Peut-on parler de « pêchés originels » des STAPS ?

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Jacques Rouyer revient sur les conditions de naissance des STAPS et le rôle moteur joué par le SNEP. Il pointe, avec le recul du temps, les questions débattues dès le départ, ou parfois insuffisamment débattues, voire sous-estimées par les différents protagonistes : politiques, universitaires et enseignants d’EPS. Les mêmes débats demeurent aujourd’hui.


Article paru dans le ContrePied n°20, Former les enseignants d’EPS, 2007

Une demande de la profession

Mai 1968, un grand mouvement social ébranle la société française et particulièrement l’université. De Gaulle mandate Edgar Faure, ministre assez favorable à l’EPS (il est à l’origine de l’arrêté des 5 heures d’EPS), pour une réforme d’ouverture sur la culture contemporaine. Ce sera la loi d’orientation de novembre 68 qui projette de former « tous les cadres dont la nation a besoin » (nouveau !). Pour les professeurs d’EPS en quête depuis longtemps de parité de formation avec les autres certifiés c’est une chance exceptionnelle pour obtenir la transformation des établissements de formation existants (IREPS) en UER-EPS et ouvrir ainsi la voie pour les diplômes universitaires indispensables. Les UER EPS obtiendront un décret dérogatoire le 31 décembre 68 pour tenir compte du fait qu’ils sont principalement pilotés par des enseignants du second degré. Le SNEP, avec Neaumet secrétaire général, était unanime sur ce point. Ainsi c’est une demande professionnelle « EPS » adossée aux IO de 67 qui a été déterminante. Mais l’université est alors en profond décalage, marquée par la tradition médicale.

La logique contraire « jeunesse et sports »

Mais dès 1969 se manifeste aussi la tutelle ministérielle « JS » et une politique contradictoire pour les cadres sportifs.

Le directeur de l’ENSEP-G, Robert Joyeux, va tenter, pour concilier formation universitaire et formation par les brevets d’état, une sorte de « compromis historique » pour la formation « d’éducateurs sportifs » de tous secteurs (les BE donnerait droit à des équivalences universitaires). Le SNEP proposera en 1970 des équivalences dans l’autre sens… mais ceci est impensable pour la Jeunesse et Sport !

Ce plan de la JS inclut la suppression des ENSEPS Filles et Garçons (450 traitements et ‘fiefs communistes subversifs’ selon le ministre Comiti !) au profit d’un établissement administratif (la nouvelle ENSEP) permettant aux sessionnaires de préparer ailleurs par convention des diplômes universitaires.

Le SNEP (qui a une nouvelle direction ‘Unité Action’ avec Marcel Berge) fait échouer ce plan, en partie car les ENSEPS seront supprimés.

La pression de la JS va être constante. Cinq ans plus tard, la loi Mazeaud (1975) va confirmer la voie des brevets d’état et créer l’INSEP en supprimant la nouvelle ENSEP. A deux reprises, en 1977 et 1979, la proposition d’exiger un BE au CAPEPS sera faite et repoussée.

La solidarité d’une partie du syndicalisme enseignant

Les 27&28 février 71, des Assises syndicales sur la formation des maîtres se tiennent (avec le SNEP, SNES, SNES-SUP, SNPEN) et confortent l’exigence de la Maîtrise pour tous les enseignants du second degré face aux formations Bac +2 projetées par le ministère de l’époque (PEGC bivalent, Maître d’EPS).

Ces mêmes syndicats renouvellent ces exigences lors d’un colloque en février 1973, puis février 1976 complétées par la demande de Centres universitaires de formation des maîtres (CUFM) remplaçant les CPR (centres pédagogiques régionaux).

En 1982, le SNEP obtient l’unification du recrutement « certifiés » (arrêt du recrutement des professeurs adjoints d’EPS) et une agrégation EPS !

En 1989, les syndicats du second degré imposent le maintien des certifiés en collèges contre le gouvernement et la FEN. En 1990, avec la suppression des Ecoles Normales, la création des IUFM s’accompagne du recrutement de tous les enseignants (premier et second degré) après la licence. C’est un nouvel essai de collaboration avec l’université.

La genèse du cursus STAPS

Former les cadres pour tous les secteurs des APSA, et pas seulement des enseignants, à l’université a obligé à se dégager d’une visée professionnelle prématurée, uniquement centrée sur l’EPS.

Il y a dès l’origine deux débats : un débat épistémologique des sciences constituées sur leur capacité d’élargir ensemble leurs champs de compétences et un débat autour de l’objet (motricité ou APS ?) lui-même nourri par le débat sur le contenu de l’EPS.

