol et un atterrissage. Habituellement, cela se résume pour l’élève à apprendre à exécuter quelques savoir-faire gymniques codifiés par lesquels le spectateur reconnaît la gymnastique (les sauts en extension, groupés, avec ou sans rotation, etc). En réalité ce qui en jeu, dans ces situations du corps aérien, c’est la construction de l’apogée de la trajectoire parabolique quelle que soit la modalité de l’envol ou la référence à une figure connue. Nous sommes là au niveau des opérations à maîtriser pour réussir à équilibrer les actions de voler. La liaison action-opération dans une activité d’épreuve (remise en cause de soi) reste à socialiser, c’est-à dire à codifier. 

Exemple du corps renversé.

L’acrobatie en gymnastique privilégie les positions renversées en appui manuel, en mouvement ou en position statique équilibrée. Habituellement cela se traduit souvent par : apprendre à faire l’ATR. Avec des normes techniques très strictes dont le fameux alignement mains – épaules – fesses – pieds. Or, pour équilibrer un déplacement de ce type il est nécessaire de construire un repère spatial, limite entre le déséquilibre ventral et le déséquilibre dorsal peu importe l’alignement (l’alignement n’est qu’un résultat, voire même qu’un des résultats possibles). Le contenu d’apprentissage est, dans les deux cas, totalement différent.

L’enjeu de formation poursuivi par Spirales a consisté à changer le regard de l’enseignant en le persuadant que l’essentiel est invisible pour les yeux et pis encore que l’interprétation de ce que voient les yeux peut être erronée. Le sens qu’attribue l’élève à ce qu’il fait n’est pas immédiatement perceptible et ses intentions peuvent être étrangères aux buts poursuivis par l’enseignant. 

Le code comme processus de socialisation de l’épreuve

L’activité gymnique, activité pour être vue et jugée, demande que le jugement soit objectif pour que la dynamique sociale soit sereine. Le code doit donc trancher pour définir le juste ou l’erreur, le beau ou le laid, le facile ou le difficile, et donner sur chacun de ces points  une échelle de valeurs. Mais ce n’est pas qu’un outil d’évaluation, c’est un instrument puissant pour construire une culture gymnique. Codifier une production c’est reconnaître, comparer, nommer, classer, hiérarchiser les actions. Le code n’est donc pas un supplément d’âme, il s’élabore au rythme des performances gymniques ; c’est une référence vivante soumise à l’appréciation et à l’initiative des élèves. 

Projet de performance, projet technique, projet d’entraînement. 

Quels repères l’élève peut-il se donner pour se situer dans le processus d’apprentissage. Nous lui avons proposé d’organiser son activité autour de la notion de projet. 

Le pilier qui sous-tend le processus d’apprentissage est le projet de performance. Tout part de la volonté de l’élève de réussir une action du code dans des délais et les conditions imposés par le maître. Réussir une performance c’est respecter certains critères précisés dans le code.

Avancer dans le processus d’apprentissage c’est non seulement réussir une performance mais savoir comment la réussite a été obtenue. A cette étape, l’élève entre dans une réflexion technique. Le maître peut l’aider dans une démarche expérimentale. 

Le travail se poursuit avec le projet d’entraînement qui fixe les conditions générales du travail de l’élève : régularité, intensité, organisation, discipline, etc…

Ce que nous visions n’était pas une pédagogie du plaisir immédiat mais une pédagogie de la joie, cette émotion née de l’épreuve surmontée. Une pédagogie du risque maîtrisé transcrit en connaissance technique reconnue par le groupe. Une pédagogie de la responsabilité individuelle et collective du projet d’entraînement. Autrement dit, une entrée en culture visant l’émancipation. 

Article paru dans Contrepied EPS et Culturalisme – HS n°20/21 – Mai 2018

  1. Paul Goirand, La liaison formation-recherche, l’expérience « Spirales », Contrepied n°20, 2007.
  2. Paul Goirand, Des pratiques sociales des APS aux contenus d’enseignement de l’EPS une problématique complexe, Spirales n°1, complément, 1984

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