Football : la passion du jeu

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Christian Gourcuff, vous êtes entraîneur du FC Lorient ; lors de votre rencontre avec Loïc Bervas qui donne naissance au livre dont il est l’auteur, on a l’impression que c’est le « beau football  » qui vous anime tous les deux.

Qu’est-ce que ce football là ?

C’est la passion du jeu, l’épanouissement par la pratique du sport, le partage du plaisir avec les partenaires, le plaisir du jeu avec le ballon : une recherche permanente d’émotions ! La motivation est là. Ce n’est pas contradictoire avec l’efficacité, parce que le sport c’est la manière de parvenir au résultat, le cheminement qui conduit à l’épanouissement. Dans le sport il y a un fondement moral, cette recherche d’efficacité qui conduit au but et qui permet de s’épanouir : c’est cela l’essentiel. Dans la société actuelle on n’est pas guidé par l’épanouissement des individus, moi c’est ce que je recherche.

Deux axes me guident : le plaisir du jeu avec le ballon d’une part, le partage, l’échange avec les partenaires. Cette combinaison des deux n’autorise pas l’individualisme, mais permet par contre à chacun de jouer sa partition avec et pour les autres. Je cherche à former un joueur qui anticipe le jeu avec ses partenaires et quand cela s’avère impossible, alors il tente seul. Ca implique de la solidarité et une coordination des actions, l’organisation des déplacements des attaquants, déclenchés par l’anticipation de l’action collective, provoquant une fluidité de la circulation du ballon. Ce sont des valeurs qui s’incarnent dans la pratique, il y faut des codes, des repères, une créativité collective et savoir se faire comprendre.

Dans votre conception du jeu vous mettez l’accent sur les aspects tactiques et notamment la tactique offensive pourquoi ?

L’épanouissement passe par la créativité, et c’est dans la phase offensive que l’on crée, en défense on réagit. Dans la réalité des successions d’action il y a recherche de cohérence, tout doit être organisé pour que l’attaque soit cohérente. Bien sûr l’organisation concerne les deux phases, défensive et offensive, mais pour faire en sorte que l’offensive puisse se dérouler avec succès.

Qu’entendez-vous par attaque cohérente ?

Les phases de transition sont des éléments fondamentaux de la cohérence et de l’efficacité tactique. Par exemple il faut, dès la récupération du ballon, être capable de prendre un temps d’avance dans le démarquage sur l’adversaire, ce qui suppose une occupation de l’espace, une qualité de première relance, une disponibilité liées à la qualité de la phase de récupération du ballon qui la précède. De la même manière, dans la phase offensive, l’équilibre de l’occupation de l’espace (bloc d’équipe « court ») est indispensable pour assurer une transition rapide à la perte de balle. L’anticipation d’une phase sur l’autre est donc fondamentale sur le plan stratégique.

Mais si l’accent est mis sur les aspects tactiques, la technique n’est pas oubliée : l’entraînement comporte toujours un travail de gammes de passes, avec une centration sur les appuis : un appel aux sensations fines où les progrès sont visibles, il faut des déplacements très courts avec la recherche de vivacité dans le geste, une frappe sèche du ballon. Le travail des appuis est essentiel.

Vous venez de parler de codes, de repères… de quoi s’agit-il ?

Dans l’organisation du jeu les placements doivent être rigoureux : à la perte du ballon, chaque joueur doit savoir où se placer. Il y a un système de zones préétabli, le jeu est disséqué en séquences où chacun sait où il doit aller pour récupérer la balle. C’est le système du 442 : s’il y a une attaque en décrochage, il faut qu’un autre joueur réponde par un appel en profondeur. Dans la phase offensive tout doit être pensé pour que le porteur de balle ait le maximum de choix, pour cela la créativité de l’un passe par un rééquilibre par les autres par rapport à l’espace. L’entraînement consiste alors à harmoniser les actions des uns par rapport aux autres. Ca passe par la recherche d’aptitudes à lire les actions de la même manière. La base c’est le jeu à trois, avec des échanges à terre, courts, avec la recherche du joueur libre et la libération d’espaces.
Sur le plan tactique, s’il faut savoir utiliser le contexte avec les failles de l’adversaire, l’organisation prévue reste la même, on s’appuie dessus, c’est la matrice du jeu. Les phases de transitions sont très importantes, on met en place une zone de récupération où l’adversaire doit être cadré, on doit contrôler son action pour permettre une récupération collective du ballon, on n’est pas centré sur le gain des duels. Il y a un système de lignes de couverture où les distances entre les joueurs ne doivent pas excéder 10 à 12 mètres, ces lignes resserrent le jeu pour couper les lignes de passe de l’adversaire.

Ce système implique une forte disponibilité physique et mentale des joueurs : toujours en mouvement et toujours concentrés. Pour obtenir ça, le système de jeu s’appuie sur un collectif, il n’est pas négociable mais doit être partagé, donc j’essaie au maximum d’être en empathie avec mes joueurs.

Le système de jeu que vous préconisez pour le Foot à 11 serait-il transposable pour le Foot à 7 par exemple.

Tout à fait, il n’y a pas d’obstacle, si ce n’est la question du hors-jeu qui ne doit pas être supprimé sinon on redonnerait la primeur au jeu individuel. C’est un système moins complexe puisque moins de joueurs mais où le collectif reste l’essentiel. Bien sûr la technique doit être travaillée mais plutôt dans des situations de jeu, pour garder le plaisir et la motivation. Les répétitions doivent être nombreuses surtout dans des face-à-face en passes, en changeant les formes, et en mettant l’accent encore une fois sur les sensations dans le travail des appuis.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix et paru dans le Contrepied HS n°9 dédié au Football