Le 14 Février 197I, un séminaire se tient à la Sorbonne (lieu symbolique) à l’initiative du SNEP, du SNES-SUP avec 32 professeurs d’université et 77 collègues des UEREPS pour jeter les bases d’une approche pluridisciplinaire et interdisciplinaire des APS et de la formation des cadres de ces secteurs, ainsi que d’une recherche appropriée (Ulmann, Léon, Bouet, Rioux, Chapuis étaient présents). Les questions de l’approche « technologique » et du lien de principe avec la pratique des APS sont soulevées pour la première fois.

Le 17 et 18 mai 71, les Journées nationales de Chatenay rassemblent les directeurs et professeurs des UEREPS, les syndicats SNEP et SNEEPS, l’inspection générale et l’administration SEJS. Elles débouchent sur un projet de décret qui définit 3 cycles d’études universitaires : un ‘DUEPS’ (tronc commun malgré l’appellation), une licence « EPS » et une maîtrise diversifiée « correspondant à des perspectives professionnelles différentes : enseignement, sport de performance, loisirs, rééducation. Enfin un projet de 3eme cycle, dont les contenus ne sont pas encore définis, conduisant au doctorat.

Le SNEEPS s’y oppose ayant accepté le projet « JS », une formation Bac+2 non universitaire.

L’EPS va bénéficier de la parution de l’arrêté général des DEUG en 1973 pour appuyer la création du DEUG STAPS en 1975 (arrêté du 11-04-1975), 7 ans quand même après la création des UEREPS. L’appellation confirme que ce diplôme sanctionne des connaissances théoriques et pratiques en APS, ce qui est nouveau pour l’Université. La filière STAPS est officialisée ultérieurement dans l’article 6 de la loi Mazeaud voté le 29 octobre 1975 (qui parallèlement confirme l’autorité des fédérations habilitées sur le contenus des BE-JS). « Ce DEUG va permettre des débouchés pour les étudiants qui échouent au CAPEPS » dira le ministre qui crée en même temps le corps des professeurs-adjoints (Bac +2) formés dans les Creps et destinés à l’école et à l’extrascolaire. La filière STAPS est donc dès son origine le fruit d’une lutte compliquée.

Doute sur la légitimité du cursus

Le 7 juillet 1977 paraît l’arrêté sur la licence STAPS. Ce n’était pas évident compte tenu de la politique d’austérité appliquée à l’enseignement supérieur. Dans un premier temps d’ailleurs, il s’agissait d’une licence d’enseignement avec une partie professionnelle et conçue comme terminant le cursus, idée reprise dans les années 1990.

Mais, cette licence a été obtenue difficilement parce que le cursus STAPS n’a toujours pas convaincu l’Université et encore moins les politiques. A noter que dans les discussions préparatoires en 1976, on parle de licence SAPS (science des APS) ! L’idée de la construction d’une discipline nouvelle autour d’une approche scientifique globale et intégrée de l’objet culturel « APS » stagne.

Signalons au passage la place prise par la danse qui nécessite une approche esthétique autant que scientifique. L’idée d’une maîtrise diversifiée « expression » avait été avancée très tôt ; une maîtrise « danse » a d’ailleurs été créé à Paris-5-Lacretelle en partenariat avec le ministère de la Culture puis supprimée.

En 1981- 1982, le SNEP, avec d’autres, va obtenir une relance volontariste du cursus mais non sans conflit d’orientation. Sept maîtrises sont habilitées en 81,13 en 82, 22 en 83-84, reprenant les diversifications pré-professionnelles imaginées dès 1972. Les maîtrises ‘générales’ sont refusées, hypothéquant l’avenir des doctorats en STAPS.

Un département EPS est créé à l’INRP. Il reste isolé de l’université malgré des productions utiles aux enseignants.

En 1984, la Loi Avice votée en juillet pose le principe d’un service unifié de formation des cadres, mais la concurrence JS-Université va demeurer pour les qualifications sportives.

Questions pour conclure 

Quels sérieux défis ont été posés aux STAPS  dans un délai historiquement très court ?

– Assumer une rupture entre le tout « EPS » et l’invention d’une formation scientifique sur et dans les APSA pertinente distincte d’une formation professionnelle en EPS

– Construire une approche scientifique globale et intégrée de l’objet culturel « APSA », en sachant qu’il faut surmonter ou subir, en plus du blocage épistémologique des sciences constituées et des stratégies de carrières, une crise durable de l’objet (motricité ou APS ?). Les idéologies formalistes de l’EPS n’ont-elles pas entretenu finalement l’académisme universitaire et retardé une approche pluridisciplinaire et technologique intégrant une dialectique sciences/pratique expérimentale de l’étudiant en APS ?

