Pour faire égalité, changer de point de vue

Temps de lecture : 4 mn.

Entretien avec Sigolène Couchot-Schiex qui a coordonné l’ouvrage “Le genre” qui tente de faire la synthèse des connaissances scientifiques sur le sujet (collection «Pour l’action»  de la revue EPS)

Entretien réalisé par Claire Pontais, EPS et Société ; Contrepied HS n°19 – octobre 2017

En quoi les notions utilisées dans les études de genre sont-elles utiles aux formateurs/trices et futurs professeurs d’EPS?

Les recherches qui ont circulé il y a une dizaine d’année mettaient en avant la question des inégalités entre les sexes en EPS. Ces travaux ont été plutôt bien intégrés dans les réflexions professionnelles. Mais pour autant, on ne peut pas dire que l’EPS est vraiment plus égalitaire. Comment aller plus loin pour permettre à tous les élèves de faire l’expérience de l’égalité en cours d’EPS?
Cet ouvrage propose de changer de point de vue pour tirer bénéfice des approches de ce que l’on appelle les études de genre, une approche plus systémique qui invite à dépasser la question des rapports entre les sexes dans la classe (ce que l’on a appelé la mixité) pour s’emparer plus globalement des questions de domination/hiérarchisation dans les représentations individuelles (des enseignant.es et des élèves) et dans les pratiques de classe à partir de la triade sexe-genre-sexualité. Cette approche permet de rendre compte des inégalités en train de se faire, au quotidien des pratiques sociales, des pratiques en EPS. à ce sujet, la remarque de G. Pasquier est essentielle. Il pointe un paradoxe et une difficulté: pour rendre compte des inégalités, il a été nécessaire de rendre visible le déséquilibre femmes-hommes / filles-garçons dans l’accès aux pratiques en EPS, avec notamment la mise en évidence des stéréotypes au cours du processus de socialisation. Le risque c’est qu’en faisant cela, on a tendance à renouer avec l’essentialisme, à penser que finalement, il y a une façon d’être et de faire pour les filles et pour les garçons qui se décline de manière binaire et qui les oppose. Or, c’est une construction de nos cadres de pensée, c’est pourquoi la lutte contre les stéréotypes est un éternel recommencement et une demande, une vigilance de tous les instants. Il faut se rappeler qu’il y a plus de différences entre les individus à l’intérieur d’un groupe de sexe qu’entre les deux groupes.

N’est-ce pas le cas des APSA considérées comme masculines ou féminines?

Oui…ce sont les conséquences du système de pensée binaire qui naturalise le comportement des individus suivant leur sexe (apparent).
Finalement on recrée de la séparation et de la hiérarchisation dans les menus qui sont choisis pour les épreuves certificatives mais qui n’amènent pas les mêmes possibilités de prétendre à des notes élevées.
Les choix dans la CP5 (Step/ Musculation) sont faits en fonction de ce qui est socialement acceptable (voire adéquat) pour un garçon ou pour une fille. C’est aussi le résultat majeur de l’étude sur «l’habillage de la tâche» qui à partir d’une simple consigne conduit à un engagement favorable ou au contraire au rejet d’un banal enchaînement gymnique.[[Voir l’étude détaillée dans l’ouvrage dirigé par C. Morin-Messabel et M. Salle (2013), à l’école des stéréotypes. Comprendre et déconstruire. L’Harmattan.]]

Que nous enseigne l’étude dans une classe composée non mixte, uniquement de garçons?

L’étude d’A.Breau et V.Lentillon-Kaestner montre bien que la domination et la hiérarchisation ne s’arrêtent pas à la question des filles et des garçons (donc du sexe de l’individu) mais qu’elle va plus loin.
Elles se fondent sur d’autres critères que le sexe avec l’idée que les garçons moins performants sont moins virils et par conséquent sont dominés.

Ces rapports de domination sont notamment exacerbés en sports collectifs. Qu’est-ce qui les différencie les pratiques analysées au prisme du genre des autres ?
Le problème auquel on doit s’attaquer maintenant en EPS, ce n’est plus comment penser à l’égalité, c’est comment faire égalité au quotidien.
Les paramètres didactiques sur lesquels on doit jouer ont été bien identifiés par les recherches (programmation des APSA, entrée et traitement didactique de la leçon, groupements et rôles sociaux, accès aux techniques sportives, modalités d’évaluation et notation…).

La vigilance à l’égalité c’est bien… mais ce n’est pas suffisant.

Le problème auquel on doit s’attaquer maintenant en EPS, ce n’est plus comment penser à l’égalité, c’est comment faire égalité au quotidien.

Ce sont les conséquences pour chaque élève qu’il faut anticiper et mesurer. Les pratiques qui réussissent sont celles qui ne laissent personne au bord du gymnase. Elles redonnent de la place à l’acquisition du geste technique, au développement d’un répertoire moteur qui ne s’acquiert qu’en EPS (ou dans les clubs), au travail collectif commun sans rabaisser les exigences, peut-être à une autre manière de mener la leçon et le cycle pour optimiser la possibilité d’expérimenter le geste sportif performant pour toutes et tous.

Entretien réalisé par C. Pontais et paru dans le Contrepied EPS & Numérique – HS n°19 – octobre 2017