– Construire un corpus scientifique en didactique spécifique des APSA (la reconnaissance de la didactique est un problème commun d’autres disciplines). Cette construction étant compliquée par un conflit récurrent entre didactique des APSA en milieu scolaire et didactique générale de l’EP.

– Produire des qualifications « sportives » reconnues compte tenu que la concurrence JS perdure.

– Enfin le passage de 7000 à 45000 étudiants interroge… La disparition du numerus clausus en 1995 est-il une explication suffisante ?

Quel bilan des STAPS au bout du compte ? Un piétinement global sur le fond aggravé par une massification considérable ? Un capital didactique et pédagogique produit en partie ailleurs ? … A débattre !

Quelques repères complémentaires sur les politiques de recrutement des enseignants d’EPS du second degré

Trois données ont pesé en permanence sur les politiques de recrutement au plan quantitatif comme au plan qualitatif, le budget du ministère de tutelle (JS puis EN), le contenu et les horaires visés pour l’EPS : (animation ou apprentissage réel ? 2h ou 5h ?), l’intervention des partisans de l’EPS eux-mêmes (enseignants, étudiants, et alliés divers), ceci compte tenu de la massification considérable du second degré.

  • 1969 – Il y a 16000 enseignants d’EPS : 8000 certifiés, 6000 maîtres (BEPC+2), des PEGC, des maîtres auxiliaires.
  • Le 1er Ministre Chaban-Delmas proclame « les 5h nous n’en démordrons pas ! » alors que la moyenne n’atteint pas les 2heures.
  • 1970 – On recrute 1050 professeurs et 300 maîtres, les effets de Mai 68 et des Assises Nationales de l’EP et du sport se font sentir.
  • 1971- Une tentative d’installer des « animateurs » dans les établissements échoue.
  • 1972- Le système des CAS permettant l’utilisation d’animateurs hors école est mis en place suscitant résistance et boycott syndicaux. Il faudra quatre ans pour le faire échouer.
  • 1974- 600 postes au CAPEPS et 410 postes pour les maîtres d’EPS…
  • 1975- Création du corps des Professeurs adjoints (Bac +2) destinés à l’école et l’extra scolaire, le professorat est menacé. Plus grave, la loi Mazeaud tentera sans succès de déléguer une partie de l’EPS aux clubs.
  • 1978-1979- Le « Plan Soisson » prévoit zéro postes au budget 1979 mais 400 postes sont obtenus pour le Capeps après les nombreuses actions. Première inversion cependant, 485 PA sont recrutés.
  • 1980- la tendance se confirme : 480 au Capeps et 500 pour le concours PA. Il y a 6800 étudiants en STAPS
  • 1981- Il y a 23000 enseignants dont 14000 certifiés ; la moyenne horaire est de 2h30.
  • 1981-1982 : Avec le passage de l’EPS à l’EN sont obtenus : 1200 postes au Capeps, l’arrêt du recrutement des PA, la création d’une agrégation. Mais le projet de PEGC- bivalent est relancé.
  • 1984- C’est le virage de l’austérité : 170 postes au CAPEPS, 20 à l’agrégation, point le plus bas des recrutements, alors que les 3h ne sont pas assurés pour tous les collèges.
  • 1986- Il y a 270 au CAPEPS et 25 à l’agrégation.
  • 1989- La généralisation de professeurs bivalents pour les collèges est proposée par le gouvernement Rocard ce qui provoque une très forte réaction des enseignants du second degré. La négociation avec Jospin conduit à l’abandon du projet et à des mesures de revalorisation (engagement de recrutement de certifiés, concours internes, hors classes etc..). Si des bivalents en EPS avaient été recrutés, la formation licence STAPS aurait perdu sa raison d’être.
  • 1990- Il y a 832 postes au CAPEPS, 400 au CAPEPS interne, 185 à l’agrégation interne, 46 à l’agrégation externe. Les 3H en collège sont presque atteintes.
  • 1994- Les 4h en 6ème sont obtenues ce qui nécessite 1200 postes, dernier progrès à ce jour vers l’utopie des 5h !
  • 2000- On compte 45000 étudiants STAPS. 1050 postes sont ouverts au CAPEPS.
  • 2004- Pour 35000 enseignants d’EPS , il y a 28000 certifiés et 3000 agrégés.
  • 2005- L’EPS n’est pas dans le socle commun ! Une nouvelle bivalence de fait est avancée. 1200 personnes au forum de l’EPS et du sport organisé par le SNEP, une pétition pour l’EPS de 450000 signataires
  • 2006- 400 postes au CAPEPS alors que la direction de l’évaluation et la prospective estime les besoins à 1200 (départs en retraite)! La réaction étudiante est très forte!
  • 2007 – La résistance continue !

Ce n’est pas la fin de l’histoire !